En consacrant dès octobre 2012 un
très volumineux dossier à «l'idéologie du genre», la revue Eléments
(n°145) avait certainement publié la réfutation la plus documentée et la
plus fouillée parue à ce jour en France. N'en déplaise aux
commentateurs dont l'inculture le dispute à la mauvaise foi, cette
théorie existe bel et bien. Déjà auteur en 2013 d'un maître ouvrage Les
démons du bien, paru aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, dans lequel
il abordait la question du fantasme de l'auto-engendrement et de la
mystique de l'indistinction, Alain de Benoist récidive avec un livre
plus engagé «Non à la théorie du genre», à paraître ces jours-ci aux
éditions Mordicus.
Si l’on en croit les journalistes Samuel Laurent et Jonathan Parienté, du « Monde », la « première
escroquerie des anti-“gender” » est qu’ils « postulent qu’il existe une
idéologie du “gender” ». Connaissant sans doute mieux la question,
Sylvain Bourmeau, le directeur de « Libération », est déjà moins
catégorique. Certes, lui aussi dit que la « théorie du genre » n’existe
pas, mais qu’elle est un « précieux concept de genre que la gauche
gagnerait à revendiquer haut et fort ». Concept, idéologie, théorie,
comment appeler ce drôle de « genre » ?
Il est parfaitement ridicule de nier
l’existence d’une théorie ou idéologie du genre à laquelle des dizaines
d’ouvrages ont déjà été consacrés, alors même qu’on s’emploie à en
promouvoir les principes. Les journalistes dont vous parlez font marche
arrière, car ils découvrent l’ampleur des protestations suscitées par la
théorie du genre. Ces gens-là se moquent du monde. Vincent Peillon, lui
aussi, affirme maintenant que la théorie du genre n’est pas enseignée à
l’« école de la République ». Mais en même temps, il adresse aux
directeurs d’établissements scolaires des « outils pédagogiques » lié à
un dispositif dit « ABCD de l’égalité », qui se propose de
« déconstruire » dès le plus jeune âge des « stéréotypes » qui ne
peuvent être considérés comme tels qu’à la condition d’adhérer à la
théorie du genre. L’un de ces « outils », par exemple, explique
doctement, à propos de la « danse scolaire du Petit Chaperon rouge »
(sic) que les filles devront être incitées à jouer le loup, tandis que
le rôle du Petit Chaperon rouge sera attribué aux garçons, « la lutte
contre les stéréotypes passant d’abord par la mixité des rôles
loup-Chaperon ». Ces mots sont révélateurs. Avec l’ambition affichée de
« mixer les rôles », il ne s’agit plus du tout de lutter contre les
discriminations…
La théorie du genre se révèle par là
pour ce qu’elle est : une héritière de ce féminisme égalitaire qui, bien
loin de s’employer à réhabiliter ou promouvoir le féminin, proclame
qu’il ne peut y avoir d’égalité entre les hommes et les femmes qu’à la
condition de faire disparaître tout ce qui permet de les distinguer. Une
telle ambition relève clairement de ce que j’ai appelé l’idéologie du
Même – une idéologie allergique aux différences, pour laquelle l’égalité
est synonyme de mêmeté, une idéologie qui milite en faveur de
l’indistinction généralisée.
Il existe une critique
chrétienne de l’« idéologie du genre ». Elle s’est déployée d’ailleurs
avec beaucoup de vigueur et de force pendant la « Manif pour tous ». On
s’en doute, votre approche est différente, puisque vous avez écrit :
« L’idéologie du genre, c’est le grand retour du cache-sexe. L’idéologie
feuille de vigne : non plus “cachez ce sexe que je ne saurais voir”,
mais “cachez ce sexe qui n’a rien à nous dire” ». En quoi votre critique
est-elle différente ?
Dans les milieux catholiques,
l’idéologie du genre est surtout interprétée comme une théorie visant à
légitimer l’homosexualité (dans laquelle le Vatican voit une « conduite
sexuelle désordonnée »). C’est à mon sens voir les choses par le petit
bout de la lorgnette. La théorie du genre va beaucoup plus loin. En
affirmant que l’identité sexuelle n’a aucun rapport avec le sexe, mais
se ramène à une « construction sociale » qui ne se fonde sur rien
d’autre que le désir individuel ou l’influence du milieu, elle se
dévoile en réalité comme une idéologie anti-sexe, liée à un simple
fantasme d’auto-engendrement. On se garde de le dire chez les chrétiens,
car au cours de son histoire le christianisme a lui-même entretenu des
rapports pour le moins ambigus avec la notion de sexe.
Peut-on « fabriquer » une
fille en élevant un enfant « neutre » comme une fille, ou un garçon en
l’élevant comme un garçon ? L’être humain est-il « neutre » en matière
de sexe ?
Les philosophes des Lumières
considéraient l’individu comme une table rase à la naissance, une cire
vierge. Le postulat de « neutralité » en matière de « genre » que
soutient la théorie du même nom se situe dans le prolongement de cette
croyance. Ce n’est bien entendu qu’un mythe, contredit par toutes les
études empiriques dont on dispose. Celles-ci nous montrent que, dès la
naissance, les comportements des garçons et des filles, leurs
prédispositions, leurs affinités, etc. sont différents, et que ces
différences se retrouveront plus tard dans tous les domaines de la vie.
Les travaux réalisés sur les primates montrent de leur côté qu’on
retrouve chez les grands singes des différences analogues : les petites
guénons préfèrent jouer avec des poupées, les petits mâles avec des
bâtons ou des ballons – ce qui ne peut évidemment s’expliquer chez eux
par une « attente sociale » ou culturelle. Non seulement, il n’y a pas
de « neutralité » sexuelle chez l’être humain, mais le sexe n’est pas
qu’une affaire d’organes génitaux. Même le fonctionnement du cerveau
diffère chez les hommes et chez les femmes ! Ce qui n’enlève bien
entendu rien à l’égale valeur du féminin et du masculin.
Alain de BenoistNon à la théorie du genre ! éditions Mordicus (à paraitre)