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samedi 16 juin 2018

Une Coupe du monde plus que jamais diplomatique


Sport et géopolitique ont un point commun : l’imprévisibilité. Depuis que le football est devenu un vecteur géopolitique incontestable – tout pays en soif de puissance l’a intégré dans sa stratégie -, les événements sportifs ont pris une nouvelle envergure. Cette compétition sportive en induit une deuxième, celle de la géoéconomie, et en dévoile une troisième, celle de la compétition diplomatique. Cette Coupe du monde cristallise et agglomère des enjeux géopolitiques sous-jacents, médiatisés ou déguisés.

Depuis 2010 et l’attribution du Mondial à la Russie, le Kremlin et les pays occidentaux se regardent en chiens de faïence. Attribution qui avait suscité la polémique, et les sujets ne manquent pas pour l’alimenter : Syrie, Ukraine, affaire Skripal, accusation de dopage au sein de la Fédération russe d’athlétisme, dérapages lors des Jeux olympiques de Sotchi, l’ingérence russe dans les élections nationales, les hooligans russes, etc.
Les Britanniques plastronnent avec orgueil leur boycott – malgré la zone d’incertitude sur l’origine de l’affaire Skripal -, les expulsions de diplomates de part et d’autres, la crispation Macron à l’idée d’aller en Russie, Messi et la sélection argentine forcés d’annuler un match en Israël suite à la montée au créneau des instances palestiniennes, l’Arabie saoudite, alliée de circonstance de la Russie, qui crée une Fédération d’Asie du Sud-Ouest sans le Qatar. Il ne manque que la présence de Kim Jong-un pour agglomérer tous les dossiers chauds de la géopolitique dans les tribunes officielles. C’est sans compter sur la menace terroriste, qui n’altérera en rien la fringale des deux millions de supporters attendus, unique caution fédératrice de l’événement. Du pain et des jeux pour le peuple, du pétrole et du dollar pour les États.

Ce n’est pas le premier événement sportif mondial qui entremêle sport et politique, il va sans dire. Mais la donne a quelque peu changé, car autant le sport fut auparavant un paramètre du soft power, autant il est devenu, aujourd’hui, une partie prenante du hard power, tant les pays n’hésitent plus à s’opposer frontalement et médiatiquement, quitte à y laisser des plumes comme à Sotchi. Depuis le deuxième mandat de Poutine, la Russie ancre le sport dans sa stratégie d’ouverture, mais risque de compromettre à nouveau son storytelling, tant l’actualité malmène les susceptibilités nationales. Déjà loin d’être un favori pour la Coupe, il sera compliqué pour la Russie d’en tirer, en l’état, un quelconque bénéfice positif, et c’est là où réside l’articulation entre l’enjeu de recevoir et le risque avéré de décevoir.

La Russie peut toutefois s’enorgueillir sur un point : celui d’accueillir depuis maintenant plusieurs années des événements sportifs internationaux. C’est une victoire qu’on ne peut lui enlever : celle d’avoir conquis coûte que coûte un nouveau terrain de jeu.

 Paul Binet

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