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jeudi 21 juin 2018

Winston Churchill : le côté sombre du rideau de fer

Winston Churchill a obtenu le prix Nobel de littérature le 15 octobre 1953, il n’est pas sûr que cela soit tellement mérité, mais d’un autre côté, on ne pouvait pas décemment lui attribuer le prix Nobel de la paix : Il aura passé sa vie à combattre l’Allemagne par tous les moyens ; presque tous. Et si les membres du comité Nobel avaient eu sous les yeux la note de Churchill à son chef d’état-major – ci-dessous présentée et commentée par l’historien Mark Weber – ils auraient peut-être même renoncé à lui attribuer un quelconque Nobel.

Mais avant de passer à l’article de Mark Weber lui-même, deux remarques.
D’abord, l’expression « rideau de fer » qu’il a utilisé après-guerre dans son discours de Fulton le 5 mars 1946 n’est pas de lui mais de reine Élisabeth de Belgique durant la Première Guerre mondiale. Dans les mémoires de Raymond Poincaré, le Président de la République durant toute la guerre, on trouve à la date du vendredi 6 septembre 1918 : « […] Clémenceau avait hésité d’abord à présenter ses hommages à la reine Élisabeth de Belgique, parce qu’il la traitait d’Allemande. Pichon lui a démontré qu’elle avait toujours été admirable de courage et de loyauté et qu’elle n’avait pas hésité à dire à Pierre Loti : « Un rideau de fer est tombée entre ma famille et moi. »
On comprendra mieux ce qu’elle veut dire si on sait qu’Élisabeth de Belgique était allemande à la naissance. Elle a rencontré Pierre Loti envoyé en mission diplomatique auprès d’Albert 1er, roi des Belges, à deux reprises, les 17 et 18 mars 1915 et le 3 juin 1917 : nous avons donc là à peu près la période de naissance du « rideau de fer ». Autrement dit, l’expression clé du discours clé qui a valu le prix Nobel à Churchill, n’est pas de lui.
Ensuite, le texte de Mark Weber peut être lu dans le prolongement de « l’argument Skripal – Faurisson ». Cet argument s’énonce comme suit : s’il est si difficile, délicat et dangereux de s’approcher de deux personnes chimiquement contaminées, en l’occurrence Skripal, cet ex-agent Russe et sa fille intoxiqués au Novichok à Salisbury en mars 2018, alors comment les Allemands ont-ils pu faire avec six millions?
Dans cette optique, on remarquera deux points dans l’article :
Churchill ne dit pas « puisque les Allemands le font (gazer), nous allons leur faire la même chose », non, il justifie son monstrueux projet avec une argumentation non moins cyniquement monstrueuse. Mais pourquoi Churchill ne dit-il pas « puisque les Allemands le font » ?
Et a contrario, Hitler, qui disposait de stock de gaz très dangereux, l’agent Tabun, le sarin et le soman, a toujours refusé d’en faire usage : parce qu’il avait été lui-même gazé en 1918.
Alors, si on admet que Churchill est quand même l’homme du rideau de fer, il convient de regarder d’un peu plus près si ce rideau n’aurait pas un côté sombre, de l’autre côté de la façade lumineuse, laquelle est, comme pour la Lune, la seule visible. Place à Mark Weber.
Francis Goumain

Churchill voulait recouvrir l’Allemagne de gaz toxiques.
Churchill voulait recouvrir l’Allemagne de gaz toxique, et c’est par une note secrète de temps de guerre qu’il l’a fait savoir à ses conseillers. Cette note de Churchill de juillet 1944 à son chef d’état-major le général Hasting Ismay a été reproduite dans le numéro d’août – septembre 1985 de l’American Heritage magazine.
La note de quatre pages commence ainsi : « J’aimerais que vous examiniez très sérieusement la question des gaz toxiques ». Et le chef de guerre Britannique de poursuivre : « Il est absurde de s’embarrasser de morale à ce sujet alors que tout le monde s’en est servi [du gaz] lors de la dernière guerre sans que ni les moralistes ni l’Église n’y aient trouvé rien à redire. Durant la dernière guerre, c’est le bombardement des villes ouvertes qui étaient considéré comme condamnable tandis que cette pratique va de soi de nos jours. C’est en somme une question de mode, comme la longueur des jupes pour les femmes. »
Churchill poursuit sa note sans ambages : « Il faut établir avec sang-froid à quel point l’usage de gaz toxiques pourrait être avantageux… Il ne faut pas se sentir tenu de respecter de stupides conventions de l’esprit, que ce soient celles en vigueur lors de la dernière guerre ou, à contrario, celles qui régissent la présente. » En particulier, il proposait : « Nous pourrions arroser les villes de la Ruhr et d’autres villes allemandes de telle sorte que la plus grande part de la population requière une assistance médicale de tous les instants … Il pourrait se passer des semaines ou même des mois avant que je ne vous demande effectivement de déverser un déluge de gaz toxiques sur l’Allemagne, mais, si nous le faisons, faisons-le à cent pour cent. Dans l’intervalle, je veux que le sujet soit étudié calmement, par des gens raisonnables, et pas par le genre de défaitistes en uniforme, pacifistes bêlants qu’on peut rencontrer un peu partout. »
La proposition de Churchill, qui aurait signifié la violation de la convention de Genève de 1925 interdisant l’usage des gaz toxiques, ne fût jamais adoptée. Ses conseillers militaires ont estimé qu’une campagne de gazage aurait détourné des avions de guerre de la stratégie, plus efficace, de bombardement des industries et villes allemandes. Les attaques au gaz pouvaient ne pas être décisives, et il était alors à craindre que l’Allemagne réplique avec des conséquences désastreuses pour la Grande-Bretagne. Churchill se plaignit à un assistant qu’il n’était « pas du tout convaincu par ce rapport négatif « , mais, à contrecœur, il abandonna. « Il est clair que je ne peux pas tenir tête à la fois aux pacifistes et aux guerriers » se lamenta-t-il en privé.  
L’article d’American Heritage, écrit par le professeur d’histoire de l’Université de Stanford, Barton J. Bernstein, a également rapporté que les hauts responsables militaires américains avaient exhorté les États-Unis à entamer une guerre chimique contre le Japon. Le major-général William N. Porter, chef du service de guerre chimique a plaidé, à la mi-décembre 1943, auprès des supérieurs de l’armée américaine pour qu’ils lancent une telle guerre contre les Japonais et, à plusieurs reprises en 1945, le général George C. Marshall, chef d’état-major de l’armée américaine, a poussé à utiliser le gaz dans le Pacifique. Il y avait un certain soutien du public pour cette option. Le New York Daily News déclarait « Nous devrions gazer le Japon, » et le Washington Times-Herald de renchérir en expliquant « Ils cuisent mieux au gaz ». Mais c’était une position minoritaire. Environ 75% du public étaient contre l’emploi du gaz. Après la guerre, le général Marshall déclara que la raison principale pour laquelle il n’avait pas été fait usage de gaz toxiques a été l’opposition des Britanniques qui craignaient que les Allemands en situation désespérée en fassent usage en Europe.
Les États-Unis produisirent environ 135 000 tonnes d’agents chimiques durant la guerre, contre environ 70 000 tonnes pour l’Allemagne, 40 000 pour l’Angleterre et le Japon seulement 7 500. Bien que les alliés disposassent de stocks plus importants de produits chimiques classiques, l’Allemagne avait développé des gaz neurotoxiques bien plus avancés et dangereux notamment les dévastateurs agents Tabun, sarin et soman. Ils n’ont jamais été utilisés.
Après la guerre, un expert Britannique en guerre chimique concluait que l’Allemagne aurait pu retarder de six mois le débarquement de juin 1944 s’ils avaient utilisé le gaz. « Un tel délai », nota-t-il, aurait pu donner aux Allemands le temps suffisant pour perfectionner les armes V ce qui aurait rendu la tâche des alliés plus difficile et les bombardements à longue portée de la Grande-Bretagne bien plus terribles. Même en mars et avril 1945, alors que la résistance militaire Allemande déclinait rapidement, l’Allemagne s’en tint à sa promesse de ne pas utiliser de gaz.
Hitler aurait refusé l’utilisation de gaz toxiques en partie en raison du souvenir de l’horreur de son propre gazage durant la Première Guerre mondiale, gazage qui l’avait temporairement rendu aveugle.

Mark Weber

From The Journal of Historical Review, Winter 1985-86 (Vol. 6, No.4), pages 501-503.

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