La
nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre : les juges français
chargés d’une enquête sur l’utilisation des fonds du Parlement européen
par le Front national ont demandé et obtenu la saisie immédiate de deux
millions d’euros d’aide publique (sur les 4,5 millions) dus au parti
dirigé par Marine Le Pen. Dans un communiqué alarmiste, la direction du
mouvement assure qu’elle risque la « cessation de paiement » dès la fin
du mois d’août, conteste un « coup de force » « sans aucune base
légale ». « En confisquant notre dotation publique sans jugement sur
cette pseudo-affaire des assistants, les juges d’instruction nous
appliquent la peine de mort “à titre conservatoire” », a par ailleurs
tweeté Marine Le Pen. Lors d’une conférence de presse tenue le 9
juillet, la présidente du Rassemblement national (ex-FN), la mine des
mauvais jours, en a appelé une nouvelle fois à la générosité des
Français pour renflouer les caisses d’une formation politique, à « la
trésorerie déjà exsangue » selon l’expression du trésorier national
Wallerand de Saint-Just.
Comme si cela ne suffisait pas, de nouvelles mises en
examen ont été rendues publiques ces derniers jours, toujours dans cette
affaire des assistants parlementaires FN au Parlement européen, celles
de Bruno Gollnisch, de Nicolas Bay chargé au FN des questions
européennes de Thierry légier, garde du corps de Marine Le Pen et de
deux autres assistants parlementaires pour « abus de confiance ».
Si les magistrats instructeurs ont demandé une saisie
d’une moitié environ de la dotation publique annuelle du RN (ex-FN),
c’est parce qu’ils craignaient qu’en cas de condamnation, le FN ne fût
incapable de rembourser les sommes dues à cause de son très fort
endettement. En effet, en consultant sur le site internet de la
commission nationale des comptes de campagne, on s’aperçoit que les
comptes du FN pour 2016 (l’année 2017 n’est pas encore disponible), tels
que déposés par le parti lui-même, font état de dettes supérieures à 15
millions d’euros, ce qui est gigantesque, dont plus de neuf millions
pour un emprunt russe dont le capital doit être remboursé intégralement
en septembre 2019. Pour l’heure, seuls les intérêts de l’emprunt ont été
remboursés par le Front.
Si les juges ont pris une mesure si radicale, c’est
qu’ils considèrent que les charges pesant sur Marine Le Pen et les
dirigeants du parti sont concordantes et accablantes. Au vu des éléments
réunis, les juges instructeurs se permettaient dès le mois de
décembre 2016 d’écrire dans un rapport de synthèse que « l’étude des
documents découverts dans le bureau de Wallerand de Saint-Just (NDLR :
notamment des courriels explicites adressés à Marine Le Pen)
faisait ressortir la mise en place d’un système frauduleux, impliquant
plusieurs cadres du Front national. Ainsi, il apparaissait que, depuis
2012, le FN avait pour leitmotiv, par l’intermédiaire de ses cadres et
sur avis de sa présidente, la volonté de réaliser des économies grâce
aux financements du Parlement européen ».
Les affaires politico-financières sont souvent
dévastatrices pour les partis politiques : que l’on songe aux
condamnations d’Alain Juppé et de Jacques Chirac dans l’affaire des
emplois fictifs à la mairie de Paris pour financer des permanents du RPR
(un système, semble-t-il, assez proche de celui qui aurait été mis en
place par le FN au niveau du Parlement européen), à celles d’Henri
Emmanuelli, ci-devant trésorier du Parti socialiste, dans l’affaire
Urba, la condamnation de l’UMP à rembourser des millions d’euros dans
l’affaire Bygmalion. Chaque fois les personnalités politiques mises en
examen, poursuivies, puis condamnées ont protesté pendant toute la
procédure de leur parfaite innocence, ont dénoncé un complot ourdi par
des juges politisés et des adversaires politiques. N’empêche qu’à chaque
fois les faits étaient avérés et accablants.
Il faut toujours dire la vérité, même quand elle fait
mal, qu’elle est douloureuse à entendre. Aussi disons-le franchement :
la gestion financière du Front national par Marine Le Pen et ses proches
depuis des années est très loin d’être irréprochable. Elle a été
opaque, imprudente, déraisonnable, comme en ont témoigné diverses
enquêtes et des faits établis incontestables : des bouteilles de
champagne en grand nombre à plus de 80 euros l’unité, le choix comme
bouteilles de vins des plus grands crus, d’un coût très élévé, des notes
astronomiques à répétition dans des restaurants étoilés parisiens, des
embauches pléthoriques de courtisans souvent médiocres, des salaires
exorbitants (le conseiller de Marine Le Pen, Jean Messiha, a été payé 12
000 euros nets par mois pendant toute la campagne présidentielle, ce
que la présidente du FN a justifié, en évoquant sa grande compétence,
qualité dont il ne lui a manifestement pas fait profiter au vu de son
débat télévisé désastreux face à Macron), les augmentations fortes et
soudaines de rémunération : sans doute pour se récompenser de ses
prestations exceptionnelles lors des trois débats télévisés de 2017, le
1er juillet de l’année dernière, Marine Le Pen s’est fait augmenter d’un
coup de 2000 euros nets par le Front national, son revenu passant de
3 000 à 5 000 euros auxquels il faut ajouter sa rémunération de député
(plus de 6 000 euros nets) avec tous les avantages matériels et
financiers adjacents, et de conseillère régionale. A la télévision, sur
France 2, interrogée sur cette brusque et forte augmentation de sa
rémunération, Marine Le Pen avait déclaré que cela lui paraissait tout à
fait naturel et que les Français trouveraient cela normal.
Qu’une personne ayant réussi professionnellement ou
disposant d’une fortune personnelle ou familiale vive sur un grand pied,
cela la regarde et il n’y rien en soi à redire à cela. Mais quand il
s’agit de deniers publics, que de surcroît on se présente comme le parti
qui se bat tête haute et mains propres, qui fait la leçon à tous les
autres partis et qui se veut l’avocat du peuple, le défenseur des
petites gens, des sans grade, des obscurs et des exclus, cela fait
désordre. La vérité, c’est que Marine Le Pen et ses sbires ont vécu
pendant des années au-dessus de leurs moyens, extrapolant des réussites
électorales exceptionnelles qui ne sont pas venues et utilisant,
semble-t-il, tous les moyens, de kits de campagne apparemment
surfacturés aux fonds du Parlement européen, pour mener la dolce vita.
Mais tout finit toujours par se payer. Et l’addition risque d’être
salée, l’étau se resserrant chaque jour davantage sur Marine Le Pen et
ses proches. C’est toute la direction de l’ex-Front national qui risque
d’être décimée par cette affaire des assistants parlementaires. Comment
Marine Le Pen pourra-t-elle trouver une tête de liste qui ne soit pas
déjà mise en examen pour les européennes de mai 2019 ? Comment
pourra-t-elle faire campagne si l’argent vient à ce point à lui
manquer ? Et n’est-ce pas le gaulliste Dupont-Aignan qui pourrait
profiter de tout ce sordide déballage ?
Tout laisse en effet à penser que, dans les mois ou
les années qui viennent, le Front national connaîtra une retentissante
faillite, à la fois financière, politique et morale. En un sens, c’est
navrant si l’on considère les sommes de dévouement dépensées depuis près
d’un demi-siècle par tant de militants et de cadres désintéressés et
animés d’un idéal patriotique. C’est encore plus affligeant si l’on se
souvient de tous ceux qui ont payé dans leur chair leur engagement
militant en perdant leur travail, leur conjoint, leur santé, leur
liberté voire leur vie. Mais d’un autre côté, compte tenu des trahisons
incessantes de Madame Le Pen et de ses sbires, il y a dans tout cela une
forme de justice immanente. A force de trahir, de mentir, de faire
preuve du plus écœurant cynisme et de l’opportunisme le plus total, de
vivre dans la démesure, de mépriser tout le monde, on finit par être
liquidé soi-même.
Le drame, c’est que le FN risque d’emporter dans son
discrédit et dans sa chute toute l’opposition nationale. Jean-Marie Le
Pen et sa fille se sont réconciliés récemment, comme en témoigne une
photo dans Paris-Match datée du 30 juin. Mais qu’importe à la cause
nationale la réconciliation, le temps d’une photo, d’un clan familial
alors même que Marine Le Pen n’a nullement reconnu ses torts ni demandé
pardon pour son parricide.
La leçon à tirer de tout cela, c’est qu’il faut
combattre seulement pour des convictions et un idéal. Les hommes
meurent, changent, déçoivent, trahissent. Les idées, la doctrine, les
principes, eux, ne changent pas, ne meurent pas, ne déçoivent pas. C’est
à eux et à eux seuls qu’il faut plus que jamais rester fidèle. Il faut
combattre non pour un parti, un clan ou une famille mais pour le bien,
le beau, le vrai, non pour la France de Michou et de ses travestis, de
Labruyère et de ses diablesses, de Marine et de ses invertis mais pour
la France des saints, des héros et des martyrs.
Jérôme BOURBON
Editorial du numéro 3338 de RIVAROL daté du 11 juillet 2018
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