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vendredi 13 juillet 2018

Front national : la faillite ?


La nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre : les juges français chargés d’une enquête sur l’utilisation des fonds du Parlement européen par le Front national ont demandé et obtenu la saisie immédiate de deux millions d’euros d’aide publique (sur les 4,5 millions) dus au parti dirigé par Marine Le Pen. Dans un communiqué alarmiste, la direction du mouvement assure qu’elle risque la « cessation de paiement » dès la fin du mois d’août, conteste un « coup de force » « sans aucune base légale ». « En confisquant notre dotation publique sans jugement sur cette pseudo-affaire des assistants, les juges d’instruction nous appliquent la peine de mort “à titre conservatoire” », a par ailleurs tweeté Marine Le Pen. Lors d’une conférence de presse tenue le 9 juillet, la présidente du Rassemblement national (ex-FN), la mine des mauvais jours, en a appelé une nouvelle fois à la générosité des Français pour renflouer les caisses d’une formation politique, à « la trésorerie déjà exsangue » selon l’expression du trésorier national Wallerand de Saint-Just. 

Comme si cela ne suffisait pas, de nouvelles mises en examen ont été rendues publiques ces derniers jours, toujours dans cette affaire des assistants parlementaires FN au Parlement européen, celles de Bruno Gollnisch, de Nicolas Bay chargé au FN des questions européennes de Thierry légier, garde du corps de Marine Le Pen et de deux autres assistants parlementaires pour « abus de confiance ».

Si les magistrats instructeurs ont demandé une saisie d’une moitié environ de la dotation publique annuelle du RN (ex-FN), c’est parce qu’ils craignaient qu’en cas de condamnation, le FN ne fût incapable de rembourser les sommes dues à cause de son très fort endettement. En effet, en consultant sur le site internet de la commission nationale des comptes de campagne, on s’aperçoit que les comptes du FN pour 2016 (l’année 2017 n’est pas encore disponible), tels que déposés par le parti lui-même, font état de dettes supérieures à 15 millions d’euros, ce qui est gigantesque, dont plus de neuf millions pour un emprunt russe dont le capital doit être remboursé intégralement en septembre 2019. Pour l’heure, seuls les intérêts de l’emprunt ont été remboursés par le Front. 
Si les juges ont pris une mesure si radicale, c’est qu’ils considèrent que les charges pesant sur Marine Le Pen et les dirigeants du parti sont concordantes et accablantes. Au vu des éléments réunis, les juges instructeurs se permettaient dès le mois de décembre 2016 d’écrire dans un rapport de synthèse que « l’étude des documents découverts dans le bureau de Wallerand de Saint-Just (NDLR : notamment des courriels explicites adressés à Marine Le Pen) faisait ressortir la mise en place d’un système frauduleux, impliquant plusieurs cadres du Front national. Ainsi, il apparaissait que, depuis 2012, le FN avait pour leitmotiv, par l’intermédiaire de ses cadres et sur avis de sa présidente, la volonté de réaliser des économies grâce aux financements du Parlement européen ». 
Les affaires politico-financières sont souvent dévastatrices pour les partis politiques : que l’on songe aux condamnations d’Alain Juppé et de Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris pour financer des permanents du RPR (un système, semble-t-il, assez proche de celui qui aurait été mis en place par le FN au niveau du Parlement européen), à celles d’Henri Emmanuelli, ci-devant trésorier du Parti socialiste, dans l’affaire Urba, la condamnation de l’UMP à rembourser des millions d’euros dans l’affaire Bygmalion. Chaque fois les personnalités politiques mises en examen, poursuivies, puis condamnées ont protesté pendant toute la procédure de leur parfaite innocence, ont dénoncé un complot ourdi par des juges politisés et des adversaires politiques. N’empêche qu’à chaque fois les faits étaient avérés et accablants. 
Il faut toujours dire la vérité, même quand elle fait mal, qu’elle est douloureuse à entendre. Aussi disons-le franchement : la gestion financière du Front national par Marine Le Pen et ses proches depuis des années est très loin d’être irréprochable. Elle a été opaque, imprudente, déraisonnable, comme en ont témoigné diverses enquêtes et des faits établis incontestables : des bouteilles de champagne en grand nombre à plus de 80 euros l’unité, le choix comme bouteilles de vins des plus grands crus, d’un coût très élévé, des notes astronomiques à répétition dans des restaurants étoilés parisiens, des embauches pléthoriques de courtisans souvent médiocres, des salaires exorbitants (le conseiller de Marine Le Pen, Jean Messiha, a été payé 12 000 euros nets par mois pendant toute la campagne présidentielle, ce que la présidente du FN a justifié, en évoquant sa grande compétence, qualité dont il ne lui a manifestement pas fait profiter au vu de son débat télévisé désastreux face à Macron), les augmentations fortes et soudaines de rémunération : sans doute pour se récompenser de ses prestations exceptionnelles lors des trois débats télévisés de 2017, le 1er juillet de l’année dernière, Marine Le Pen s’est fait augmenter d’un coup de 2000 euros nets par le Front national, son revenu passant de 3 000 à 5 000 euros auxquels il faut ajouter sa rémunération de député (plus de 6 000 euros nets) avec tous les avantages matériels et financiers adjacents, et de conseillère régionale. A la télévision, sur France 2, interrogée sur cette brusque et forte augmentation de sa rémunération, Marine Le Pen avait déclaré que cela lui paraissait tout à fait naturel et que les Français trouveraient cela normal. 
Qu’une personne ayant réussi professionnellement ou disposant d’une fortune personnelle ou familiale vive sur un grand pied, cela la regarde et il n’y rien en soi à redire à cela. Mais quand il s’agit de deniers publics, que de surcroît on se présente comme le parti qui se bat tête haute et mains propres, qui fait la leçon à tous les autres partis et qui se veut l’avocat du peuple, le défenseur des petites gens, des sans grade, des obscurs et des exclus, cela fait désordre. La vérité, c’est que Marine Le Pen et ses sbires ont vécu pendant des années au-dessus de leurs moyens, extrapolant des réussites électorales exceptionnelles qui ne sont pas venues et utilisant, semble-t-il, tous les moyens, de kits de campagne apparemment surfacturés aux fonds du Parlement européen, pour mener la dolce vita. Mais tout finit toujours par se payer. Et l’addition risque d’être salée, l’étau se resserrant chaque jour davantage sur Marine Le Pen et ses proches. C’est toute la direction de l’ex-Front national qui risque d’être décimée par cette affaire des assistants parlementaires. Comment Marine Le Pen pourra-t-elle trouver une tête de liste qui ne soit pas déjà mise en examen pour les européennes de mai 2019 ? Comment pourra-t-elle faire campagne si l’argent vient à ce point à lui manquer ? Et n’est-ce pas le gaulliste Dupont-Aignan qui pourrait profiter de tout ce sordide déballage ?
Tout laisse en effet à penser que, dans les mois ou les années qui viennent, le Front national connaîtra une retentissante faillite, à la fois financière, politique et morale. En un sens, c’est navrant si l’on considère les sommes de dévouement dépensées depuis près d’un demi-siècle par tant de militants et de cadres désintéressés et animés d’un idéal patriotique. C’est encore plus affligeant si l’on se souvient de tous ceux qui ont payé dans leur chair leur engagement militant en perdant leur travail, leur conjoint, leur santé, leur liberté voire leur vie. Mais d’un autre côté, compte tenu des trahisons incessantes de Madame Le Pen et de ses sbires, il y a dans tout cela une forme de justice immanente. A force de trahir, de mentir, de faire preuve du plus écœurant cynisme et de l’opportunisme le plus total, de vivre dans la démesure, de mépriser tout le monde, on finit par être liquidé soi-même. 

Le drame, c’est que le FN risque d’emporter dans son discrédit et dans sa chute toute l’opposition nationale. Jean-Marie Le Pen et sa fille se sont réconciliés récemment, comme en témoigne une photo dans Paris-Match datée du 30 juin. Mais qu’importe à la cause nationale la réconciliation, le temps d’une photo, d’un clan familial alors même que Marine Le Pen n’a nullement reconnu ses torts ni demandé pardon pour son parricide.

La leçon à tirer de tout cela, c’est qu’il faut combattre seulement pour des convictions et un idéal. Les hommes meurent, changent, déçoivent, trahissent. Les idées, la doctrine, les principes, eux, ne changent pas, ne meurent pas, ne déçoivent pas. C’est à eux et à eux seuls qu’il faut plus que jamais rester fidèle. Il faut combattre non pour un parti, un clan ou une famille mais pour le bien, le beau, le vrai, non pour la France de Michou et de ses travestis, de Labruyère et de ses diablesses, de Marine et de ses invertis mais pour la France des saints, des héros et des martyrs.

Jérôme BOURBON

Editorial du numéro 3338 de RIVAROL daté du 11 juillet 2018

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