Les catholiques en parlent peu, mais,
en réalité, quand ils agissent, c’est en connaissance de cause. Le pape
François avait reçu une délégation du patriarcat de Moscou. Il a voulu
rassurer les orthodoxes en affirmant que l’uniatisme – terme
qu’il faudrait définir et non brandir comme un slogan – est terminé.
Mais ce souhait reste avant tout diplomatique, car, en réalité, ce n’est
pas l’Orthodoxie qui est en butte à l’Église catholique, mais
l’Orthodoxie elle-même qui est divisée. Nouveau terrain d’affrontement
entre le patriarcat de Constantinople et le patriarcat de Moscou :
l’Ukraine. L’actuel conflit qui oppose l’Ukraine à des forces soutenues
en sous-main par Moscou a des répercussions religieuses importantes.
Le patriarche Bartholomée sera donc à
Bari, pour prier à l’appel du pape François, mais pas son homologue de
Moscou, qui se contentera seulement d’un représentant. Motif de la
discorde : le refus de créer une Église orthodoxe autonome en Ukraine.
Moscou a même indiqué que « le sang coulera » si jamais c’était
le cas. Car la perte serait nette : 40 % des paroisses du patriarcat de
Moscou sont en Ukraine (12 000 sur les 30 000 au total). Si la réunion
se faisait, l’Église orthodoxe unifiée « deviendrait numériquement
la deuxième Église orthodoxe au monde et serait à même de pouvoir
rivaliser avec le patriarcat de Moscou, qui est à l’heure actuelle le
premier par nombre des fidèles », comme le souligne Sandro Magister. Ce serait alors l’émergence d’une « troisième force » entre Moscou et Constantinople.
En fait, la situation en Ukraine est
déjà compliquée sur le plan canonique. Il y a une multiplicité de
juridictions, catholiques ou non. Outre l’existence de l’Église
grecque-catholique ukrainienne, il y a la communauté affiliée au
patriarcat de Moscou, sous l’égide du métropolite Onufry, mais aussi le
partiarcat dirigé par Philarète et, enfin, une Église orthodoxe
ukrainienne autoproclamée, qui a à sa tête le métropolite Méthode. En
Ukraine, une volonté de rassembler ces trois dénominations se fait jour.
Sans le dire, la guerre civile a rendu plus délicate l’influence de
Moscou. On envisage donc la création d’une Église orthodoxe ukrainienne
autocéphale qui serait non sous sous la juridiction du patriarche de
Moscou, mais dans le sillage de Constantinople. Le gouvernement
ukrainien milite aussi pour cette nouvelle Église ukrainienne. Et
l’archevêque majeur grec-catholique ukrainien également. On comprend
mieux les accusations d’Hilarion à l’encontre de ses frères
grecs-catholiques. Car en réalité, il redoute surtout ses frères
orthodoxes.
Et on comprend également davantage les propos du pape François, lequel ne veut pas que les catholiques « s’immiscent dans les affaires internes de l’Église orthodoxe russe ».
En réalité, dans cette conflagration, François a pris parti. En effet, a
pris le parti de la nouvelle Rome, Moscou, au détriment de
Constantinople. Il sait que l’Orthodoxie est fragile. Peut-être
ménage-t-il Moscou, parce qu’il sait que le “gros” des forces orthodoxes
reste en Russie. Et qu’il vaut mieux parier sur celui qui est fort
(Constantinople ne pèse plus grand chose au niveau épiscopal dans le
monde orthodoxe).
Certes, le patriarche Bartholomée n’a
rien dit, mais ses proches seraient favorable à l’émergence d’une Église
orthodoxe ukrainienne unifiée et autonome. Enfin, un dernier élément
est important : même les 85 évêques de l’Église ukrainienne qui dépend
de Moscou commencent à être favorables à l’autocéphalie. Historiquement,
l’autocéphalie ne serait pas absurde. Le passage de la métropole de
Kiev au siège de Moscou « n’aurait été qu’une mesure provisoire et révocable », si l’on en croit Sandro Magister, qui se réfère au Métropolite de Pergame.
Unité des chrétiens ou unité au sein de
l’Orthodoxie ? Et les catholiques dans tout cela ? Ils donnent
l’impression d’être dépassée par des divisions et aussi le sentiment de
ne pas comprendre qu’ils ont l’Unité en eux. Après tout, elle est un don
de Dieu, non le fruit d’un travail humain.