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lundi 20 août 2018

Natacha Polony : les Japonais sont affligés de voir la France brader ce qu’ils aiment en elle



Natacha Polony : les Japonais sont affligés de voir la France brader ce qu’ils aiment en elle

« Leçon japonaise sur la France », par Natacha Polony, pour Le Figaro.

Extraits.

« Rien de plus étrange et désolant qu’un pays qui se trompe sur sa propre identité. Un pays qui croit célébrer ses potentialités en se fondant avec empressement dans les codes et les mœurs d’un marché globalisé et renvoie au pessimisme et à la nostalgie quiconque rappellerait que cette vieille nation porte un héritage qui mérite d’être pérennisé. Le résultat est édifiant. Ce pays brade peu à peu ses fleurons industriels au nom de l’ouverture à l’international […] Toujours ce choix obstiné des élites énarchiques de Bercy et d’ailleurs d’un modèle libéral uniforme.

Il est pourtant des peuples et des nations qui nous tendent inlassablement le miroir qui visiblement nous fait défaut. Il est des hommes et des femmes qui viennent des antipodes pour célébrer ce que la France peut offrir au monde.
[…] 

Qu’une nation plurimillénaire comme le Japon vienne chercher en France la réassurance de sa propre pérennité devrait nous ouvrir les yeux. Il n’est sans doute pas de civilisation plus ouverte à la modernité, plus friande de technologie, plus prompte à innover. Mais il n’en est pas non plus de plus de plus ancrée dans un passé traduit par des rites et des traditions immuables. Le Japon cultive le respect de ce qui l’a fait et qui lui donne de l’élan pour plonger dans le mouvement du monde parcequ’il sait ne pas risquer de s’y perdre. Et ce que cette vieille nation aime de la France, c’est ce qui lui a fait traverser les siècles et l’a rendue non pas supérieure mais unique. Par amour de ce qui ne se passe que là, et pas ailleurs, par respect pour ceux qui le perpétuent et le transmettent.
Les Japonais qui visitent et observent la France sont affligés de la voir brader ce pour quoi ils se sont tournés vers elle. Ils admirent non seulement le patrimoine, les monuments et la beauté de la France, qui sont mémoire du passé, mais surtout la façon spécifiquement française d’être au monde, et liée à une vision universaliste et laïque du monde, dans laquelle la rentabilité immédiate ne s’impose pas à l’homme, dans laquelle l’économique ne dicte pas sa loi au politique, dans laquelle, enfin, chaque ville ou village raconte par son architecture, son environnement et sa sociabilité les siècles d’histoire qui ont construite la société présente et lui ont donné la force d’innover, que ce soit par son industrie ou par la qualité de ses ingénieurs. De même que nos amis japonais sont étonnés – puisque leur sens de la litote leur interdit d’être effarés – de constater la destruction systématique et obstinée de notre école, qui avait formé ses ingénieurs et ses mathématiciens, mais aussi des générations d’artisans et d’ouvriers rigoureux et avisés, ils sont désolés de voir la France mépriser ces valeurs qui l’ont construite et qui se traduisent aussi bien dans son art de vivre, son agriculture, sa gastronomie, que dans sa conception des rapports économiques et sociaux.
La nostalgie n’est un défaut que si elle consiste à se replier sur soi-même dans le regret de temps supposés meilleurs. Elle est une qualité lorsqu’elle contribue à extraire du passé ce qui permet de maintenir l’espoir d’une constance de bonheur.
[…]
Ce que les Japonais tournés vers l’avenir viennent puiser dans la culture française est cette façon de se reconstruire sans cesse dans la mémoire des origines préservées comme autant de racines, non pas qui sédentarisent l’arbre sur un périmètre figé mais qui permettent à son branchage de monter un peu plus vers le ciel. »
Des employés des agences japonaises de tourisme s’affairent sur les pelouses pour une opération nettoyage et pour faire revenir les touristes à Paris. (Le Parisien/C.C.)

Asafumi Yamashita, maraîcher japonais, cultivateur de légumes anciens en région parisienne et fournisseur des meilleurs restaurants de la capitale