« Leçon japonaise sur la France », par Natacha Polony, pour Le Figaro.
Extraits.
« Rien de plus étrange et désolant qu’un pays qui se trompe sur sa propre identité.
Un pays qui croit célébrer ses potentialités en se fondant avec
empressement dans les codes et les mœurs d’un marché globalisé et
renvoie au pessimisme et à la nostalgie quiconque rappellerait que cette
vieille nation porte un héritage qui mérite d’être pérennisé. Le
résultat est édifiant. Ce pays brade peu à peu ses fleurons industriels
au nom de l’ouverture à l’international […] Toujours ce choix obstiné des élites énarchiques de Bercy et d’ailleurs d’un modèle libéral uniforme.
Il est pourtant des peuples et des
nations qui nous tendent inlassablement le miroir qui visiblement nous
fait défaut. Il est des hommes et des femmes qui viennent des antipodes
pour célébrer ce que la France peut offrir au monde.
[…]
Qu’une
nation plurimillénaire comme le Japon vienne chercher en France la
réassurance de sa propre pérennité devrait nous ouvrir les yeux.
Il n’est sans doute pas de civilisation plus ouverte à la modernité,
plus friande de technologie, plus prompte à innover. Mais il n’en est
pas non plus de plus de plus ancrée dans un passé traduit par des rites
et des traditions immuables. Le Japon cultive le respect de ce qui l’a
fait et qui lui donne de l’élan pour plonger dans le mouvement du monde
parcequ’il sait ne pas risquer de s’y perdre. Et ce que cette vieille
nation aime de la France, c’est ce qui lui a fait traverser les siècles
et l’a rendue non pas supérieure mais unique. Par amour de ce qui ne se
passe que là, et pas ailleurs, par respect pour ceux qui le perpétuent
et le transmettent.
Les Japonais qui visitent et observent la France sont affligés de la voir brader ce pour quoi ils se sont tournés vers elle.
Ils admirent non seulement le patrimoine, les monuments et la beauté de
la France, qui sont mémoire du passé, mais surtout la façon
spécifiquement française d’être au monde, et liée à une vision
universaliste et laïque du monde, dans laquelle la rentabilité immédiate
ne s’impose pas à l’homme, dans laquelle l’économique ne dicte pas sa
loi au politique, dans laquelle, enfin, chaque ville ou village raconte
par son architecture, son environnement et sa sociabilité les siècles
d’histoire qui ont construite la société présente et lui ont donné la
force d’innover, que ce soit par son industrie ou par la qualité de ses
ingénieurs. De même que nos
amis japonais sont étonnés – puisque leur sens de la litote leur
interdit d’être effarés – de constater la destruction systématique et
obstinée de notre école, qui avait formé ses ingénieurs et ses
mathématiciens, mais aussi des générations d’artisans et d’ouvriers
rigoureux et avisés, ils sont désolés de voir la France mépriser ces
valeurs qui l’ont construite et qui se traduisent aussi bien dans son
art de vivre, son agriculture, sa gastronomie, que dans sa conception
des rapports économiques et sociaux.
La nostalgie n’est un défaut que si elle
consiste à se replier sur soi-même dans le regret de temps supposés
meilleurs. Elle est une qualité lorsqu’elle contribue à extraire du
passé ce qui permet de maintenir l’espoir d’une constance de bonheur.
[…]
Ce que les Japonais tournés vers
l’avenir viennent puiser dans la culture française est cette façon de se
reconstruire sans cesse dans la mémoire des origines préservées comme
autant de racines, non pas qui sédentarisent l’arbre sur un périmètre
figé mais qui permettent à son branchage de monter un peu plus vers le
ciel. »