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samedi 1 septembre 2012

Capitalisme et communisme: de proches cousins ?

 Par Philippe DELBAUVRE


Une réponse sur facebook à un thuriféraire du capitalisme qui considère que la politique économique de la présidence sarközyste ne fut pas assez capitaliste... Son identité a été masquée et n'apparaît dans le texte que sous la forme (***).



Si j’ai commencé dans ma longue réponse en précisant que ce qui pouvait être écrit sur ce fil n’aurait pas de répercussions nationales, c’était en vue, sachant votre caractère connu suite à la lecture de nombre de vos messages, de dépassionner le débat. Vous n’avez pas compris et avez sombré dans la subjectivité et l’idéologie, conformément à votre caractère impulsif. Plus grave, le relatif anonymat, puisque nos échanges n’auront pas de publicité nationale, vous conduit à ne pas vous modérer, vous l’écrivez vous même. Pas difficile de constater qu’avec un tel état d’esprit, l’Etat est pour vous nécessaire afin que vous soyez le plus souvent surveillé, de façon à ce que vous ne vous laissiez aller à vos penchants naturels. Voilà qui remet en cause dès l’origine les faveurs que vous accordez à la loi naturelle : relisez la critique de la raison pratique.

Vous qualifiez mon long message de « tartines ». Le terme est bien évidemment péjoratif et subjectif. On en revient à l’absence d’objectivité qui caractérise une position idéologique dont il sera question par la suite. Il n’a pas échappé au lectorat le pourquoi de l’utilisation de ce terme ; vous eussiez du faire silence, cela vous eut évité d’apparaître comme embarrassé. Quant au refus de répondre en détail au motif de l’emploi du temps de ministre qui serait celui de (***), il a probablement fait sourire le lectorat qui n’a pas du s’interroger très longtemps sur le motif de cette fuite.

Vous écrivez dans une réponse à (identité masquée) que la France contemporaine est gauchiste : comment voulez vous que le lectorat prenne au sérieux (***) ? Est-il vraiment nécessaire d’argumenter sachant que vous-même, vous vous tirez une balle dans le pied aux yeux de tous ? Vous me rappelez une femme qui se réclamait du bouddhisme et qui de manière contradictoire disposait d’une conception nietzschéenne de la vie. Je lui envoyais donc un texte rappelant les fondamentaux de cette sagesse orientale qu’elle ne trouva pas « rigolo » (je cite). S’il est une plaie dans le monde contemporain c’est par exemple justement ce choix de donner aux mots des sens qu’ils n’ont pas ; ainsi vous pour le gauchisme, ainsi les gauchistes (cette fois ci stricto sensu) fustigeant un fascisme sarkozyste qui, bien entendu, n’existe pas. Et « gauchisme » et « fascisme » ne sont pas ici utilisés de façon objective : bêtise des uns et des autres…

Vous avez écrit que le capitalisme n’était pas une idéologie alors que le communisme l’était. Vous omettez que vous vous présentez comme zélateur du capitalisme et que vous êtes vous-même idéologue : j’y reviendrai. On peut appeler idéologie une doctrine qui fait la part belle aux idées et ce quelles que soient leurs conséquences sur le réel. Rappelons que philosophiquement, ce n’est pas le matérialisme mais le réalisme qui s’oppose à l’idéalisme.

Vous trouvez moyen de disposer d’une double inspiration politique : d’une part le gauchisme et de l’autre le communisme. Je vais développer par la suite.

Votre perception de mai 68 est celle qui prévalait à l’époque dans les milieux gouvernementaux ; c’était de bonne guerre et l’on peut comprendre le pouvoir de l’époque d’avoir cherché à susciter la peur en raison d’un coup d’état à venir issu des rangs communistes. La manœuvre a assez bien fonctionné et même les classes moyennes inférieures ont suivi. Vous nous voyez surpris, vous qui vous réclamez de la jeunesse et du refus de la sénilité, de continuer à interpréter ce que l’on a coutume d’appeler les événements de mai, à l’aide d’une théorie construite ex nihilo à des fins politiciennes et qui de surcroît a bientôt trente cinq ans, ce qui ne vous rajeunit pas. Cela d’autant plus que depuis cette époque, de nombreuses études ont été publiées qui renouvellent considérablement l’idée que l’on se faisait à l’origine du phénomène. Aujourd’hui, on considère que mai 68 constitue un des fondements de notre postmodernité nationale qui ne verra vraiment le jour que dans le cadre de la seconde partie des années soixante dix. On sait la détestation du gaullisme chez les manifestants de 68 ; on minimise la haine que portaient ces mêmes hommes au Pcf. Rien de bien surprenant puisque les deux structures étaient paternalistes, dirigistes, autoritaires. De surcroît, ces deux mouvements trouvaient leur légitimité suite à la libération, période bien lointaine pour un manifestant de 68. C’est donc une opposition à l’autorité dont le corollaire en matière d’économie n’est autre que le capitalisme qui se fait jour à l’époque. Peut-on imaginer d’ailleurs dans un pays communiste en 1968 la libre utilisation des stupéfiants ? Peut-on imaginer de même une opposition au service militaire ou une apologie de l’antimilitarisme telles qu’elles existèrent chez les soixante-huitards ? A quoi fait référence l’autogestion si ce n’est au refus de l’Etat à une époque une le secteur nationalisé dispose encore d’autant d’importance ? Et certains de mal comprendre la trajectoire effectuée depuis 68 des acteurs de l’époque. Ce n’est pas pourtant bien difficile à élucider… Dans les faits, le gauchisme des années soixante ne pouvait conduire qu’au libertarisme des décennies à venir. Je me souviens d’une expression issue de la pensée de l’époque : « Veuillez laisser l’Etat dans les wc où vous l’avez trouvé en entrant » ; après avoir lu la prose de (***), on ne doute pas qu’il eut signé la phrase, lui qui fustige la mainmise de l’Etat aujourd’hui alors qu’il était beaucoup plus massif à l’époque. Le subjectivisme de (***) se trouvait déjà contenu dans les interprétations toutes personnelles que faisaient les gauchistes d’alors des écrits communistes, au grand dam des orthodoxes marxistes pour qui la doctrine du grand Karl est unique parce que scientifique et n’a donc nullement besoin d’être interprétée.

La parenté entre capitalisme et communisme est, si l’on veut s’y consacrer, flagrante même si de prime abord elle apparaît paradoxale. Je ne prétends nullement être exhaustif puisque la problématique mériterait un – gros – ouvrage.
N’oublions pas d’abord que Karl Marx n’avait de cesse de répéter que le communisme était – tout comme le capitalisme – un économisme. Il n’est qu’à lire « Le capital » pour ceux qui viendraient à douter. Aussi bien Karl Marx que les penseurs capitalistes réifient l’homme en l’étudiant majoritairement comme agent économique. Bien évidemment, cette prise de position intellectuelle traduit une rupture dans la pensée européenne : que l’on se souvienne de Socrate indifférent aux marchandises exposées devant lui dans un marché, d’Aristote fustigeant la rémunération des prêts, des inquiétudes aussi bien de Saint Augustin que de Saint Thomas d’Aquin. Ne constate t-on pas aujourd’hui une omniprésence de l’économie dans les media, cela justement aux dépens de la pensée qui n’a probablement jamais été aussi pauvre ? Ne qualifions t-on pas la pensée actuelle de pensée molle (je cite) tout en s’en vantant ?

Si le communisme a incarné la fin d’une certaine forme de pensée souveraine (n’oublions pas que pour Marx le temps n’était plus à la pensée mais à l’action), on ne doit pas oublier que cette théorie est issue de la matrice du capitalisme. En effet, quand bien même les idées de Marx pouvaient sembler intéressantes à certains intellectuels de l’époque, cela n’explique pas son succès auprès des masses. Il va de soi que si le capitalisme n’avait pas au XIX ème siècle commit tant d’infamies poussant au travail infantil ou aux salaires de misère, le communisme n’eut pas bénéficié du même succès : l’un a engendré l’autre et on retrouve le lien.

Je me souviens qu’il y a une trentaine d’années j’avais parce anticommuniste, cela en raison de l’existence du pacte de Varsovie, placardé une carte du monde dont j’avais feutré en rouge les pays communistes ; le résultat était assez inquiétant au milieu des années quatre-vingt. On sait que le communisme avait une vocation planétaire et se trouvait, par conséquent, être impérialiste. On constate que, malgré la disparition du communisme, le capitalisme, que cela soit par l’intermédiaire des armes ou économiquement, fait de même. Rien de bien surprenant : pourquoi un entrepreneur s’arrêterait-il à l’échelle départementale alors que le segment national l’attend ? Et pourquoi s’arrêtait-il à l’échelle nationale ? Le capitalisme a donc naturellement une vocation totalisante. Cela est-il si surprenant sachant que chaque acteur à vocation à faire disparaître la concurrence ? Pratiqué à l’échelle planétaire, le capitalisme tendrait à devenir monolithique : point de différences avec le communisme au final. Il n’est qu’à voir la façon avec laquelle les vendeurs traitent leurs producteurs pour imaginer le destin dans un univers exclusivement capitaliste donc en situation finale de monopole.

Toujours au sujet des années quatre-vingt, je me souviens des discussions avec des militants communistes. A bout d’arguments permettant d’expliquer l’échec des pays frappés de l’étoile rouge, ils finissaient toujours par me ressortir alors la même idée : les pays communistes ont échoué parce qu’ils n’étaient pas communistes ou ne l’étaient pas assez : voilà un raisonnement que l’on trouve aussi chez les capitalistes tel Mitt Rooney fustigeant le socialisme d’Obama ou tels des doctrinaires libéraux nous expliquant que la présidence de Sarkozy n’est pas allé assez suffisamment loin dans la libéralisation ; c’est le point de vue de (***) ; les communistes utilisent la même corde…

Il y a chez Karl Marx une idée de loi naturelle à laquelle fait d’ailleurs référence (***). Cette idée qu’à l’état de nature le capitalisme se fait naturellement jour. L’idée existait déjà chez Karl Marx et était dénommée communisme primitif. Que cela soit vrai ou non, on constate que dans chacun des deux cas tous les apports de la civilisation sont niés au profit de la défense de l’idéologie des uns et des autres.

Les communistes voient fascistes et capitalistes partout. Notre personnalité fait de même avec socialistes et communistes. Avec comme point commun dans les deux cas que les personnes incriminées n’existent le plus souvent pas.

Le communiste n’a pas de nationalité ; le capitaliste non plus puisqu’il est mu par son intérêt personnel que cela soit favorable ou non à son pays d’origine.

Sthakanov, héros communiste ou capitaliste ? De manière plus générale, le productivisme, théorie communiste ou capitaliste ?

Il ne s’agit pas, bien évidemment, de mettre un signe d’égalité entre communisme et capitalisme, puisque les deux structures sont distinctes. Pour autant, ce qui me semblait intéressant était de montrer que le capitalisme n’était pas l’exact opposé du communisme comme on a tendance à nous le faire accroire ; il existe trop de points de convergence susnommés pour qu’on cesse de vanter le libéralisme comme juste milieu entre national-socialisme et communisme, nous plaçant ainsi devant la résignation, condamné que nous serions à accepter les fondements de la société contemporaine ainsi que ses développements. Si l’Union Soviétique communiste et les Etats Unis capitalistes fustigèrent après guerre le national-socialisme, force est de constater que document à l’appui, ils furent nombreux les cadres ss à être recyclés dans un camp comme dans l’autre. Des usines d’armement allemand qui construisaient donc du matériel permettant de tuer des soldats américains ne furent jamais bombardées durant toute la seconde guerre mondiale parce que justement elles fonctionnaient avec des capitaux américains ; ainsi que le faisait justement remarquer Karl Marx, la morale de l’économie politique consiste à faire l’économie de la morale. Et en matière d’absence de morale, il est bon de rappeler la faillite du communisme sachant que pour cette idéologie l’idée même de morale est bourgeoise et que, en vertu de la prose hegelienne caricaturée, l’histoire trace son sillon, indifférente du nombre de morts présents en son sein.

Pour un Français d’aujourd’hui, fidèle aux idéaux gréco-romain, ni le communisme, ni le capitalisme ne peuvent être des ambitions légitimes. Ne peut satisfaire aux exigences éthiques que la modération des anciens, sublimée par la quête du Vrai, du Bien, du Beau.