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mercredi 22 janvier 2014

a régionalisation et l'aménagement du territoire en Europe : une révolution politique en faveur d'un partenariat transatlantique ?

par Pierre Hillard, spécialiste de l'Allemagne

Pour Pierre Hillard, l'Europe des régions est un projet mis en oeuvre par l'Allemagne fédérale, non seulement dans son intérêt mais dans celui bien compris d'une alliance européenne avec les Etats-Unis. Sa démonstration se fonde sur l'étude de nombreux documents, notamment des cartes dont plusieurs sont mises en ligne à l'occasion de cette publication.
Reste à savoir si, de son côté, la Russie post-soviétique ne pourrait pas également trouver avantage à l'affaiblissement des structures étatiques au sein d'une Union européenne élargie, difficilement gouvernable jusqu'à preuve du contraire. Si Washington et Moscou peuvent, évidemment, avoir des intérêts divergents, cela n'empêche pas des intérêts convergents. Par exemple une Union européenne réduite à la dimension d'un marché - pour les Etats-Unis - dispensateur d'aides économiques - pour l'espace post-soviétique, y compris la Russie. Le poids de la charge étant écrasant, les chances d'une "Europe puissance" en seraient singulièrement amoindries. Ce qui arrangerait aussi bien Washington que Moscou ou ... Pékin. Faire de l'Union européenne une puissance nécessite d'abord que ses membres partagent cette ambition, ensuite qu'ils sachent se sauvegarder de bien des écueils.   Pierre Verluise, Directeur du site www.diploweb.com (Voir une carte de l'OTAN en 2004)
Biographie de Pierre Hillard en bas de page.
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Pierre Hillard publie : "La décomposition des nations européennes. De l'Union euro-atlantique à l'Etat mondial", éd. François-Xavier de Guibert, 2005


 
En 2003, l’élaboration d’un projet de Constitution européenne sous l’égide de Valéry Giscard d’Estaing accélère considérablement l’émergence d’un pôle continental. Certes, de nombreuses étapes sont encore nécessaires afin d’aboutir à une Europe unifiée. Cependant, des éléments-clefs permettent déjà de cerner l’ampleur du projet comme la coopération transfrontalière, la régionalisation et l’aménagement du territoire. En effet, de nombreux documents ont été élaborés au sein de divers instituts européens posant ainsi les fondements d’une Europe fédérale des régions.
Le système obéit à une logique. Chaque texte pris isolément présente certes un intérêt majeur, mais il ne prend toute sa mesure qu’associé à un ensemble de décisions. La réunion de l’ensemble nous aide à mieux saisir l’enjeu qui anime les partisans d’une Europe unie selon le modèle fédéral. Inévitablement, se pose la question du degré de partenariat avec les Etats-Unis qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont été favorables à l’émergence d’une entité européenne forte capable de s’opposer à l’Union soviétique. L’effondrement de l’URSS, en 1991, a conduit à repenser ce partenariat.
En effet, tout le problème est de savoir si l’Europe doit s’intégrer encore plus à une architecture transatlantique resserrée ou si elle doit définitivement rompre avec le Nouveau Monde. La politique des acteurs européens et américains doit nous permettre de répondre à cette question.

1. Vers la disparition des frontières en Europe
Actuellement, la volonté d’aboutir à un marché unique en Europe conduit au démantèlement des frontières nationales. L’inspiratrice de cette politique s’appelle l’Assemblée des Régions Frontalières Européennes (l’ARFE) s’appuyant sur un document européen : la convention-cadre sur la coopération transfrontalière ou charte de Madrid. Créé en 1971, cet institut européen est en réalité allemand par ses fondateurs et ses dirigeants. Située en Allemagne à Gronau, l’ARFE poursuit l’objectif d’effacer de plus en plus les frontières étatiques afin de pouvoir procéder à des coopérations transfrontalières et interrégionales renforcées. Environ 160 régions frontalières (ou eurorégions : entités territoriales de part et d’autre de la frontière) sont sous l’autorité de cet institut.
Son but est, selon les textes officiels, le suivant : « l’objectif de l’action menée au sein des régions frontalières et le but poursuivi au travers de la coopération transfrontalière sont la suppression des obstacles et des facteurs de distorsion existant entre ces régions, ainsi que le dépassement de la frontière, tout au moins la réduction de son importance à une simple frontière administrative »[1]. Cet objectif dont les conséquences politiques, géopolitiques et sociales sont énormes touche toute l’Europe et en particulier depuis les années 1990 les pays d’Europe centrale qui doivent intégrer l’Union européenne (UE) le 1er mai 2004. La carte de la coopération transfrontalière de l’ARFE élaborée en 2000 révèle toute l’étendue de cette politique en Europe   http://www.diploweb.com/cartes/regionsarfe.pdf.  [2].
Pour une vision plus précise d’un exemple type d’eurorégions, la carte concernant les territoires frontaliers autour de l’Allemagne est particulièrement significative. http://www.diploweb.com/cartes/zusamm1.htm . [3].
Elle montre entre autres que les eurorégions le long des frontières germano-polonaises et germano-tchèques mordent en partie sur des territoires allemands jusqu'en 1945. Il est bon de souligner que les eurorégions du côté tchèque correspondent au territoire des anciennes implantations sudètes, population germanique expulsée en 1945 et en 1946 suite aux décrets Benes.
Quelles conséquences ?
Dans cette dissolution des frontières, les conséquences sont doubles.
D’abord, en raison de la reconnaissance du phénomène ethno-linguistique au sein des instances de l’UE (charte des langues régionales ou minoritaires, convention-cadre pour la protection des minorités et charte des Droits fondamentaux - en particulier les articles 21 et 22 - incluse dans la future constitution européenne), les groupes ethniques n’auront plus à subir une partition due à l’existence d’une frontière nationale inamovible. Ce n’est d’ailleurs pas l’effet du hasard si l’ARFE est dirigée depuis 1996 par un Espagnol, ou plus exactement, par un Catalan : Joan Vallvé. Ce dernier, Président de l’Intergroupe langues minoritaires du Parlement européen, poursuit une politique de promotion des « langues moins répandues » [4].
Ensuite, dans la volonté de créer un marché économique unique, la levée des barrières frontalières permet d’approfondir les échanges (économiques, technologiques, les transports, mais aussi de favoriser l’uniformisation administrative et fiscale par exemple entre l’Alsace et le Pays de Bade [5] ou encore de favoriser la création d’un eurodistrict Strasbourg/Kehl ...) comme le promeut l’ARFE dans son rapport intitulé « Principes fondamentaux d’une opération-cadre régionale par INTERREG IIIC »[6] (sigle allemand : RRO).
Trois axes
Ce projet, consistant à promouvoir la coopération entre régions et communes frontalières et transnationales en Europe et à effacer progressivement les problèmes d’ordre administratif ou législatif, s’articule autour de trois axes : L’opération-cadre régionale, des projets ciblés et des réseaux. Comme le souligne le rapport de l’ARFE lors de son trentième anniversaire : « Il faut toutefois considérer les multiples structures et particularités régionales comme la richesse de l’Europe, les maintenir et les développer. L’introduction cohérente de l’idée de régionalisation dans la  Constitution des Etats d’Europe profite aussi directement à la collaboration transfrontalière régionale. C’est pourquoi une meilleure coordination et une collaboration intensive des décideurs locaux, régionaux, nationaux et européens restent indispensables pour résoudre les problèmes des régions frontalières et transfrontalières. La collaboration transfrontalière contribue à la suppression des déséquilibres et obstacles économiques dans les régions frontalières voisines, en partenariat avec les Etats nationaux et les instances européennes, dans le cadre régional appréciable. Il s’agit de contrer les effets centralisateurs croissants du travail, des services et du capital dans les centres industriels d’Europe par des politiques régionales et d’aménagement du territoire nationales et européennes adaptées »[7].
Comme le souligne justement ce document, cette coopération transfrontalière n’est possible qu’à la condition de favoriser la régionalisation et l’aménagement du territoire en Europe. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’inscription du principe régional et le renforcement de la décentralisation par le vote du Congrès réuni à Versailles le 17 mars 2003. En réalité, la montée en puissance du fait régional et de son corollaire, l’aménagement du territoire, est orchestrée partout en Europe.
 
2. La région, l’acteur incontournable de la construction européenne
Le 26 juin 2003, le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin a rencontré le Chancelier allemand Gerhard Schröder à Berlin, accompagné de quatre présidents de régions (trois de droite et un de gauche) dont Gérard Longuet, président de l’Association des régions de France (l’ARF)[8]. L’objectif affiché était de renforcer la coopération entre les régions françaises et les Länder allemands. Affirmant que la stratégie franco-allemande devait s’appuyer sur une légitimité populaire, le Premier ministre a ajouté que « C’est très important pour la construction de la Grande Europe (...). Pour ce faire, nous avons besoin des Länder, nous avons besoin des régions (...). C’est le début d’une coopération annuelle entre les régions et les Länder ». Une telle déclaration en faveur du fait régional ne peut se comprendre qu’en raison du lancement de la recommandation 34 (1997) du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux d’Europe[9].
Qui était le ministre-président ?
En effet, ce texte fondateur de la régionalisation en Europe a été présenté pour la première fois, à l’initiative du gouvernement du Land de Basse-Saxe, à Hanovre le 22 mars 1996. Le ministre-président à cette époque s’appelait Gerhard Schröder. Par ailleurs, le rapporteur Peter Rabe, député socialiste au Land de Basse-Saxe, avait pour président du groupe de travail Llibert Cuatrecasas, ministre délégué aux affaires de Catalogne. L’Allemagne, cherchant à mettre en place une régionalisation proche de son système politique, s’entoure de politiques rebelles à l’autorité centralisatrice. Dans cette affaire, la présence d’un ministre catalan se comprend fort bien. Constitué de 28 articles, le projet de Charte de l’autonomie régionale fait la part belle aux régions qui sont en mesure de s’émanciper politiquement de l’autorité nationale au profit des instances supranationales de Bruxelles. A la lecture de ce projet, on relève entre autres l’octroi aux régions d’« un pouvoir de décision et de gestion dans les domaines qui relèvent de leurs compétences propres. Ces pouvoirs doivent permettre l’adoption et l’exercice d’une politique propre à chaque région » (art. 4), ou encore l’adoption d’un « système de financement (fournissant) un montant prévisible de recettes proportionnées à leurs compétences, leur permettant de mener une politique propre » (art. 14). Cette montée en puissance de la région se double du renforcement des liens entre l’autorité politique régionale et les instances supranationales de Bruxelles. Ainsi, depuis le 1er janvier 2003, la représentation régionale d’Alsace peut traiter directement avec Bruxelles pour la gestion des Fonds structurels sans en référer à Paris. Ce principe devrait être étendu à l’ensemble des régions françaises.
En France, la recomposition du mode de scrutin en sept grandes régions (la huitième concerne l’outre-mer) accentuera la primauté de la région dont le député européen sera l’élu direct contournant ainsi l’autorité nationale. Ce projet présenté par Michel Barnier (commissaire européen) en 1998[10] a recueilli les faveurs du gouvernement Raffarin. Cependant, ces profondes modifications prendront une dimension nouvelle avec l’application de l’article 8 du projet de charte de l’autonomie régionale intitulé : « Relations inter-régionales et transfrontalières ». Cet article stipule que : « Dans les domaines qui relèvent de leurs compétences, les régions sont fondées, le cas échéant dans le respect des procédures établies par le droit interne, à entreprendre des actions de coopération inter-régionale ou transfrontalière (...). Les régions appartenant à un espace transfrontalier peuvent se doter, dans le respect du droit de tous les ordres juridiques nationaux concernés et du droit international, d’organes communs de type délibératif et/ou exécutif ».
"Amollir" la frontière nationale en une frontière administrative
On comprend mieux l’importance de l’ARFE qui préalablement, « amollissant » la frontière nationale en frontière administrative et favorisant l’unification fiscale, administrative transfrontière etc ...,  ouvre la voie à des refontes de frontières régionales en fonction de critères ethniques (le préambule du projet de charte de l’autonomie régionale reconnaît l’obligation de protéger les minorités) ou économiques, les deux se confondant parfois. D’ailleurs l’article 16 intitulé « Protection des limites territoriales des régions » autorise ces déplacements de frontières régionales en des termes très nets : « La modification du territoire d’une région ne peut intervenir qu’après que celle-ci ait marqué son accord, sans préjudice des procédures de démocratie directe qui peuvent, le cas échéant, être prévues à cet égard par le droit interne. Dans le cas d’un processus général de redéfinition des frontières régionales, l’accord exprès de chaque région peut être remplacé par une consultation de l’ensemble des régions concernées, le cas échéant selon les procédures prévues par le droit interne ». Jean-Pierre Raffarin a donné la possibilité d’organiser des référendums locaux qui autorisent la mise sur pied de cet idéal[11].
Au sein des instances européennes, le regroupement des régions en fonction d’intérêts économiques est déjà un fait accompli comme le révèle la carte élaborée par la Commission européenne en liaison avec l’ARFE et décrivant les actions de coopération transnationale. http://www.diploweb.com/cartes/interreg.pdf   [12].
Comme le stipule les textes officiels : « Interreg IIIB regroupe désormais toutes les actions de coopération transnationales impliquant les autorités nationales, régionales et locales et les autres acteurs socio-économiques. L’objectif est de promouvoir l’intégration territoriale au sein de grands groupes de régions européennes y compris au-delà de l’Union des Quinze, de même qu’entre les Etats membres et les pays candidats ou autres voisins, et à favoriser ainsi un développement durable, équilibré et harmonieux de l’Union. Une attention particulière est accordée notamment aux régions ultrapériphériques et insulaires »[13].
En résumé
Récapitulons le fil de cette politique : 1) Disparition progressive de la frontière nationale au profit d’une frontière administrative « amovible », 2) Montée en puissance des régions à qui il est transféré une autorité politique où émerge un président ayant le poids, toute proportion gardée, d’un gouverneur d’un Etat américain, mais traitant de plus en plus avec Bruxelles, autorité supranationale, et non avec l’autorité nationale, enfin, 3) Possibilité de regroupement de régions en fonction de critères économiques et/ou ethniques. Dans cette affaire, le regroupement en France des régions en sept grandes zones métropolitaines pour les élections régionales et européennes offrent déjà un cadre fort attractif.
 
3. Une régionalisation à l’échelle continentale
Cependant, cette régionalisation ne concerne pas uniquement les Quinze Etats de l’Union. En réalité, c’est toute l’Europe qui se fragmente en vue de permettre l’extension à l’Est de l’Union européenne. Cet objectif est largement défini au sein d’un institut européen, l’Assemblée des Régions d’Europe (l’ARE). Créé en 1985 par des Français, des Espagnols et des Portugais, cet institut a été repris en 1987 par les Allemands qui procédèrent à une refonte complète du système, en particulier sous l’égide de Heinz Eyrich qui fixa les nouveaux statuts de l’ARE à Mannheim en 1992[14].
Désormais, des principes fédéralistes, régionalistes et ethnicistes ont été insufflés dans les structures de cet institut qui élabora tout un corps de doctrine fidèle à la spiritualité politique germanique. Tous les documents, tous les textes et tous les rapports élaborés par l’ARE constituent une base de travail qui a influé sur les travaux de la Convention en charge d’élaborer une constitution pour l’Europe grâce en particulier à l’action de sa présidente autrichienne, Lise Prokop, mais aussi en raison du soutien de son Vice-président et président de la région Alsace, Adrien Zeller. Or, l’ARE a élaboré en 2002 une carte de l’Europe entièrement régionalisée[15]. Cette carte souligne d’abord que tout semble  préparé d’avance. Cette régionalisation ne se contente pas de fragmenter l’Europe centrale, mais aussi la Russie dont les frontières régionales s’étendent vers la Sibérie.
Et la Turquie ?
Surtout, cette carte révèle que le projet d’intégration de la Turquie est déjà accompli. Indirectement, cette carte montre que les débats officiels pour ou contre l’intégration de la « Sublime Porte » sont vains aux yeux des autorités européennes, sauf retournement extraordinaire de la situation. S’obligeant de respecter les critères de Copenhague (Etat de droit, respect des droits de l’homme, protection des minorités, ...), la Turquie s’est engagée dans des réformes afin de montrer « patte blanche » en vue de son intégration à l’UE. En raison de ses nombreuses minorités, essentiellement kurde, les composantes ethniques de ce pays sont en mesure de réclamer des droits ethno-linguistiques. Il ne faut pas oublier aussi que des minorités comme les Kurdes peuplent aussi l’Iran, l’Irak et le nord de la Syrie. L’émergence de régions à l’Est de la Turquie bénéficiant d’une autonomie politique large - indépendante d’Ankara car elles traiteront elles aussi directement avec Bruxelles - et assurant une reconnaissance identitaire aux Kurdes risquent, en plus de détruire l’unité de l’Etat, d’attiser les volontés de ces populations éparses de se souder en une seule entité. Par ailleurs, les peuples de Turquie seront en mesure de réclamer des droits religieux qui, compte tenu de la très forte majorité musulmane au sein de la population, risquent d’entraîner l’émergence du fondamentalisme.
Malmené dans ses frontières et sa Constitution, l’Etat laïc d’Atatürk sera déstabilisé par ses changements. Bien des troubles sont à prévoir et l’UE risque d’avoir pour longtemps un porteur de troubles à ses flancs si elle intègre ce pays. Cependant, ces risques ne semblent pas perturber les dirigeants européens qui poursuivent leur politique dans le cadre de l’aménagement du territoire.

4. L’aménagement du territoire européen : une vision continentale
L’aménagement du territoire est un concept largement méconnu mais dont les conséquences touchent les politiques économique, sociale, culturelle et écologique. Cet aménagement du territoire prend un relief extraordinaire à partir du moment où il s’additionne à l’effacement des frontières nationales et à la primauté donnée aux régions. D’une certaine manière, tout s’additionne.
C’est à partir des années 1960 que l’Assemblée parlementaire et la Conférence permanente (devenue Congrès en 1994) des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE) du Conseil de l’Europe ont décidé d’entreprendre une grande politique d’aménagement du territoire. L’Allemagne fut le moteur de ce projet. En effet, l’idée de convoquer une Conférence Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire (CEMAT) a été lancée devant les Etats Généraux des Communes d’Europe, en 1964, par M. Lücke, Ministre fédéral allemand de l’Intérieur[16]. Ce dernier fit d’ailleurs remarquer que son gouvernement portait un grand intérêt à l’organisation de cette Conférence.
Les objectifs
Par la suite, le rapport « Aménagement du territoire - Problème européen », sous la direction de Gerhard Flämig, rapporteur au nom de la commission des pouvoirs locaux, fut soumis à l’Assemblée en 1968[17]. Ce rapport, résultat de trois ans d’enquêtes et de recherches, soulignait les grands objectifs d’une politique européenne de l’aménagement du territoire. Il s’ensuivit deux recommandations adoptées par l’Assemblée (Recommandations 525 et 526) « en instituant à cet effet une conférence ministérielle permanente chargée de donner les grandes orientations politiques et d’assurer l’harmonisation des politiques nationales ». Un comité des hauts fonctionnaires chargé d’organiser cette conférence posa les premiers jalons lors de la réunion à Strasbourg du 10 au 12 juin 1969. Le président de ce comité, M. Toyka, directeur au ministère de l’Intérieur et chef de la délégation de la République fédérale d’Allemagne, proposa M. Essig, chef de la délégation française, comme vice-président, sur proposition de la délégation allemande[18].
Enfin, le gouvernement allemand proposa que la première réunion de la CEMAT se tienne à Bonn les 9 et 11 septembre 1970. Ces réunions se sont succédées par la suite sous la direction de différents pays comme l’Autriche (1978), l’Espagne (1983), la Suisse (1988) ou déjà la Turquie (1991).
Le critère fédéral
Dans le cours de cette politique, une première étape fut franchie avec l’élaboration de la Charte européenne de l’aménagement du territoire (appelée aussi Charte de Torremolinos)[19]. Cette Charte fut adoptée lors de la Conférence de la CEMAT en Espagne. Selon ce document, les principes retenus pour l’aménagement du territoire doivent être démocratiques, globaux, fonctionnels et prospectifs. Tout en poursuivant le développement socio-économique, l’amélioration de la qualité de vie, la gestion des ressources naturelles, la protection de l’environnement et l’utilisation rationnelle du territoire, cette Charte annonçait par avance les documents germano-européens (les chartes de l’autonomie locale et régionale et la convention-cadre sur la coopération transfrontalière) qui sont en train de remodeler le corps européen selon le critère fédéral et régional.
La Charte de Torremolinos rappelle qu’il convient de faire en sorte que « les diverses autorités concernées par la politique de l’aménagement du territoire soient dotées de compétences de décisions et d’exécution ainsi que de moyens budgétaires suffisants. En vue d’assurer une coordination optimale entre le niveau local, régional, national et européen, aussi en ce qui concerne la coopération transfrontalière, ces autorités doivent tenir compte dans leur action des mesures prises ou prévues à l’échelon inférieur ou supérieur et par conséquent s’informer réciproquement et de manière régulière »[20]. Pour les promoteurs de cette politique, il se dégage quatre axes :
1)  « Au niveau local : coordination des plans d’aménagement des pouvoirs locaux devant tenir compte des intérêts de l’aménagement régional et national.
2)  Au niveau régional : cadre le mieux approprié pour la mise en œuvre d’une politique d’aménagement du territoire : coordination entre les instances régionales elles-mêmes, les instances locales, nationales et entre régions de pays voisins.
3)  Au niveau national : coordination des différentes politiques d’aménagement du territoire et des aides aux régions et concertation entre les objectifs nationaux et régionaux.
4)  Au niveau européen : coordination des politiques d’aménagement du territoire en vue de réaliser les objectifs d’importance européenne et un développement général équilibré »[21].
 
La Grande Europe : jusqu'à Vladivostock
Cependant, ces objectifs restaient limités du fait de la coupure de l’Europe partagée entre les Etats-Unis et l’URSS. En novembre 1989, la chute du mur de Berlin a bouleversé la donne. C’est lors de la réunion de la CEMAT à Hanovre (les 7 et 8 septembre 2000) qu’un nouveau et ambitieux chapitre a vu le jour. En effet, c’est sous le titre « Principes directeurs pour le développement territorial durable du continent européen » que cet institut a élaboré tout un ensemble de paramètres codifiés par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le 30 janvier 2002, sous la forme d’une recommandation (Rec (2002)1). L’aménagement du territoire atteint une ampleur sans précédent puisque les objectifs s’étendent jusqu'à Vladivostock comme le présente la carte élaborée par le Conseil de l’Europe   http://www.diploweb.com/cartes/cemat.pdf  [22].
Il est vrai que la Russie a intégré le Conseil de l’Europe en février 1996 offrant des perspectives nouvelles. Cette vision continentale s’appuie sur un grand nombre de documents européens qui encadrent et prolongent la politique d’aménagement du territoire. Comme le rappellent les textes, « Les Principes directeurs tirent les enseignements d’un grand nombre de documents du Conseil de l’Europe.
Parmi eux figurent la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, la charte de Torremolinos de 1983, les travaux d’analyse pour un schéma européen d’aménagement du territoire (ndlr : adopté lors de la Conférence de la CEMAT, à Lausanne, en 1988), la charte de l’autonomie locale et le projet de charte européenne de l’autonomie régionale. Sont également pris en compte dans le document le Schéma de développement de l’espace communautaire (SDEC, ndlr : adopté lors du Conseil informel des ministres de l’aménagement du territoire à Potsdam, en Allemagne, en mai 1999), l’Agenda 21 pour la Baltique ainsi que les stratégies de développement territorial élaborées actuellement pour des sous-ensembles du continent européen, telles que les conceptions territoriales pour le bassin de la Baltique, Vasab 2010 (coopération entre onze Etats), l’esquisse de structure du Bénélux (coopération entre trois Etats) et la stratégie pour un développement territorial intégré en Europe centrale, adriatique et danubienne (Vision Planet - coopération actuellement entre douze Etats, (ndlr : adopté lors du 4è séminaire des groupes de projets, Vienne, janvier 2000) »[23].
L’accumulation d’un si grand nombre de documents révèle l’arrière-fond de cette politique fédéralo-régionale tendant à créer un pôle européen soudé. Désormais, la question majeure que l’on peut se poser est la suivante : forte d’un partenariat transatlantique né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe doit-elle approfondir ce lien ou le rompre afin d’apparaître aux yeux du monde comme une force incontournable, désignée par certains sous l’expression « Europe puissance » ?
G. Schröder. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure
5. Le partenariat transatlantique, « je t’aime, moi non plus »
Au cours de l’année 2002 et durant les premiers mois de l’année 2003, les relations transatlantiques ont connu une forte houle au sujet de l’intervention militaire américaine et anglaise en Irak. La France et l’Allemagne ont manifesté une opposition qui a rallié la Russie et la Chine. Dans cette affaire, la France a été la figure de proue et a recueilli un soutien très large chez les Français comme dans de nombreux pays de part le monde. Pourtant, à y regarder de plus près, on se rend compte que la France s’est trouvée bien isolée.
En effet, la Russie et la Chine ont louvoyé pour, finalement, adopter une politique plus conciliante à l’égard des Etats-Unis après la chute de Bagdad. Mais c’est notre voisin d’outre-Rhin qui a eu le comportement le plus insolite. A l’origine, au cours de sa campagne électorale durant l’été 2002, le chancelier Schröder n’a pas hésité à refuser tout engagement de l’Allemagne en Irak « avec ou sans mandat de l’ONU ». Cette attitude a permis de rallier les voix de nombreux pacifistes qui lui ont permis de gagner les élections d’une courte tête, c’est-à-dire avec l’appoint de 6000 voix. Par la suite, le Chancelier Schröder a continué à manifester son refus de toute intervention en Irak. Cependant, la position allemande n’a pas été aussi franche que l’on pense. Il est même possible d’évoquer le terme de "duplicité".
Quelques exemples
En effet, des troupes allemandes NBC (nucléaire, biologique, chimique) stationnaient au Koweït depuis janvier 2002. Ces troupes NBC furent renforcées début mars 2003[24], alors qu’on était en pleine crise irakienne, appuyées par la présence de blindés allemands Fuchs (Fuch-Spürpanzer) stationnés au Koweït[25]. A cela, il fallait ajouter l’existence de drones (appareils de reconnaissance sans pilote : Luna-Aufklärungsdrohnen). Des équipages allemands ont servi dans des avions Awacs d’observation au niveau de la frontière turco-irakienne avec un sauf-conduit de la Cour constitutionnelle[26]. Le gouvernement de Berlin a livré plus de 100 missiles Patriot, fournis officiellement à Israël, mais servis par un personnel américain[27].
Enfin, depuis la fin de la guerre en Irak, un groupe d’élite paramilitaire allemand, le GSG 9 (Grenzschutzgruppe 9), directement sous les ordres du ministère de l’Intérieur d’Allemagne dirigé par Otto Schilly, s’active à protéger les diplomates et les centres d’intérêts allemands. Le GSG 9 est utilisé comme « source d’information indispensable » au service des missions d’espionnage[28]. Force est de constater que la position allemande pratiquait et pratique encore la politique du grand écart entre les Etats-Unis et la France.
Un rapprochement entre l'Allemagne et les Etats-Unis ?
Cependant, on observe depuis de quelques mois un rapprochement significatif entre Berlin et Washington. Le coup d’envoi officiel fut lancé le 9 mai 2003 lors du centième anniversaire de la fondation de la Chambre de commerce américaine à Berlin. Lors de son discours, le chancelier Schröder s’est employé à exprimer la fidélité totale de l’Allemagne à l’égard des Etats-Unis, désigné sous le terme « d’amitié vitale » (vitale Freundschaft).
Pour le Chancelier, l’initiative de son pays ainsi que de la France, de la Belgique et du Luxembourg en faveur d’une coopération militaire étroite ne remet absolument pas en cause l’OTAN. Fait capital dans ces relations germano-anglo-saxonnes, Gerhard Schröder a évoqué la nécessité d’établir une nouvelle répartition du travail (eine neue Arbeitsteilung) au sein de l’Alliance atlantique[29]. Cette « répartition du travail » est un élément capital à retenir. En effet, du fait de l’extension de l’UE et de l’OTAN à l’Est, de la réussite de la politique allemande à insuffler son modèle fédéral et régional dans la construction européenne, un nouveau réglage au sein du partenariat transatlantique s’avère indispensable. Ceci est d’autant plus vrai qu’au cœur de la brouille transatlantique durant l’hiver 2002/2003, le gouvernement américain a dépêché un émissaire républicain auprès du gouvernement allemand pour traiter de la politique de sécurité en Europe.
Echéances pour l'OTAN et l'UE
Selon le Financial Times Deutschland, les Etats-Unis souhaitent un plus grand engagement de l’Allemagne dans cette politique d’extension. Le projet d’une « Europe libre et unie » doit obéir aux modalités suivantes. Les préparatifs permettant l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN doivent commencer en 2004, suivis de la Serbie en 2005 et de la Croatie et de l’Albanie en 2007. Pour 2007, les Etats-Unis souhaiteraient l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Selon le Financial Times Deutschland, « l’intégration complète des Balkans et de l’Ukraine dans les institutions euro-atlantiques doit être achevée pour 2010 »[30].
Cette politique commence à se matérialiser puisque le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, a signé le 2 mai 2003 à Tirana, une « Charte de l’Atlantique » avec l’Albanie, la Macédoine et la Croatie, destinée « à faciliter l’intégration de ces trois pays balkaniques aux institutions euro-atlantiques ». Comme le précise Colin Powell, « Cette charte servira comme un guide pour leur intégration euro-atlantique, ainsi que comme un guide pour nos efforts collectifs visant à les aider à atteindre leur objectif. Elle (la charte) souligne l’importance que (les Etats-Unis) accordent à leur éventuelle intégration complète à l’OTAN et à d’autres institutions européennes (...), (elle) permettra le renforcement des liens à la fois entre les peuples de la région et avec les Etats-Unis »[31].
Cette volonté américaine d’amorcer l’extension de l’UE et de l’OTAN vers l’Est en liaison avec Berlin accompagne les projets européens de régionalisation de toute l’Europe comme le prouve la carte de l’Assemblée des Régions d’Europe.
 
6. Une Europe fragmentée au service des Etats-Unis
La classe politique américaine est largement au courant du processus de fragmentation régional du continent européen. Ce fait fut manifesté officiellement par le Président Clinton le 2 juin 2000 lorsqu’il reçut la plus haute distinction eurofédéraliste : le Prix Charlemagne. Ce prix remis pour la première fois en 1950 à Richard Coudenhove-Kalergi (1950, le fondateur de la Paneurope), fut par la suite attribué par exemple à Jean Monnet (1953), Winston Churchill (1955), Georges C. Marshall (1959), Henry Kissinger (1987), Tony Blair (1999) ou encore à Valéry Giscard d’Estaing (2003). Au cours de son discours, le Président Clinton a rappelé la nécessité d’une relation transatlantique étroite en soulignant les mutations profondes de l’Europe.
Bill Clinton. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure
 
Le Président américain a dit en effet ceci : « L’unité de l’Europe est en train d’engendrer quelque chose de véritablement neuf sous le soleil : des institutions communes plus vastes que l’Etat-nation parallèlement à la délégation de l’autorité démocratique aux échelons inférieurs. L’Ecosse et le Pays de Galles ont leurs propres parlements. L’Irlande du Nord, dont ma famille tire son origine, a retrouvé son nouveau gouvernement. L’Europe est pleine de vie et résonne à nouveau des noms d’anciennes régions dont on reparle - la Catalogne, le Piémont, la Lombardie, la Silésie, la Transylvanie, etc - non pas au nom d’un quelconque séparatisme, mais dans un élan de saine fierté et de respect de la tradition. La souveraineté nationale est enrichie de voix régionales pleines de vie qui font de l’Europe un lieu garantissant mieux l’existence de la diversité (...) »[32].
Dans cette affaire, les Etats-Unis ont tout intérêt à voir l’émergence politique des régions traitant directement avec Bruxelles, mais aussi avec tous les lobbies anglo-saxons, sans passer par les Etats nationaux. Le processus de démantèlement des Etats est bien engagé puisque le journaliste Peter M. Huber de Die Welt n’a pas hésité à donner comme titre à son article, commentant le projet de constitution de Valéry Giscard d’Estaing, « la destitution des Etats-nations »[33].
 
7. Un partenariat transatlantique mieux réglé
Malgré les différents violents qui ont pu exister des deux côtés de l’Atlantique, il est utile de rappeler que le très emblématique ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, Joschka Fischer, prône un renforcement du lien transatlantique. Même si certains obstacles demeurent comme par exemple l’obligation de recourir à l’unanimité des membres d’une Europe à 25 dans les domaines touchant la politique étrangère et la fiscalité, il n’en reste pas moins qu’il se dégage une volonté affirmée de la part de Berlin d’aboutir à un resserrement du lien transatlantique.
11.01.2001, H. Vedrine (France) et J. Fischer (Allemagne). Crédits: Ministère des Affaires étrangères
Les propos d’un Joschka Fischer sont particulièrement significatifs à ce sujet : « Pour nous Européens, l’objectif est clair : nous voulons une Union européenne économiquement et politiquement intégrée qui, en partenariat avec les Etats-Unis, garantisse à l’Europe sa stabilité intérieure et apporte une contribution substantielle au développement de la paix et de la justice dans le monde. Nous voulons un partenariat étroit avec une présence durable de l’Amérique en Europe. L’Union de l’Europe et le partenariat entre l’Europe et l’Amérique ne sont pas des processus opposés, mais complémentaires et cumulatifs. Plus d’Europe est la condition préalable du partenariat de l’avenir »[34].
Think tanks
Cette affirmation relaie les volontés exprimées au sein des Think tanks  germaniques comme la Fondation Bertelsmann, la Fondation Sciences et Politiques (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP) et le Centre de recherche de politique appliquée (Centrum für angewandte Politikforschung, CAP). Ces Think tanks  allemands pèsent lourds dans le paysage politique outre-Rhin pour deux raisons. D’abord, ils travaillent en étroite liaison avec des Think tanks américains, en particulier le German Marshall Fund. Ensuite, les résultats de leurs travaux décidés en amont se retrouvent, sauf exceptions, en aval dans les décisions du gouvernement Schröder.
Aussi, il est très intéressant d’évoquer le séminaire organisé par la Fondation Bertelsmann en juillet 2003 en liaison avec le CAP. Parmi les nombreux participants, on peut citer : Walter Stützle, secrétaire d’Etat au ministère allemand de la défense, John Hamre, Président du Center for Strategic and International Studies (CSIS) Etats-Unis, Caio Koch-Weser, secrétaire au ministère allemand des finances, Fred Bergsten de l’Institute for International Economics, Etats-Unis, Paul Achleitner, président d’Allianz AG, Jim Steinberg, représentant de la Brookings Institution, Etats-Unis, le conseiller pour les affaires économiques et extérieures du Président Poutine, Andrei Illarionov et Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France.
« USA-UE : recommandations stratégiques pour une nouvelle alliance globale »
C’est sous le titre « USA-UE : recommandations stratégiques pour une nouvelle alliance globale » que ce séminaire a débattu des relations transatlantiques. Comme le rapporte la Fondation : « Le symposium transatlantique de la Fondation Bertelsmann exclut tout retour au statu quo ante. Au vu des défis globaux, il n’y a pas d’autre alternative qu’une alliance transatlantique. Le diagnostic est posé et la thérapie doit commencer. Qui veut positivement changer le monde, doit utiliser le potentiel transatlantique. Le partenariat transatlantique reste la force décisive qui façonne la politique mondiale »[35].
Telle est la conclusion de ces experts réunis au sein de deux groupes : « Sécurité » et « Economie, Commerce et finance ». Werner Weidenfeld, Président du CAP et membre du praesidium de la Fondation Bertelsmann a résumé la situation en insistant sur le fait que « Nous ne pouvons pas nous permettre une érosion continue de ce partenariat si nécessaire. Une rupture civilisationnelle avec l’Amérique aurait des conséquences catastrophiques dans les domaines politiques, de la sécurité et économiques ». Fait particulièrement révélateur, les représentants lors de ce séminaire ont bien fait comprendre à Jean-claude Trichet, gouverneur de la Banque de France et prochain président désigné de la Banque centrale européenne (la BCE), que « l’Europe a la chance de se positionner en tant qu’acteur global sérieux uniquement comme partenaire et non comme rivale des Etats-Unis ». A bon entendeur ... salut !
Le renforcement de la coopération entre les Américains et les Européens
Au cours de ces débats, les différents experts se sont tous finalement engagés dans la même voie, celle du renforcement de la coopération entre les Américains et les Européens : développement en commun du droit international, du principe interdisant l’emploi de la violence au sein d’une architecture globale de sécurité, de la nécessité de développer une convention transatlantique sur l’emploi de la force dans les relations internationales ainsi qu’un système de contrôle international luttant contre les armes de destruction massive et leur dispersion ... Selon ces experts : « Un engagement commun dans les secteurs de crise doit être pris en compte à côté des aspects de politique de sécurité comme à côté des aspects financiers et économiques. Les Etats-Unis et l’Union européenne devraient poursuivre de ce fait un but commun, provoquer une transformation démocratique profonde qui s’appuierait sur des fondamentaux sociaux et économiques solides ».
 
Conclusion
Finalement, nous assistons à la volonté de mettre en place un pilier américain et un pilier européen unis sur des principes communs. En réalité, nous devrions plutôt dire un pilier européen assujetti à l’Imperium américain car dans cette affaire les Etats-Unis et leurs alliés anglais restent les maîtres-d’œuvre d’une vision planétaire. Pour la réalisation de cette politique, on comprend donc mieux la nécessité pour l’Europe d’amoindrir le rôle des Etats et de favoriser l’émergence des régions au profit d’une autorité supranationale dont la légitimité, dans les affaires internationales, trouve déjà sa racine dans l’article 6 du projet de Constitution de Valéry Giscard d’Estaing : « L’Union est dotée de la personnalité juridique ».
L’Allemagne, à l’origine des textes fondateurs de la construction européenne (charte des langues régionales ou minoritaires, convention-cadre pour la protection des minorités, chartes de l’autonomie locale et régionale, convention-cadre sur la coopération transfrontalière, aménagement du territoire dans le cadre de la CEMAT, projet de Code civil européen unique sous la direction du juriste Christian von Bar), est en mesure d’atteindre un niveau lui permettant de jouer un rôle majeur.
Cependant, l’histoire nous enseigne que sur Terre rien n’est acquis, rien n’est éternel. Minée par une démographie suicidaire, comme partout en Europe, l’Allemagne connaît de graves difficultés économiques. Certes, elle souffre d’une trop grande rigidité dans son organisation économique à laquelle le gouvernement Schröder tente de remédier. Cependant, aucune politique aussi subtile soit-elle, s’appuyant sur des rêves de partenariats mondiaux, ne peut perdurer si les décès l’emportent sur les naissances. L’hiver démographique qui touche toute l’Europe lui interdit à plus ou moins long terme toute « politique puissance », à moins d’un réveil brutal de l’instinct de survie. Enfin, le partenariat germano-anglo-saxon qui semble s’affermir doit affronter la réalité du terrain et les menaces qui ne manquent pas : le terrorisme islamique, une Russie aux problèmes économiques, sociaux, démographiques, de santé etc.  ... Les divorces font partie de la vie humaine. Tout le problème est de savoir si les élites de ces deux mondes sauront s’entendre dans la répartition des rôles et tenir le choc afin d’aller jusqu’au bout de cet idéal prométhéen.
Pierre Hillard
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NDLR: Lire à ce sujet : "Vers la coopération régions françaises-laender allemands", in "Chronique économique, syndicale et sociale", n°125, décembre 2003, p.2. (25 rue du Poteau, 75018, Paris, France) Il est notamment écrit: "La rencontre organisée à Poitiers fin octobre (2003) entre responsables des régions françaises et des laender allemands a été fructueuse: échanges de personnels administratifs, rapprochement des systèmes scolaires, universitaires et de formation professionnelle, possibilité donnée aux enseignants des deux pays d'enseigner dans les deux pays, livre d'histoire en commun, mise en réseau des systèmes de formation initiale et continue, formation de groupes de travail sur la culture, l'enseignement supérieur et la recherche, sur le développement économique, l'environnement, l'aménagement du territoire, jumelages entre régions, dans tous les domaines, c'est donc un resserrement de la collaboration entre régions situées de part et d'autre du Rhin qui nous est annoncé."
Notes:
[1] Charte européenne des régions frontalières et transfrontalières, Gronau, Editions ARFE, 20 novembre 1981, modifiée le 1er décembre 1995, p. 5.
[2] Voir carte de l’ARFE : Régions frontalières européennes 2000. http://www.diploweb.com/cartes/regionsarfe.pdf
[3] Raumentwicklung und Raumordnung in Deutschland, Bundesamt für Bauwesen und Raumordnung, Bonn, mars 2001, p. 59. http://www.diploweb.com/cartes/zusamm1.htm Avec l'aimable autorisation de la revue B.I (www.b-i-infos.com).
[4] Contact Bulletin, Bureau européen pour les langues moins répandues, n°3, juin 1998, p. 9.
[5] Dernières Nouvelles d’Alsace, 22 août 1998.
[6] Grundzüge einer INTERREG IIIC Regionalen Rahmenoperation (RRO), Editions l’ARFE, mars 2002.
[7] 30 ans de travail en commun, Editions l’ARFE, septembre 2001, p. 13.
[8] Le Monde, 26 juin 2003 (édition internet).
[9] Recommandation 34 (1997) sur le projet de Charte européenne de l’autonomie régionale, Discussion par le Congrès et adoption le 5 juin 1997, 3è séance (voir doc. CPR (4) 4 révisé, recommandation présentée par M. Peter Rabe, rapporteur, Allemagne).
[10] Le Figaro, 9 janvier 2003.
[11] Le Figaro, 16 juillet 2003.
[12] Voir carte : Les politiques structurelles et les territoires de l’Europe, Coopération sans frontières : Les 13 programmes INTERREG IIIB 2000-2006, Commission européenne, 2002. http://www.diploweb.com/cartes/interreg.pdf . Avec l'aimable autorisation de la revue B.I (www.b-i-infos.com)
[13] Ibid., p. 8.
[14] Assemblée Générale de l’Assemblée des Régions d’Europe (Mannheim, 5 février 1992), approbation des nouveaux statuts de l’ARE, Strasbourg, Editions l’ARE, 1992.
[15] Voir carte : Tabula Regionum Europae, 2002 (l’ARE) à l'adresse www.are-regions-europe.org
[16] Comité des Hauts fonctionnaires chargé de préparer la Conférence Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire, CMAT/HF (69) 7, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 19 juin 1969, p. 1.
[17] www.coe.int/T/F/Coopération_culturelle/Environnement/CEMAT/_Summary.asp (source : Conseil de l’Europe).
[18] Comité des hauts fonctionnaires chargé de préparer la Conférence Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire, op. cit, pp. 1-2.
[19] Charte européenne de l’aménagement du territoire, Charte de Torremolinos, Strasbourg, Conseil de l’Europe, adoptée le 20 mai 1983.
[20] Ibid., p. 7.
[21] Ibid.,
[22] Voir carte : Conférence Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire (CEMAT), Principes directeurs pour le développement territorial durable du continent européen, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2002. http://www.diploweb.com/cartes/cemat.pdf
Documents/ppes_directeurs_rec.asp, p. 5 (source : Conseil de l’Europe).
[24] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1046559600.php
[25] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1034891763.php
[26] Le Figaro, 6 avril 2003.
[27] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1042761986.php
[28] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1060639200.php du 12.08.2003
[29] Die Welt, 9 mai 2003 (source internet).
[30] Financial Times Deutschland, 24.10.2002 : USA machen Pläne für Europas Zukunft, von Hubert Wetzel
[31] Le Monde, 4/5 mai 2003.
[32] www.karlspreis.de/portrait/2000_6.html
[33] Die Welt, 11 juillet 2003 (source internet).
[34] www.leforum.de/fr/fr-revueeurope34.htm
[35] www.bertelsmann-stiftung.de/news, 18 juillet 2003.
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Date de la mise en ligne: novembre  2003

  Biographie de Pierre Hillard, spécialiste de l'Allemagne    

  . Professeur d’histoire-géographie.. Secrétaire de rédaction de Jeune France (www.jeune-france.org).
. Auteur de "Minorités et régionalismes, Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe", aux éditions François-Xavier de Guibert.
. Pierre Hillard a publié en mars 2003 sur ce site :"La Grande Europe ou le grand basculement ?" http://www.diploweb.com/p5hillard1.htm