L’utilisation
de stratégies indirectes dans la guerre n’est pas nouvelle. En effet,
dès le IVe siècle avant notre ère, le penseur chinois Sun Tzu souligne
l’importance de l’application de différents moyens de la stratégie
psychologique (1), en affirmant que « l‘arme suprême de la guerre, c’est
soumettre l’ennemi sans combat ».
La
désinformation peut être définie comme la manipulation de l’opinion
publique à des fins politiques, militaires ou économiques, à l’aide
d’une information traitée par des moyens détournés. Elle désigne une
technique qui consiste à fournir à des tiers des informations générales
erronées, qui les conduisent à commettre des actes collectifs ou à
diffuser des jugements souhaités par les désinformateurs.(2)
Les composants principaux de la désinformation
Dans une stratégie de désinformation, il existe quatre composants principaux :
- pouvoir émetteur de désinformation
- thème
- récepteur ciblé
- transmission de la désinformation (3).
L’émetteur
désigne ceux qui décident de pratiquer la désinformation pour
influencer l’opinion publique dans la direction souhaitée par le
désinformateur, afin d’atteindre des objectifs stratégiques cachés.
L’émetteur se réfère donc à un pouvoir politique, militaire ou
économique. Au début de la campagne de désinformation, il s’agit de
choisir un thème et ensuite de le traiter. Le thème doit être simple,
facile à comprendre par l’opinion publique. Par exemple, pendant la
guerre froide le « désir de la paix de l’URSS », ou lors de la guerre
d’invasion d’Irak en 2003, les « armes de destruction massive » ont été
utilisé comme thèmes centraux de communication.
La stratégie de prétexte est souvent utilisée pour renforcer la crédibilité du thème. Il s’agit de créer un prétexte qui sert à justifier les prises de position politiques ou les opérations militaires. En 1941, les avions allemands portant des marquages soviétiques ont bombardé la ville hongroise de Kassa (NDLR : l’identité réelle des avions n’a pas été établie officiellement et fait encore aujourd’hui l’objet d’un débat). La propagande hongroise et allemande ont attribué cette attaque à l’Armée rouge. Le but était de mobiliser l’opinion publique hongroise en faveur de la guerre contre l’Union soviétique.
La stratégie de prétexte est souvent utilisée pour renforcer la crédibilité du thème. Il s’agit de créer un prétexte qui sert à justifier les prises de position politiques ou les opérations militaires. En 1941, les avions allemands portant des marquages soviétiques ont bombardé la ville hongroise de Kassa (NDLR : l’identité réelle des avions n’a pas été établie officiellement et fait encore aujourd’hui l’objet d’un débat). La propagande hongroise et allemande ont attribué cette attaque à l’Armée rouge. Le but était de mobiliser l’opinion publique hongroise en faveur de la guerre contre l’Union soviétique.
La désinformation peut traiter un thème de plusieurs manières :
- l’omission, c’est-à-dire la non-diffusion d’une information
- la diffusion d’une information incomplète
- la diffusion d’une fausse information
- la diffusion d’une information partiellement fausse et la surinformation.
L’opinion
publique est le récepteur ciblé du pouvoir « désinformateur ». Il est
très important de bien connaître la mentalité du groupe ciblé afin
d’être en mesure de prévoir ses réactions à la campagne de
désinformation. On peut considérer la mentalité d’un groupe humain comme
l’expression de son identité culturelle. Le système de valeurs, les
normes et la perception du monde sont à retenir en stratégie, car elles
exercent une influence très importante sur le comportement. Dans ce
contexte, la désinformation intègre certains éléments de la publicité.
En effet, pour vendre un produit dans les pays différents, il faut
prendre en considération les cultures respectives de chaque nation dans
une stratégie de marketing.
La transmission de désinformation comporte trois éléments essentiels :
- les agents d’influence ou sociétés privées de communication
- les relais
- les supports (4).
Le
thème est généralement confié à un agent d’influence, ou une société
privée de communication. Le premier cas était la norme durant la guerre
froide, la seconde est devenue une pratique répandue depuis la fin de
celle-ci. Leur rôle est de trouver le moyen de faire passer le thème au
public. L’agent d’influence peut d’abord transmettre le message dans ses
réseaux personnels, qui sont ses relais: journalistes, intellectuels,
politiciens, amis etc. Les réseau personnels sont essentiels car ceux-ci
peuvent assurer que la transmission du thème sera effectuée par des
moyens détournés. Aussi est-il très difficile de démasquer la source,
c’est-à-dire l’émetteur/désinformateur et l’agent d’influence. Les
personnes participant à la transmission (réseaux primaires de l’agent
d’influence) peuvent le faire à leur insu. Par exemple, un journaliste
peu expérimenté envoyé dans une zone de conflit peut transmettre des
informations « manipulées », tout en croyant à la justesse de la cause
en question.
Depuis
la fin de la guerre froide, les thèmes des stratégies de désinformation
sont souvent confiés à des agences privées de communication ou de
relations publiques. Par exemple, en 1991, avant le début des opérations
militaires américaines au Kuwait, un reportage a été diffusé sur les
grandes chaînes de télévision américaines. Une jeune et jolie femme en
larmes racontait les exactions des soldats irakiens au Koweït.
L’objectif visé a été de créer un certain esprit au sein de l’opinion
publique américaine, afin de faciliter l’acceptation de l’engagement
militaire américain.
Or
on sait aujourd’hui que le film a été tourné par l’agence de relations
publiques Hill and Knowlton et, plus grave: la jeune femme n’était autre
que la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Nations Unies.
Dans
un deuxième temps, il s’agit de la transmission et de la diffusion du
message (le thème de la désinformation) du réseau primaire vers les
médias, à savoir les journaux, la radio, la télévision, les partis
politiques notamment. L’objectif recherché est de faire diffuser le
message à un segment de la population le plus large possible. La
concentration du pouvoir dans les réseaux médiatiques facilite la
diffusion de l’information manipulée sur une grande échelle.
Les
supports sont les faits mineurs qui sont vrais ou censés être vrais.
L’utilisation d’une partie de la vérité dans un certain contexte peut
amener le public à croire le message. Il s’agit de la transmission d’une
information qui ne correspond que partiellement à la vérité au sujet du
thème, mais qui est traitée de telle façon qu’elle devient le support
de la désinformation. L’objectif de l’utilisation des supports est le
renforcement de la crédibilité du thème.
Les caractéristiques de la stratégie de désinformation
1. Préparation de l’opinion publique avant le début d’opérations militaires
Nous
l’avons dit, la guerre moderne est aujourd’hui avant tout psychologique
(5). Une partie du processus de désinformation avec les autres moyens
de la guerre psychologique se déroule avant le début du conflit armé
pour préparer un certain état d’esprit dans l’opinion publique. Une
première action consiste à créer des préjugés dans l’opinion publique
qui seront favorables au déroulement de la future campagne de
désinformation. Le conflit yougoslave et la guerre du Golfe illustrent
d’ailleurs cette préparation psychologique de l’opinion publique. En
effet, Slobodan Milosevic et Saddam Hussein ont fréquemment été comparés
à la figure d’Adolf Hitler.
2. Personnalisation du conflit
Il
s’agit de présenter les événements selon une vision réductionniste, en
faisant une interprétation en « noir et blanc » du thème de la
désinformation. En désignant le « bon » et le « méchant », l’objectif
visé est d’empêcher une réflexion globale et approfondie sur les
véritables motivations des acteurs qui ont lancé la campagne de
désinformation. L’impact de cette technique peut conduire à un fanatisme
intellectuel, caractérisé par la catégorisation des positions entre
deux extrêmes. Il faut choisir son camp et se ranger, soit dans le camp
des bons, soit dans celui des méchants. Une troisième voie n’existe pas.
Le traitement des critiques émises à l’égard de la Guerre de Golfe et
le bombardement de la Yougoslavie en 1999 par l’OTAN ont illustré ce
phénomène. Les auteurs qui ont critiqué la position officielle de la
prétendue communauté internationale ont été considérés comme des
défenseurs de la position de Saddam Hussein ou de Slobodan Milosevic. La
formule « avec nous ou contre nous » reflète bien cette polarisation,
visée par le pouvoir émetteur de la désinformation.
3. Provocation de réactions immédiates
L’information
transmise peut provoquer dans l’opinion publique de réactions
émotionnelles immédiates. La transmission d’images est un élément
important dans ce processus. L’objectif est la création d’un état
d’irrationalité, voire de psychose dans l’opinion publique. L’émotion
prime sur la rationalité. Un jugement influencé par les émotions réduit
la capacité analytique des personnes. Comme le soulignait Gustave Le Bon
il y a plus d’un siècle, dans son livre sur la psychologie des foules
(6), la pensée et le comportement de ces dernières sont largement
influencés par les images. Cette observation est également valable pour
la désinformation contemporaine. Ainsi, on peut parler d’une véritable
guerre d’images dans les mass média mondialisés. Il faut
également prendre en considération la facilité qu’offre la technologie
actuelle pour retoucher des images prises par satellite ou un appareil
photo ou vidéo digital.
Après
l’image, il faut mentionner le rôle du langage dans la désinformation.
L’imposition d’un certain vocabulaire ou d’une structure linguistique
visent à influer la structure cognitive et affective des gens, pour
orienter leurs réactions. Ce phénomène a été exploré par George Orwell
dans son livre 1984 (7), dans lequel l’auteur présente
comment le « Novlangue », la langue officielle de l’Océanie, un État
totalitaire, est utilisé dans l’endoctrinement idéologique des citoyens.
Sur le bâtiment du parti unique de cet État totalitaire, les slogans
suivants ont été affichés: « La guerre c’est la Paix , La Liberté c’est
l’esclavage, L’Ignorance c’est la force. »
Vladimir Volkoff, dans son livre La Désinformation, Arme de Guerre (8),
analyse l’utilisation répondue des logomachies dans les campagnes de
désinformation. La puissance des mots liée aux images qu’ils évoquent
sont tout à fait indépendants de leur signification réelle. Les mots
comme « démocratie», « liberté », « réactionnaire », « ennemi du peuple
», « anti-américain » « anti-européen » peuvent devenir des logomachies
et susciter des réflexes pavloviens au sein de l’opinion publique,
lorsque on utilise certains de ces mots dans un contexte particulier.
Par exemple, on peut constater une véritable dérive intellectuelle sur
la question de l’intégration européenne : critiquer la construction
européenne de Maastricht, c’est être « contre l’Europe ». D’où
l’amalgame entre l’Europe de Maastricht et l’Europe tout court. La
signification réelle des mots n’a plus d’importance. Ce qui compte,
c’est de faire passer le message au public en évoquant des images liées à
ce mot.
L’utilisation fréquente de ces logomachies dans le processus de désinformation permet de faire passer le thème dans le public.
4. Maintien de l’ignorance et confusion
Le
succès de la désinformation est inversement proportionnel au niveau de
connaissance du public cible par rapport au sujet de la désinformation.
Si l’on songe à la complexité des conflits contemporains, à la façon de
les présenter dans le média et au conformisme intellectuel qui règne
dans nos sociétés, on peut tirer certaines conclusions concernant
l’efficacité de la désinformation. On peut noter le recul du journalisme
d’investigation et du temps consacré aux commentaires politiques, la
toute-puissance de l’image sur l’écrit et l’importance croissante du
phénomène de « marketing politique » dans nos sociétés contemporaines.
5. Orientation des flux d’information conduisant à l’omission et surinformation
L’utilisation
de la surinformation et de l’omission par l’orientation des flux
d’information permettent de parler d’un sujet tout en passant les autres
sous silence. L’agenda setting, c’est-à-dire la
surreprésentation d’un événement dans les médias, combinée avec
l’omission de l’information sur d’autres événements, sert cet objectif.
L’opinion publique peut être bombardée par les images présentant la
situation du Kosovo, Irak, Bosnie. En revanche, on n’a quasiment pas
mentionné d’autres conflits se déroulant au même moment. Le génocide au
Rwanda, qui a produit environ un demi-million de morts, n’a été filmé
par aucune équipe de télévision. Il en est de même lorsque 300’000
Serbes ont été chassés de la Krajina par les Croates en été 1995. Cette
orientation de flux d’information est facilitée par la puissance de
certains réseaux mondialisés de télécommunication, à l’instar de chaînes
d’information télévisées: CNN, Euronews, etc.
L’impact
de la désinformation est renforcé par la capacité de transmission de
l’information ou de la désinformation, par les moyens de
télécommunication à l’échelle mondiale. Il faut également mentionner la
question de la concentration de pouvoir dans les médias. Ces derniers
sont souvent contrôlés par les pouvoirs économiques, politiques ou le
complexe militaro-industriel.
Gyula Csurgai est Directeur du Centre international d’études géopolitiques (CIEG)
__________________________
(1) Sun Tzu, L’art de la guerre, Flammarion, 1972.
(2) Vladimir Volkoff, Petite Histoire de la désinformation, Rocher, Monaco, 1999, p.32.
(3) Voir une analyse détaillée sur les composants de la désinformation dans Vladimir Volkoff, La désinformation arme de guerre, L’Age d’Homme, Lausanne, 1986, 2004.
(4) Vladimir Volkoff, Petite Histoire de la désinformation, Op.Cit., p. 143-149.
(5) A ce sujet l’ouvrage de Roger Mucchielli, La Subversion, CLC, 1972, présente une analyse fort intéressante.
(6) Gustave Le Bon, Psychologie des foules, PUF, Paris, 1995.
(7) George Orwell, 1984, Gallimard, Paris, 1950.
(8) Vladimir Volkoff, La désinformation arme de guerre, L’Age d’Homme, Lausanne, 1986, 2004.