Ex: http://www.dedefensa.org
Le discours de BHO sur les “réformes” de la NSA a évidemment rencontré
ce qu’on en prévoyait avant l’intervention. Il est manifeste qu’Obama
lui-même autorise, voire organise ces évaluations de sources officieuses
mais toutes venues de son équipe, qui précèdent ses interventions. La
technique de communication d’Obama se confirme comme constituée en
générale d’une prudence qui confine à la pusillanimité et au paradoxe :
préparer le public et les divers à un acte aussi pusillanime ne fait que
renforcer ce caractère et réduire encore l’impact de l’intervention. On
peut envisager que cela reflète aussi bien sa politique, qui est une
sorte d’immobilisme enrobé d'une rhétorique fleurie même si les fleurs
se fanent, que son caractère d’extrême prudence sinon de détestation de
tout ce qui pourrait modifier le statu quo.
Les réactions sont donc à mesure. Ceux (surtout les dirigeants
officiels) qui suivent la ligne “langue de bois-Système” courante
essentiellement dans le bloc BAO réagissent avec prudence, s’en tenant
simplement à une approbation polie des intentions théoriques assorties
d’une réserve de type “il faudra voir à l’usage ce que donnent les
intentions affichées”. Ceux qui sont ouvertement critiques de sa
politique sont confirmés dans leur position, comme Glenn Greenwald qui
réapparaît pour la première fois depuis le 31 octobre 2013 (voir le 1er novembre 2013) dans les colonnes du Guardian : ce 17 janvier 2014, Greenwald donne le ton de son appréciation dans les deux premiers paragraphes de son commentaire.
«In
response to political scandal and public outrage, official Washington
repeatedly uses the same well-worn tactic. It is the one that has been
hauled out over decades in response to many of America's most
significant political scandals. Predictably, it is the same one that
shaped President Obama’s much-heralded Friday speech to announce his
proposals for “reforming” the National Security Agency in the wake of
seven months of intense worldwide controversy.
»The
crux of this tactic is that US political leaders pretend to validate
and even channel public anger by acknowledging that there are "serious
questions that have been raised". They vow changes to fix the system and
ensure these problems never happen again. And they then set out, with
their actions, to do exactly the opposite: to make the system prettier
and more politically palatable with empty, cosmetic “reforms” so as to
placate public anger while leaving the system fundamentally unchanged,
even more immune than before to serious challenge.»
Dans les nombreuses choses d’un intérêt moyen et d’une ambiguïté
constante qu’a dites Obama, on retiendra celle-ci, dans la forme que
présentait le Guardian le 17 janvier 2014.
L’argument est certainement le plus ridicule qu’on puisse imaginer, –
même si, par extraordinaire, l’affirmation était vraie, il faudrait la
laisser de côté tant elle sonne comme une grotesque tentative de faire
de cette pseudo-“réforme” le seul effet d’une réflexion personnelle du
président des États-Unis ; bref, il s’agit d’affirmer que Snowden n’est
pour rien dans cette vaste “croisade réformatrice”, puisque Obama y
songeait déjà dans le secret de sa vaste pensée, sorte de whistleblower héroïque et bien plus discret que Snowden (le souligné de gras est du texte original) :
«The
president presented the actions of Edward Snowden as coinciding with
his own long evolution of thinking on government surveillance. A
debate employing “crude characterizations” has played out after
“sensational” coverage of the Snowden revelations, Obama said...»
Avec un peu de chance dont le système de la communication nous offre
parfois l’exemple, il se pourrait qu’un tel détail, confronté à ce que
le président fera de sa pseudo-“réforme”, apparaisse comme un des
aspects les plus indignes d’un caractère qui le cède souvent à la
vanité, et d’une tentative constante et dans ce cas dérisoire de
l’administration Obama de détruire l’effet de communication de la crise
déclenchée par Snowden. Il se pourrait même que l’idée qu’il recouvre,
qui est de tenter de marginaliser Snowden et son rôle, contribue
décisivement et officiellement à faire de Snowden l’homme qui a le plus
influencé la situation politique à Washington, et nombre de relations
diplomatiques de pays étrangers avec Washington, pendant le second
mandat d’Obama, jusqu’à peut-être conduire à des bouleversements
considérables (d’ici la fin de ce mandat).
On ne s’embarrassera pas de citations et de considérations sur les
divers détails du discours du président particulièrement long et fourni,
– hommage involontaire à Snowden, quoiqu’il en veuille, – car
effectivement on n’en appréciera les conséquences concrètes que sur le
terme. L’effet de communication d’une telle intervention existe, quoi
qu’il en soit, et il faut qu’il s’estompe avant que nous puissions
entrer dans l’essentiel de ses conséquences profondes. C’est plutôt du
côté de certaines réactions qu’on pourrait trouver, comme on dit, un peu
de “grain à moudre”. On s’attachera à un aspect de ces réactions, après
un passage en revue d’un texte du Guardian (le 17 janvier 2014)
qui développe ce thème, essentiellement pour l'Europe (essentiellement
pour l'Allemagne) et pour le Brésil... (On peut aussi consulter un texte
de McClatchy.News du 17 janvier 2014 sur le même sujet des réactions en Europe.)
«Europeans
were largely underwhelmed by Barack Obama's speech on limited reform of
US espionage practices, saying the measures did not go far enough to
address concerns over American snooping on its European allies... [...] Jan-Phillip
Albrecht, the German MEP who is steering through the European
parliament stiffer rules on the transfer of data to the US, dismissed
the White House initiative. “It is not sufficient at all,” he said. “The
collection of foreigners' data will go on. There is almost nothing here
for the Europeans. I see no further limitations in scope. There is
nothing here that leads to a change of the situation.” [...]
»[In Germany,] Norbert
Röttgen, a former CDU environment minister who now advises the
government on foreign policy, told ZDF television that Obama had failed
to meet his low expectations for the speech. “The changes offered by
President Obama were more of technical nature and sadly failed to tackle
the basic problem: we have a transatlantic disagreement over the
weighing-up between security and freedom. It is essential that we
develop a dialogue about a mutual understanding of these terms,” he
said. [...]
»[In Brasil,] Ronaldo
Lemos, director of the Institute of Technology and Society of Rio de
Janeiro, said the speech would help to reduce public and government
anger towards the US. “I think it paves the way for a better Brazil-US
relationship for sure,” said Lemos. “It's positive that Obama is
basically saying that the rights of foreigners, non-US citizens are
going to be taken into account. According to the speech, there will also
be a normative text saying what they will do and won't do in respect to
foreign countries.”
»Lemos,
one of the authors of pending legislation on internet governance in
Brazil, said the speech should be seen as a “very impressive” bid by the
US to regain the high ground in the global debate about internet
governance. In the wake of the Snowden revelations, he said, the US had
lost the initiative in the global debate about the future of the
internet, as well as a great deal of trust. Brazil, Germany and other
nations used this opportunity to push new rules of internet governance
at the UN and other forums. “If you read between the lines in Obama's
speech, it is clearly an effort to take back US leadership in regards to
civil liberties and internet governenance,” Lemos said. “They want to
get back the space they have lost since the Snowden case. For Brazil and
Germany, that will be a challenge.”
»Brazil
is planning to host a global conference on internet governance in March
and has moved to enact a new domestic law – the Marco Civil – setting
out the civil rights framework for the internet. But the conference
agenda remains unclear and the law has yet to be passed...»
Comme on le voit, le Guardian
a fort justement orienté son commentaire sur “les réactions”, sur deux
pays, l’Allemagne et le Brésil. Manifestement, ces deux pays forment le
cœur du camp adverse de la NSA et des USA dans cette crise Snowden/NSA.
Les réactions allemandes sont, au mieux très mesurées et d’une
neutralité vigilante, au pire plus que jamais critiques de
l’administration Obama, sans rien y voir d’autre que la poursuite d’une
position antagoniste, d’un affrontement avec l’Allemagne sur cette
question. (La réaction du cabinet Merkel est effectivement selon le ton
de prudence et de retenue qu’on signale, mais essentiellement articulé
sur la réaffirmation de principes de protection de la vie privée, du
respect des lois allemandes qui vont dans ce sens pour ce qui est de
l’activité, – in fine, de la NSA, – sur ce territoire, etc.)
Plus intéressantes sont, en un sens, certaines réactions au Brésil,
pays qu’on sent pourtant moins “dur” vis-à-vis des USA que l’Allemagne.
On veut ici parler de la réaction de Ronaldo Lemos, pourtant presque
favorable à l’effet de communication politique que produirait le
discours d’Obama. C’est l’interprétation de ce discours qui est
intéressante, de la part d’une personnalité décrite par ailleurs comme
étant officiellement impliquée dans l’effort brésilien pour mettre en
place une sorte d’“indépendance et de souveraineté informatiques”, ou,
plus largement, “indépendance et souveraineté” dans le domaine
informatique du système de la communication, donc a fortiori
dans le domaine du système de la communication lui-même ; de ce point de
vue théorique, il y a toutes les chances que Lemos exprime un sentiment
général dans la direction brésilienne... Le passage qui nous importe
est celui-ci :
Le discours d’Obama est donc, selon Lemos, «...a
“very impressive” bid by the US to regain the high ground in the global
debate about internet governance. In the wake of the Snowden
revelations, he said, the US had lost the initiative in the global
debate about the future of the internet, as well as a great deal of
trust. Brazil, Germany and other nations used this opportunity to push
new rules of internet governance at the UN and other forums. “If you
read between the lines in Obama's speech, it is clearly an effort to
take back US leadership in regards to civil liberties and internet
governenance,” Lemos said. “They want to get back the space they have
lost since the Snowden case. For Brazil and Germany, that will be a
challenge.”»
Cette interprétation introduite en terme d’autorité, de maîtrise
politique et de légitimité (en termes de gouvernement pris dans son sens
général, si l’on veut), est une question nouvelle, ouverte par la crise
Snowden/NSA. Qu’il soit fait mention de “global governance”
sacrifie au langage-Système, mais indique aussi la dimension globale
d’affrontement désormais perçue comme telle des questions fondamentales
soulevées par cette crise. Malgré les considérations tactiques
favorables au discours exposées par Lamos, – “Les Américains font, avec
ce discours, un effort considérable pour retrouver leur leadership”, – nous voilà informés que les USA détenaient ce leadership jusqu’ici sans qu’il en soit question ni sans que ce leadership
soit contesté, et que ces observations ont l’importance qu’on leur
accorde parce qu’en plus il est désormais montré et démontré que ce leadership est bien de nature politique. Ainsi est mis à découvert une vérité de situation fondamentale : il y a bien un problème de leadership mondial, qui s’exprime dans le domaine du système de la communication (informatique, internet, etc.), mais ce leadership
était jusqu’ici assuré sans aucune concurrence ni contestation possible
par les USA parce que tout se passait comme si l’enjeu politique de ce leadership
n’était pas réalisé. Là est donc bien l’essentiel : l’apparition d’un
problème politique central, un problème qui n’existait pas parce qu’une
domination absolue existait et étouffait jusqu’à la perception
qu’elle-même (cette domination) aurait pu constituer l’objet d’un débat
ouvert, d’un enjeu, d’une contestation, moins encore d’un affrontement
certes. Il ne s’agit pas ici de se perdre dans les détails techniques,
avec l’habituelle reconnaissance éblouie de la puissance US qui paralyse
toute réaction (c’est cela qui a empêché la réalisation de la dimension
politique du débat), mais d’admettre que cette question n’est justement
plus technique, qu’elle est devenue politique, et qu’il est ainsi acté
dans les conceptions même du gouvernement des choses que le système de
la communication est un enjeu de gouvernement et un enjeu pour chaque
gouvernement.
...Qu’on le veuille ou non, le problème est posé, et les USA ne
parviendront jamais, par définition, à rétablir leur position de
domination absolue dans la dimension politique qu’on découvre,
simplement selon l’évidence que cette domination n’était absolue que
parce qu’elle n’était pas perçue politiquement comme elle l’est
aujourd’hui, c’est-à-dire perçue structurellement alors qu’il n’y avait
jusqu’ici que des jugements conjoncturels ou de circonstance. (Toujours
des jugements techniques essentiellement, lesquels continueront
d’ailleurs à être favorables aux USA d’une façon qui tendrait à
décourager tout effort politique, et même toute prise de position
politique, ce qui est bien la caractéristique du genre. Mais
l'importance de ces jugements techniques est désormais secondaire car le
politique prime dans les règles du système de la communication, comme
en toute chose sérieuse.). La dialectique-Système, sous son habillage de
communication, rejette cette notion de “domination absolue” une fois
qu’elle est exprimée par le système de la communication selon la
référence structurelle politique comme c’est désormais le cas ; par
conséquent, la contestation de cette pseudo-“domination absolue” et de
son rétablissement est une nécessité imposée par le Système lui-même et
qui s’inscrit désormais sur les “agendas” des dirigeants-Système dans
les entités qu’on s’entête à nommer encore “nations“ ... Peu nous
importe que la NSA nous écoute, ce qu’elle fait depuis si longtemps sans
se dispenser des échecs qu’elle connaît et des défecteurs
type-Snowden ; peu nous importe le vainqueur de cette pseudo-compétition
car le terme “victoire” n’a plus aucun sens aujourd’hui ; nous
importent l’effet antiSystème du type “discorde chez l’ennemi” et ses
effets fratricides, et la joyeuse formule surpuissance-autodestruction
toujours en mode-turbo.
C’est un prolongement capital, qui devrait peu à peu établir ses effets
considérables dans les mois qui viennent, qui pèsera de plus en plus
sur les relations politiques, y compris et surtout à l’intérieur du bloc
BAO. (Il n’est pas interdit de penser à l’Allemagne, bien entendu.)
C’est une avancée antiSystème considérable, qui est entièrement due,
quoiqu’en pense saint-BHO, à Edward Snowden. C’est une confirmation que
la crise Snowden/NSA est bien entrée dans cette troisième phase qu’on
signalait comme étant en formation, le 19 décembre 2013.