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vendredi 24 janvier 2014

Le FN de Marine Le Pen, fils caché du mégrétisme ?

Quinze ans après la tonitruante scission de 1998-1999 entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen qui avait failli le mettre à mort, le FN de Marine Le Pen s’est rebâti en s’appuyant sur quelques mégrétistes et recettes du mégrétisme.

Après de longs mois de conflit larvé, le FN se divise entre partisans du tribun charismatique Jean-Marie Le Pen et ceux du méthodique délégué général Bruno Mégret. 

Le maire de Vitrolles, qui veut être seul dépositaire de la marque FN, emmène une bonne partie de l’appareil militant dans ses bagages lors du congrès de Marignane (23-24 janvier 1999) où il crée un «Front national-Mouvement national».

Sur cette période, Marine Le Pen choisit une formule ciselée: «C’est la préhistoire», s’exclame-t-elle. «Le mégrétisme n’est plus une identité au FN, Mégret est complètement fini».

Son chantier principal à la tête du FN, la «dédiabolisation», est pourtant une inspiration mégrétiste. Malgré son dérapage de l’automne sur la barbe des otages de retour du Sahel et les exclusions de candidats aux municipales auxquelles elle a été contrainte, elle le proclame «achevé».

«Sa stratégie a des similitudes avec celle que voulait mettre en oeuvre le MNR, qui voulait moderniser, désenclaver et dédiaboliser», compare Nicolas Bay, qui n’a rejoint le FN qu’en 2009 après avoir longtemps été le lieutenant de Bruno Mégret au Mouvement national républicain.

Dans un restaurant du VIIe arrondissement, Bruno Mégret, quoique plus loquace sur le passé que sur le présent du FN, confirme à l’AFP une filiation stratégique: «Elle a fait ce que nous voulions faire sur la dédiabolisation».

Mais celle-ci rejette tout droit d’auteur : «Un parti qui devient un grand parti doit naturellement se poser en rassembleur, éloigner les excessifs, les folkloriques, etc. Je défends ça depuis avant Mégret, moi je l’ai fait, lui non».

Bruno Mégret, c’était aussi «une force organisationnelle, structurante assez phénoménale. Une bête politique, un tacticien hors pair, qui savait tisser des réseaux», analyse Sylvain Crépon, sociologue auteur d’une «Enquête au coeur du nouveau Front national» (Nouveau Mondes Editions).

Lorsqu’il a commencé sa route commune avec le FN en 1985, M. Mégret ambitionnait «professionnaliser le FN: avoir une vraie politique de communication, arrêter de traiter les journalistes comme des salauds, tenir un discours pensé, et travailler sur des thématiques nouvelles.»

Marine Le Pen s’est attelée à mettre fin à l’amateurisme dès sa prise de pouvoir en 2011. Alors que pour son père, il n’y avait guère de salut hors de l’élection présidentielle, elle a entrepris de quadriller l’Hexagone. 

Tensions internes

Pour changer de calibre, elle a confié l’administration du parti à deux ex-mégrétistes, Steeve Briois, et son adjoint, Nicolas Bay. Celui-ci «a énormément appris auprès de Mégret sur la structuration politique», explique M. Crépon.

Mais preuve que le traumatisme n’est pas complètement guéri, beaucoup de frontistes «ont eu du mal à accepter que ceux qui sont revenus aient accès à des postes importants», note le journaliste David Doucet, auteur avec Dominique Albertini d’une «Histoire du Front national» (Tallandier).

Un membre du bureau politique du FN affirme ainsi à l’AFP que les ex-mégrétistes sont toujours suspectés de «mauvaise foi» notamment par le «clan Le Pen», dans lequel il inclut Jean-Marie Le Pen, la députée Marion Maréchal-Le Pen, le vice-président Louis Aliot, et Yann Le Pen, la soeur de Marine, qui organise les meetings FN.

«Les plaies de cette scission ne sont pas totalement effacées mais s’estompent», lâche l’un des quatre. Avant d’ajouter au sujet de l’avenir du FN : «Il ne faudra tout de même pas faire de prime à l’infidélité».

«C’est de l’histoire ancienne», veut croire quant à lui Nicolas Bay. Si critiques il y a, «ça vient de gens plus royalistes que le roi», évacue de son côté Marine Le Pen.

Au rang des différences notables d’avec le mégrétisme, la stratégie d’alliances.

Le maire de Vitrolles voulait s’allier avec la droite --un pari globalement raté -- : «Si j’avais gagné, j’aurais dédiabolisé, tendu la main au RPR et multiplié les alliances», raconte M. Mégret. Marine Le Pen, quant à elle, est tenante du «ni droite ni gauche»: «J’ai toujours soupçonné Mégret de vouloir devenir l’UDF du RPR. 

C’est très éloigné de l’objectif qui est le mien».

Un parti moins fort

Avec les prochaines municipales et européennes, le parti espère enfin retrouver son zénith.

Le FN est-il désormais à un niveau plus élevé qu’à l’époque Mégret ? Marine Le Pen n’est pas affirmative : «Je l’espère bien sûr.»
Avec certes deux députés contre zéro à l’époque, le FN n’a aussi que deux conseillers généraux contre cinq début 1998, 118 conseillers régionaux contre 239, 3 eurodéputés contre 11.

Mais si le FN n’a toujours pas rattrapé son niveau, c’est d’après Mme Le Pen parce que «le système gère mal, mais se défend bien. Aujourd’hui, de nombreux obstacles sont organisés contre nous. De 95 à 2002, le FN émerge.»

Un propos contredit par M. Doucet : «Le FN était au centre du jeu: à cause de lui, la droite perd les législatives de 1997, et lors des régionales de 98, elle est sur le point de craquer», quand quatre présidents de régions UDF sont élus avec des voix FN.

Pour M. Crépon, «si le FN attire encore des technocrates, s’il arrive à faire élire beaucoup de conseillers municipaux qui s’implantent localement, si contrairement à son père elle laisse se constituer des baronnies, d’ici deux ans il peut être à son niveau structurel des années 90.»

Et qu’en pense Bruno Mégret ? Peu disert, il manie la litote : «Marine Le Pen jouit d’une situation politique extraordinairement favorable dont on n’a jamais bénéficié».