Liban Diaspora 1/2
Par René Naba
«L’histoire se rit des prophètes désarmés», Machiavel. L’Histoire se rit aussi des peuples désarmés et déboussolés.
Contribution de René Naba à
l’histoire de l’émigration libanaise en Afrique occidentale française à
l’occasion de la célébration du premier centenaire de cet évènement en
2014 (1).
Prologue: Un fardeau de l’Homme blanc ou une prédation de la planète?
«C’était au début du printemps 1750 que
naquit le fils d’Omoro et de Binta Kinté, dans le village de Djoufforé, à
quatre jours de pirogue de la côte de Gambie». ((Roots : The saga of an
american family (1976) Alex Haley, titre de l’ouvrage en français
«Racines». De son vrai nom Alexander Murray Palmer Haley, né le 11 août
1921 à Ithaca et mort le 10 février 1992 à Seattle. Ecrivain noir
américain, il est connu notamment grâce à sa collaboration à
l’autobiographie de Malcolm X et surtout Roots, le livre qui changea la
compréhension du problème noir aux Etats-Unis).
Curieux cheminement. Curieux croisement:
alors que l’Africain du Sine Salloum, région natale de l’auteur de
l’ouvrage «Roots», en même temps que celle du signataire de ce papier,
était extirpé de ses racines par les colonisateurs de la Sénégambie pour
se projeter au-delà des océans en vue de contribuer à la prospérité du
Nouveau Monde, le Libanais, au XVIII me-XIX me siècle, était conduit à
l’exode sous l’effet des contraintes économiques.
Un mouvement parallèle… Le Noir allait
peupler l’Amérique, quand le Libanais et le Syrien se substituaient à
lui sur son continent, comme intermédiaire entre colonisateurs et
colonisés. Au XIX me siècle, sous le joug de l’empire ottoman, le
mouvement portait les Libanais vers l’Amérique latine. Au XX me siècle,
sous le joug colonial, le mandat français au Levant le bifurquait
principalement vers l’Afrique.
Cinquante-deux millions de personnes,
colons en quête d’un gagne-pain, aventuriers en quête de fortune,
militaires en quête de pacification, administrateurs en quête de
considération, missionnaires en quête de conversion, tous en quête de
promotion, se sont expatriés du «Vieux Monde», en un peu plus d’un
siècle (1820-1945), à la découverte des nouveaux mondes, lointains
précurseurs des travailleurs immigrés de l’époque moderne. Au rythme de
500 000 expatriés par an en moyenne pendant 40 ans, de 1881 à 1920, 28
millions d’Européens auront ainsi déserté l’Europe pour peupler
l’Amérique, dont 20 millions aux Etats-Unis, huit millions en Amérique
latine, sans compter l’Océanie (Australie, Nouvelle Zélande), le Canada,
le continent noir, le Maghreb et l’Afrique du sud ainsi que les confins
de l’Asie, les comptoirs enclaves de Hong Kong, de Pondichéry et de
Macao. 52 millions d’expatriés, soit le double de la totalité de la
population étrangère résidant dans l’Union Européenne à la fin du XX me
siècle, un chiffre sensiblement équivalent à la population française.
Principal pourvoyeur démographique de la
planète pendant cent vingt ans, l’Europe réussira le tour de force de
façonner à son image deux autres continents, l’Amérique dans ses deux
versants ainsi que l’Océanie et d’imposer la marque de sa civilisation à
l’Asie et l’Afrique. «Maître du monde» jusqu’à la fin du XX me siècle,
elle fera de la planète son polygone de tir permanent, sa propre soupape
de sécurité, le tremplin de son rayonnement et de son expansion, le
déversoir de tous ses maux, une décharge pour son surplus de population,
un bagne idéal pour ses trublions, sans limitation que celle imposée
par la rivalité intra européenne pour la conquête des matières
premières.
En cinq siècles (XVe-XXe), 40 pour cent
du monde habité aura ainsi peu ou prou ployé sous le joug colonial
européen. Prenant le relais de l’Espagne et du Portugal, initiateurs du
mouvement, la Grande-Bretagne et la France, les deux puissances
maritimes majeures de l’époque, posséderont à elles seules jusqu’à 85
pour cent du domaine colonial mondial et 70 pour cent des habitants de
la planète au début du XX me siècle, pillant au passage, le Portugal et
l’Espagne l’or d’Amérique du sud, l’Angleterre les richesses de l’Inde,
la France le continent africain.
II – L’effet Boomerang: «L’invasion barbare».
Par un rebond de l’histoire, dont elle
connait seule le secret, l’effet boomerang interviendra au XXe siècle.
L’Europe, particulièrement la France, pâtira de sa frénésie belliciste,
avec l’enrôlement de près de 1.2, millions des soldats de l’outre-mer
pour sa défense lors des deux guerres mondiales (1914-1918/1939-1945) et
la reconstruction du pays sinistré. Au point que par transposition du
schéma colonial à la métropole, les Français, par définition les
véritables indigènes de France, désigneront de ce terme les nouveaux
migrants, qui sont en fait des exogènes; indice indiscutable d’une grave
confusion mentale accentué par les conséquences économiques que cette
mutation impliquait.
L’indépendance des pays d’Afrique
neutralisera le rôle du continent noir dans sa fonction de volant
régulateur du chômage français. L’arabophobie se substitue alors à la
judéophobie dans le débat public français avec la guerre d’Algérie
(1954) et la Guerre de Suez (1956), avant de muter en Islamophobie avec
la relégation économique de la France à l’échelle des grandes
puissances. La xénophobie française se manifestera alors d’une manière
inversement proportionnelle à la gratitude de la France à l’égard des
Arabes et des Musulmans, dans le droit fil de son comportement post
guerre mondiale à Sétif, en Algérie, en 1945, et à Thiaroye, en 1946, au
Sénégal.
Cinq siècles de colonisation intensive à
travers le monde n’auront ainsi pas banalisé la présence des «basanés»
dans le regard européen, ni sur le sol européen, pas plus que dans
l’imaginaire occidental, de même que treize siècles de présence continue
matérialisée par cinq vagues d’émigration n’ont conféré à l’Islam le
statut de religion autochtone en Europe, où le débat, depuis un
demi-siècle, porte sur la compatibilité de l’Islam et de la République,
comme pour conjurer l’idée d’une agrégation inéluctable aux peuples
d’Europe de ce groupement ethnico-identitaire, le premier d’une telle
importance sédimenté hors de la sphère européocentriste et
judéo-chrétienne.
Les interrogations sont réelles et
fondées, mais par leur déclinaison répétitive (problème de la
compatibilité de l’Islam et de la Modernité, compatibilité de l’Islam et
de la Laïcité, identité et serment d’allégeance au drapeau), les
variations sur ce thème paraissent surtout renvoyer au vieux débat
colonial sur l’assimilation des indigènes, comme pour démontrer le
caractère inassimilable de l’Islam dans l’imaginaire européen, comme
pour masquer les antiques phobies chauvines, malgré les copulations
ancillaires de l’outre-mer colonial, malgré le brassage survenu en
Afrique du Nord et sur le continent noir, malgré le mixage démographique
survenu notamment au sein des anciennes puissances coloniales
(Royaume-Uni, France, Espagne, Portugal et Pays Bas) du fait des vagues
successives des réfugiés du XX me siècle d’Afrique, d’Asie, d’Indochine,
du Moyen-Orient et d’ailleurs, malgré les vacances paradisiaques des
dirigeants français à l’ombre des tropiques dictatoriaux; comme pour
dénier la contribution des Arabes à la Libération de la France; le rôle
de la Libye et de l’Irak de soupape de sûreté à l’expansion du complexe
militaro industriel français avec leurs «contrats du siècle», en
compensation du renchérissement du pétrole consécutif à la guerre
d’octobre (1973), le rôle supplétif des djihadistes islamistes sous
tutelle occidentale en tant que fers de lance du combat dans l’implosion
de l’Union soviétique, dans la décennie 1980, en Afghanistan, puis dans
l’implosion de la Yougoslavie (Bosnie et Kosovo), dans la décennie
1990, enfin contre la Syrie, dans la décennie 2010.
Au-delà de la polémique sur la question
de savoir si «l’Islam est soluble dans la République ou à l’inverse si
la République est soluble dans l’Islam», la réalité s’est elle-même
chargée de répondre au principal défi interculturel de la société
européenne au XXI me siècle. Soluble ou pas, hors de toute supputation,
l’Islam est désormais bien présent en Europe d’une manière durable et
substantielle, de même que sa démographie relève d’une composition
interraciale, européenne certes, mais aussi dans une moindre proportion,
arabo-berbère, négro-africaine, turque et indo-pakistanaise: Quatre
mille mosquées, douze millions de fidèles, et 2,6 pour cent de la
population européenne est d’origine musulmane, selon les statistiques
officieuses concernant les 15 pays de l’Europe occidentale communiquées
avant l’adhésion massive des 12 pays de l’Europe centrale et orientale.
Premier pays européen par l’importance de sa communauté musulmane, la
France est aussi, proportionnellement à sa superficie et à sa
population, le plus important foyer musulman du monde occidental. Avec
près de cinq millions de musulmans, dont deux millions de nationalité
française, elle compte davantage de musulmans que pas moins de huit pays
membres de la Ligue arabe (Liban, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats
Arabes Unis, Palestine, Iles Comores et Djibouti). Elle pourrait, à ce
titre, justifier d’une adhésion à l’Organisation de la Conférence
Islamique (OCI), le forum politique panislamique regroupant
cinquante-deux Etats de divers continents ou à tout le moins disposer
d’un siège d’observateur.
En comparaison, pour une superficie de
9,3 millions de km2 et une population de 280 millions d’habitants, Les
Etats-Unis comptent près de 12 millions de musulmans dont 3,5 millions
d’arabo américains et 1 200 mosquées. La communauté musulmane de France
se décompose comme suit: deux millions de Maghrébins, deux millions de
nationalité française, la plupart originaires d’Algérie et rapatriés en
France au moment de l’indépendance de ce pays, ainsi que 400. 000
africains, 300. 000 turcs et 100.000 asiatiques. En vingt ans
(1980-2000), près de trois mille associations ont été fondées et mille
cinq cents lieux de culte édifiés, parmi lesquelles cinq grandes
Mosquées, dont trois dans la région parisienne Paris, Evry et
Mantes-La-Jolie, ainsi qu’à Lyon et Lille.
Socle principal de la population
immigrée malgré son hétérogénéité linguistique et ethnique, avec près de
20 millions de personnes, dont cinq millions en France, la communauté
arabo-musulmane d’Europe occidentale apparaît en raison de son
bouillonnement -boutade qui masque néanmoins une réalité- comme le 28 me
Etat de l’Union européenne. En s’y greffant, l’admission de la Turquie,
de l’Albanie et du Kosovo au sein de l’Union européenne porterait le
nombre des musulmans à près de 100 millions de personnes, représentant 5
pour cent de la population de l’ensemble européen, une évolution qui
fait redouter à la droite radicale européenne la perte de l’homogénéité
démographique de l’Europe, à la blancheur immaculée de sa population et
aux «racines chrétiennes de l’Europe». Au point que l’UMP, le parti
sarkoziste en France, a institué une clause de sauvegarde, soumettant à
référendum l’adhésion de tout nouveau pays dont la population excède
cinq pour cent de l’ensemble démographique européen.
Pour un observateur non averti, le
décompte est impressionnant: l’agglomération parisienne concentre à elle
seule le tiers de la population immigrée de France, 37 pour cent
exactement, tous horizons confondus (Africains, Maghrébins, Asiatiques,
et Antillais), alors que 2,6 pour cent de la population d’Europe
occidentale est d’origine musulmane, concentrée principalement dans les
agglomérations urbaines. Son importance numérique et son implantation
européenne au sein des principaux pays industriels lui confèrent une
valeur stratégique faisant de la communauté arabo-musulmane d’Europe le
champ privilégié de la lutte d’influence que se livrent les divers
courants du monde islamique et partant le baromètre des convulsions
politiques du monde musulman.
Fait désormais irréversible, l’ancrage
durable des populations musulmanes en Europe, la généralisation de leur
scolarisation, l’affirmation multiforme de leur prise de conscience
ainsi que l’irruption sur la scène européenne des grandes querelles du
monde islamique, le bouleversement du paysage social et culturel
européen qu’elles auront impliquées au dernier quart du XX me siècle ont
impulsé un début de réflexion en profondeur quant à la gestion à long
terme de l’Islam domestique. Toutefois, sous l’effet de la précarité
économique et de la montée des conservatismes, l’Europe, sous couvert de
lutte contre le terrorisme, en particulier la France, a pratiqué depuis
un quart de siècle une politique de crispation sécuritaire illustrée
par la succession de lois sur l’immigration (lois
Debré-Pasqua-Chevènement-Sarkozy-Hortefeux), apparaissant comme l’un des
pays européens les plus en pointe dans le combat anti-migratoire, alors
même que sa population immigrée a baissé de 9 pour cent en une décennie
(1990-1999).
L’euphorie qui s’est emparée de la
France à la suite de la victoire de son équipe multiraciale à la coupe
du monde de Football, en Juillet 1998, n’a pas pour autant résolu les
lancinants problèmes de la population immigrée, notamment l’ostracisme
de fait dont elle est frappée dans sa vie quotidienne, sa
sous-employabilité et la discrimination insidieuse dont elle fait
l’objet dans les lieux publics, avec les conséquences que comportent une
telle marginalisation sociale, l’exclusion économique et, par la
déviance qu’elle entraîne, la réclusion carcérale. Les attentats
anti-américains du 11 septembre 2001 ont relancé la xénophobie latente
au point que se perçoit lors des grands pics de l’actualité, tel
l’attentat de Madrid du 11 mars 2004, une véritable ambiance
d’arabophobie et d’islamophobie.
Trente ans après la révolution opérée
dans le domaine de la communication, dix ans après la communion
interraciale du «Mundial 1998», les Arabes et les Africains demeurent en
France des «indigènes», sous-représentés dans la production de
l’information, d’une manière générale dans l’industrie du divertissement
et de la culture, et d’une manière plus particulière dans les cercles
de décision politique pour l’évidente raison qu’ils sont difficilement
perçus comme des producteurs de pensées et de programmes, alors que leur
performance intellectuelle ne souffre la moindre contestation.
Au seuil du III me millénaire, la France
souffre d’évidence d’un blocage culturel et psychologique marqué par
l’absence de fluidité sociale. Reflet d’une grave crise d’identité, ce
blocage est, paradoxalement, en contradiction avec la configuration
pluriethnique de la population française, en contradiction avec l’apport
culturel de l’immigration, en contradiction avec les besoins
démographiques de la France, en contradiction enfin avec l’ambition de
la France de faire de la Francophonie, l’élément fédérateur d’une
constellation pluriculturelle ayant vocation à faire contrepoids à
l’hégémonie planétaire anglo-saxonne, le gage de son influence future
dans le monde.
Au seuil du XXI me siècle, la France
offre ainsi le spectacle d’un état aux pouvoirs érodés tant par la
construction européenne que par la mondialisation, une société marquée
par la désagrégation des liens collectifs, de partis politiques coupés
des couches populaires, d’une gauche socialiste à la remorque des thèmes
de mode, d’une droite à la dérive reniant ses idéaux, les deux dévastés
par les affaires de corruption avec un noyau dur de l’extrême droite
représentant 1/5 du corps électoral, une nation mimée par la montée des
corporatismes et du communautarisme ainsi que par l’exacerbation, sur
fond des guerres de prédation des économies de la rive sud de la
Méditerranée (Libye, Syrie), se superposant au conflit
israélo-palestinien et à l’antagonisme judéo arabe sur le territoire
national. Une France plongée dans la pénombre, en pertes de repères, en
quête de sens, victime des remugles de sa mémoire. Le contentieux non
apuré en France à propos de Vichy et de l’Algérie continue de hanter la
conscience française, de même que son passif post colonial. Sur le flux
migratoire mondial au XX me siècle http://www.renenaba.com/les-colonies-avant-gout-du-paradis-ou-arriere-gout-denfer/
III – La France: «La tendre mère des Libanais»?
Les faits sont patents: Quinze millions
d’Africains ont été expédiés «au-delà des océans» pour faire place dans
«l’outre-mer» aux Espagnols, Portugais, Anglais, Français, même
Allemands, enfin Libanais. Pour des impératifs économiques non des
considérations humanitaires ou l’effet du hasard.
L’idée donc que le Libanais a débarqué
en Afrique par inadvertance du fait d’une erreur de navigation des
cargos-négriers est une fable et une farce. Si la première cargaison de
Marseille en route pour Rio de Janeiro a débarqué à Dakar (Sénégal), par
hasard, c’est qu’elle répondait en fait à une exigence de rentabilité
des compagnies négrières, qui ne sont pas des dentellières et ne font
pas dans la dentelle. Un trajet infiniment plus court que la traversée
de l’Atlantique sud, une rotation plus fréquente, une rentabilité plus
grande.
Le déroutement vers l’Afrique du flux
migratoire libanais s’amplifiera prenant un tour systématique avec
l’instauration du Mandat Français sur le Liban et la Syrie, répondant à
un double objectif:
-Réduire l’importance numérique chiite
dans le recensement démographique visant à la répartition sur une base
confessionnelle du pouvoir dans le système constitutionnel libanais en
vue de confier les rênes du gouvernement au tandem maronite sunnite en
vue de faire du Liban le point de jonction de l’Islam et de la
chrétienté à un moment charnière de l’expansion économique européenne
vers le flanc sud de la Méditerranée.
Avec pour objectif ultime de conférer un
primat maronite au «pays des cèdres, du lait et du miel», non pour en
faire un réduit chrétien comme se sont appliqués à le faire les milices
chrétiennes durant la guerre interconfessionnelle (1975-1990), mais «un
Foyer National Chrétien» symétrique au «Foyer National Juif» de la
promesse Balfour (1917) de la Grande Bretagne.
-Placer les Libanais émigrés d’Afrique
en situation d’intermédiaires entre colons et colonisés, entre les
blancs résidant dans les grandes villes côtières et les noirs peuplant
la brousse africaine. A ce titre l’émigration libanaise en Afrique a été
une émigration d’exploitation, celle d’Amérique latine une émigration
de peuplement.
Une lecture fractale de cette séquence
historique révèlera que la France «La tendre mère» des Libanais n’a pas
été si tendre que cela, ni maternelle. Le pays qui a institutionnalisé
et instrumentalisé le confessionnalisme du Liban aura procédé à une
répartition du travail dans ses colonies sur une base raciale.
La permanence de la dénomination de rues
baptisées du temps du mandat français au Liban (1923-1943), telles
qu’Ernest Renan, le grand déchiffreur du mystère libanais pour le compte
des services français, Maurice Barrès, le chantre de l’identité
française, thématique récurrente du débat public en France avec son
cortège de stigmatisations, ou encore du Général Henri Gourraud, artisan
du grand Liban, mais dépeceur du bassin historique de la Palestine, ou
enfin Georges Picot, le négociateur maladroit face à Sykes du partage du
Levant en zones d’influence franco-britanniques, témoignent de la
persistance d’une certaine forme de servitude volontaire du Liban à
l’égard du legs colonial.
Particulièrement Henri Gouraud et
Georges Picot, sur des grandes artères de la capitale libanaise,
artisans de la balkanisation du Monde arabe. Gouraud, l’homme qui
captura, en 1898, Samory Touré, le chef mandingue, qui s’opposait aux
colonisateurs du Soudan français (Mali), Gouraud, l’une des figures
importantes de l’histoire de la colonisation française, l’homme qui
colonisa le Niger, le Tchad et la Mauritanie, l’homme qui sonna la
charge contre les résistants syriens à la bataille de Mayssaloune
(1925), dans laquelle périra le ministre syrien de la défense, Youssef
Al Azmeh, ainsi que près de 400 des siens dans la bataille fondatrice de
la conscience nationale syrienne.
Cent ans après la première vague
d’émigration libanaise en Afrique, il importait que ce fait soit
souligné et qu’il soit procédé à une décolonisation des mentalités.
Particulièrement les Chrétiens en ce que «La fille ainée de l’Eglise et
protectrice des chrétiens d’orient» aura été l’un de leurs plus
importants fossoyeurs. Aux antipodes du rôle de la Russie, véritable
protectrice de l’orthodoxie orientale. De l’expédition de Suez, en
1956, contre l’Egypte nassérienne, qui a provoqué l’exode des chrétiens
d’Egypte, à l’expédition de Syrie, 57 ans après, qui a entrainé l’exode
des chrétiens de Syrie, deux opérations dont la France a eu un rôle
aiguillon, à la caution du génocide arménien en Turquie, par
l’amputation du district d’Alexandrette à la Syrie et son attribution à
la Turquie en prime de son forfait.
- http://www.renenaba.com/chretiens-dorient-le-singulier-destin-des-chretiens-arabes/
- http://www.renenaba.com/chretiens-dorient-le-singulier-destin-des-chretiens-arabes-2/
- http://www.renenaba.com/genocide-armenien-le-jeu-trouble-de-la-france/
Oyez manant. Le centenaire est un âge
adulte, un âge de vérité. Réveillons-nous de notre sommeil dogmatique
dans lequel nous nous berçons par paresse mentale: Le tryptique
républicain (Liberté, Egalité, Fraternité) a constitué le mythe
fondateur de l’exception française en ce que la colonisation a été est
le fossoyeur de l’idéal républicain en ce que la liberté du colonisateur
a été la négation de la Liberté du colonisé;
L’égalité, bafouée par la codification
discriminatoire fondée sur le «gobino-darwinisme juridique» avec le
«Code Noir» de l’esclavage, sous la Monarchie et le «Code de
l’indigénat» en Algérie, sous la République, et leur prolongement, les
«expositions ethnologiques», ces « zoos humains» dressés pour ancrer
dans l’imaginaire collectif des peuples du tiers monde l’idée d’une
infériorité durable des «peuples de couleur». Enfin, la Fraternité, si
la fraternisation sur les champs de bataille a bien eu lieu, la
fraternité jamais. La cristallisation des salaires des anciens
combattants d’outre-mer en fait foi. Et le Bougnoule demeurera à jamais
la marque de stigmatisation absolue, le symbole de l’ingratitude
absolue.
Pour une décolonisation des esprits et la déconstruction de la notion du «Rôle positif de la colonisation de la France.»
- http://www.renenaba.com/a-propos-du-role-positif-de-la-colonisation/
- http://www.renenaba.com/le-bougnoule-sa-signification-etymologique-son-evolution-semantique-sa-portee-symbolique/
IV – Les ambivalences libanaises
Le sentiment de supériorité des Libanais
est un fait patent, de notoriété publique. Un libanais, téméraire ou
inconscient ?, en fera le diagnostic clinique dans une étude au titre
ravageur «Le syndrome de supériorité, étude sur un pays en phase de
coma». Explicite et expéditif.
Au survol des siècles s’offre en effet au regard, un panorama à deux dimensions, télescopage des ambivalences libanaises.
Certes le Liban peut s’enorgueillir de
son legs biblique, du fait que le nom Liban apparait 75 fois dans
l’ancien testament, de même que le Cèdre l‘emblème national du Liban,
dont le bois servit à la construction du Temple de Salomon. De son
héritage historique et archéologique aussi. Seul pays arabe à ne pas
disposer de désert, il compte néanmoins quinze fleuves ou rivières
(Oronte, Zahrani, Hasbani, Awali, Bardaouni etc..).
Occupé à travers l’histoire par 16 états
ou peuples (Egyptiens, Hittites, Assyriens, Babyloniens, Perses,
Byzance, les Croisés, la conquête arabe, l’empire ottoman la France et
Israël; sa capitale, Beyrouth, détruite et reconstruite sept fois dans
l’histoire, lui vaut le qualificatif de Phénix. A la jonction de deux
mondes, Occident et Orient, elle figure parmi les dix destinations
préférées des touristes au Monde pour la qualité de son accueil, mais
aussi pour son patrimoine archéologique. Beryte et sa faculté de droit
de l’époque romaine, la première au monde, Baalbek, la cité du soleil,
son Temple de Jupiter et de Bacchus; Byblos (de la bible), dont la
légende lui attribue la paternité du premier alphabet au Monde), Cana où
s’est produit le miracle de la transformation de l’eau en vin selon le
récit chrétien, enfin Tyr et Sidon, à qui l’on attribue le mérite de la
découverte du gouvernail de la navigation, dont les Phéniciens, les
habitants originels du pays, en feront un usage judicieux pour la
conquête de Carthage (Tunisie actuelle).
De sa diversité et sa pluralité (18
communautés religieuses, dont 40 pour cent de chrétiens, la plus forte
proportion dans le Monde arabe), de sa presse (quarante quotidiens), de
son fort coefficient de diplômés (47 universités, dont 70 pour cent des
étudiants formés dans des instituts privés), de son système bancaire
(une centaine de banques de plein exercice, sans compter leurs
succursales dans les divers quartiers des grandes villes et des
provinces libanaises), une des plus fortes concentrations au Monde pour
un pays de 10.452 km carrés et 4,5 millions d’habitants.
Sur la contribution des libanais à la civilisation, notamment dans le domaine de l’esprit:
- http://www.renenaba.com/les-tribulations-de-la-presse-libanaise-1/
- http://www.renenaba.com/les-tribulations-de-la-presse-libanaise-2/
Il n’en demeure pas moins de fortes
réserves sur ce bilan contrasté: Si l’homme le plus riche du Monde est
un Libanais, Carlos Slim (Mexique), son pays d’origine bien que gouverné
depuis près de trente ans par des milliardaires (Rafic et Saad Hariri,
Najib Mikati) n’en abrite pas moins une population dont 30 pour cent se
situe au-dessous du seuil de pauvreté. Certes, deux ministres de
l’écologie dans les pays d’émigration, l’un en Afrique Ali Haidar
(Sénégal) et Viviane Abdel Baki (Amérique latine), sont d’ascendance
libanaise, mais leur pays d’origine fait depuis longtemps office de
dépotoir des déchets toxiques des pays industrialisés.
Certes aussi, deux sommités médicales
internationales, Pete Medawar (Brésil Royaume Uni, codétenteur du Prix
Nobel de physiologie 1968 pour les greffes d’organes), et Michael E. De
Bakey (Texas-chirurgie cardiaque), libanais d’ascendance, sont issus
d’un pays qui possède une forte structure médicale, -un docteur pour 10
personnes-, mais les tarifs anarchiques et dissuasifs que la corporation
pratique découragent les porteurs des plus lourdes pathologies, faisant
du Liban, un pays de médecine de riche pour riches patients.
Dans des registres différents, deux
êtres aux antipodes figurent également au palmarès de par leur parcours:
Ralph Nader (Etats-Unis), initiateur de l’écologie économique dans une
posture qui fait honneur au courage en politique, et, Robert Bourgi
(Sénégal), convoyeur des djembés et mallettes, dans une démarche qui
fait tout à la fois honte à l’Afrique, à la France et au Liban en ce
qu’il n’appartient pas au tiers monde arabo-africain de soutenir le
train de vie de l’élite politico-médiatique française et ses vacances
paradisiaques, sur le budget du contribuable des peuples affamés. Une
honte à l’Afrique de nourrir ses bourreaux en ce que la vénalité
française et la corruption africaine, constituent une combinaison
corrosive, dégradante pour le donateur, avilissante pour le
bénéficiaire.
Un spectacle à deux dimensions. L’une
des plus fortes diasporas au Monde sur cinq continents exploite, pour sa
domesticité, le lumpen prolétariat du sous-continent indien dans des
conditions si drastiques qu’elles s’apparentent à la traite négrière
d’antan.
L’un des plus importants réceptacles des
populations marginalisées de l’histoire, des réfugiés palestiniens aux
réfugiés syriens, soit le tiers de la population nationale, extirpés de
leur lieu de vie, victimes des pulsions mortifères des puissances
occidentales, qu’une large fraction des Libanais continue de chérir,
au-delà du raisonnable, particulièrement notre «tendre mer». Une société
contestataire en contiguïté avec un système reposant sur le
clientélisme confessionnel, se perpétuant au pouvoir selon la tradition
de successorale de la féodalité clanique depuis l’indépendance du Liban
en 1943, il y a soixante-dix ans, intégrant les aléas des rapports de
forces régionaux.
Nabih Berry, un chiite, originaire d’un
village diamantifère de Sierra Leone, propriétaire d’un important
patrimoine immobilier et présidant depuis 20 ans le parlement libanais,
en concomitance avec le clan Hariri (Rafic et Saad), façonné par le
wahhabisme de l’Arabie saoudite, principal latifundiaire du Liban et
président le gouvernement libanais depuis la même période que le chiite,
enfin, érigeant en industrie, toute classe politique et clivage
confessionnelle confondues le martyrologue Libanais.
De Patrice Lumumba (1961, Congo
Kinshasa) à Steve Biko (1977, Afrique du sud) à John et Robert Kennedy
et Martin Luther King (1963-1968, Etats-Unis), à Ernesto Che Guevara De
La Serna (1967, Bolivie) et Salvador Allende (1973, Chili), à Bobby
Sands (1981-Irlande du Nord), au Mahatma Gandhi (1948) et Indira Gandhi
(1984, Inde), à Zulficar Ali Bhutto (1973) et Benazir Bhutto (2007,
Pakistan): Tous les continents regorgent en effet de personnages
charismatiques, héros mythiques tombés sur le champ d’honneur du combat
politique.
Mais nulle part ailleurs qu’au Liban le
culte des martyrs ne prend une telle ampleur. Au point que la vénération
posthume des chefs de clan, la plupart fourvoyés dans des causes
perdues, ressortit d’une industrie du martyrologe, une rente de
situation pour les ayants droits, un passe-droit permanent. Le martyr
est commun à tous les peuples de la planète, mais sa redondance est une
spécialité libanaise. Peu de famille demeure dans la sobriété. Beaucoup
verse dans l’ostentation. Le martyr est brandi comme un trophée, sous le
halo du martyr couve en fait une vaste mystification. Une spécialité
purement libanaise, équivalent en France à «l’exception française». Une
spéciosité des peuples spécieux.
Notes
1–Contribution de René Naba (natif de
Kaolack, dans la région du Sine Salloum (Sénégal) à l’histoire de
l’émigration libanaise en Afrique occidentale française à l’occasion de
la célébration du premier centenaire de cet évènement. Prestation
présentée dans le cadre d’un Mémoire de Melle Marie Joanna Abi Jaoudé en
vue de l’obtention du diplôme Master pro en information et
communication. Département de sociologie et d’anthropologie
de l’Université Saint Joseph-Beyrouth Liban-Juillet 2013 Beyrouth.
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