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lundi 27 janvier 2014

Prospective : Le Forum Économique Mondial et les trois scénarios de gouvernance en 2050

Les moutons enragés.

Le Forum Économique Mondial de Davos n’est pas seulement un lieu ou les puissants du monde politique, économique et financier font leur exercice de communication devant les décideurs pendant 3 jours. C’est également un producteur imposant de projets, de rapports, de recommandations aux décideurs politiques dont l’analyse permet de cerner les tendances pour les années à venir. Aujourd’hui j’analyserai les scénarios de gouvernance pour 2050 construits par les groupes de travail du Forum.  

Prospective : Le Forum Économique Mondial et les trois scénarios de gouvernance en 2050

L’analyse de cette production est particulièrement intéressante en ce qu’elle reflète des points de vue consensuellement adoptés par les grandes organisations internationales (FMI, OCDE etc…) qui participent à cette production et qui, à terme, vont influencer les politiques menées au niveau régional ou national.

Aujourd’hui, plongée au sein de la section sur le « futur du gouvernement«  (Future of Government) dont voici l’introduction :

Le futur peut être imaginé de différentes manières. L’équipe de Prospective Stratégique du Forum Économique Mondial et le Global Agenda Council* sur le Futur du Gouvernement ont développé trois scénarios sur la manière dont le monde de la gouvernance pourrait évoluer d’ici 2050. Les scénarios ont pour but de supporter un dialogue stratégique sur les options que nous avons aujourd’hui pour façonner les systèmes de gouvernance désirés dans le futur.
(Sur ces Global Agenda Councils, chacun est constitué d’une vingtaine « d’experts » en charge de travailler sur des questions globales. Il y en a environ 80 sur toutes les thématiques…) Les deux organes qui nous concernent pour cet article sont :
- Le Global Agenda Council on the Futur of Government (dont l’objectif, la composition et les groupes de travail sont disponibles ici (mention spéciale à Jacques Attali, toujours dans les bons coups)). Parmi les membres : MIT, Business School Diverses, Institut européen d’administration des affaires, ministre des Finances suédois, le cofondateur de Wikipédia et directeur de Wikimédia Jimmy Wales, Jacques Attali, OCDE, le directeur de Google Ideas etc… (j’aimerais penser que Google et Wikimédia représentent la société civile mais …)

- L’équipe de Strategic Foresight (dont les objectifs et le rôle, pas la composition, sont disponibles ici)
Quels sont donc les trois scénarios « cohérents et plausibles » que ces équipes ont réalisés pour envisager 2050 et qui doivent servir à poser les questions importantes dès aujourd’hui ?

1° CityState : Un monde où l’autorité est décentralisée, et où le pragmatisme l’emporte sur l’idéalisme dans le traitement des problèmes collectifs. (présentation)
2° e1984 : Un monde dans lequel la promesse du BIg Data est réalisée, les menaces économiques, géopolitiques et les cybermenaces sont omniprésentes et la « solidarité collective » est au coeur des valeurs sociales. (présentation)
3° Gated Community : Un monde dans lequel le « Big Government » est brisé. Le pouvoir politique repose sur les individus et les organisations du secteur privé. La responsabilité et les choix individuels prévalent dans la société et le secteur privé est devenu le principal fournisseur de services collectifs. (présentation)

Chaque présentation est décomposée de la manière suivante : « Comment en sommes-nous arrivés la ? » – Description – « Quelles questions devrions-nous nous poser dans ce monde ? » Je retiendrai « Origine – Description – Enjeux » (pour plus de clarté

  1. City State :
    - Origine : L’urbanisation a mené à l’augmentation du nombre des villes, de leurs poids et des fusions. La taille de ces villes leur permet d’agir plus facilement et d’innover. Cela augmente leur pouvoir et leur « pertinence » comme échelon de gouvernance vis à vis des échelons nationaux. C’est le temps des maires, qui ont désormais des pouvoirs politiques énormes.
    - Description : L’autonomie des villes à travers la constitutions de corridors et de méga-corridors reliants les villes enjambe les frontières nationales. Des villes-états apparaissent, avec un poids tellement important que le gouvernement est décentralisé à cet échelon. Une forte division entre l’espace urbain et l’espace rural se fait. L’échelon des villes et des villes-états sont les centres du pouvoir politique en raison des interdépendances économiques et des valeurs partagées parmi les citoyens. Ces citoyens s’identifient davantage à la ville dans laquelle ils vivent, plutôt qu’à des concepts comme l’État-Nation. Cette situation mène à une diversité de systèmes politiques. Les villes collaborent à leurs problèmes, ce sont les centres d’innovation et l’échelon pertinent pour une mise en oeuvre efficace et rapide des services réclamés par les citoyens. Les problèmes globaux se traitent par la coopération entre les villes et les « méga-régions » et par la diffusion des meilleures pratiques.
    - Enjeux : Parmi les questions à se poser : Est-ce-que ce monde est enclin au conflit ? Que deviennent les constructions politiques nationales et régionales ? Quel sera l’impact sur les migrations et comment le gérer ?
  2. e1984 :
    - Origine : Face à la volatilité économique et géopolitique ainsi qu’à la montée des inquiétudes sur la cyber-sécurité, on assiste une recrudescence du nationalisme. Les citoyens sont prêts à échanger certaines libertés pour un sens accru de la sécurité collective. Fatigués de la politique, les citoyens recherchent des systèmes traditionnels de gouvernance qui mettent l’accent sur l’efficacité.
    - Description : C’est désormais le Big Data qui définit la conception et la mise en oeuvre des politiques. La confiance que les citoyens mette dans leur gouvernement lui permet d’analyser de vastes sommes de données qui lui permette une analyse complète des comportements, valeurs et aspirations de la population pour fournir des services ciblés. Le pouvoir est centralisé au niveau national et confié à des gouvernements technocratiques. La sécurité collective prend le pas sur les préférences individuelles. Les frontières physiques s’étendent au monde numérique et à l’internet pour contrer des cyber-attaques de plus en plus sophistiquées. Le sacrifice des libertés pour la sécurité collective conduit à un manque de motivation et d’implication dans la vie politique.
    - Enjeux : Est-ce-que le Big Data conduit à de « meilleures politiques » ? Quel rôle pour le secteur privé ? Quelles politiques pourraient être mises en oeuvre efficacement et effectivement ? Comment protéger les droits individuels ? Comment les valeurs sociétales changent-elles dans un monde de surveillance omniprésente ?
  3. Gated Community :
    - Origine : Une gestion inefficace par le gouvernement, couplée avec la privatisation efficace et l’adaptation des services de base, conduit à un soutien accru à la fourniture privée de services collectifs. Les préférences individuelles face aux collectivités historiques et le désir de différenciation et de services adaptés, conduit à la baisse de la solidarité collective et à une volonté accrue des citoyens d’être plus directement impliqués dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques.
    - Description : Un marché des services collectifs hautement compétitifs permettrait aux personnes d’évaluer leurs choix individuels et leurs aspirations en terme de cadre de vie et de s’orienter vers des services et des environnements reflétant leurs valeurs individuels et leurs choix de vie. L’évaluation des politiques en temps réel donnent une énorme responsabilité aux responsables de la gouvernance. Ils doivent être réactifs face aux capacités des nouveaux moyens technologiques. Les citoyens conçoivent ensemble leur cadre de vie, ils deviennent alors très impliqués dans la vie de leur communauté et dans la vie politique. L’inégalité sociale est alors élevée. Les citoyens ne paient que pour ce dont ils ont besoin et ce qu’ils désirent. Les individus se déplacent en consommant chez les fournisseurs qui correspondent à leurs désirs et vivent dans des endroits correspondant à leurs aspirations individuelles.
    - Enjeux : Quelles innovations dans ce monde ? Quelle solidarité culturelle ? Quel rôle pour les gouvernements nationaux ? Comment régler les problèmes globaux ?

Conclusion : Un réseau mondial de villes et de villes-états détenant le pouvoir politique. Un monde de surveillance omniprésente dirigé par des technocrates. Un monde d’inégalité sociale façonné par l’individualisme où la société se structure par les capacités et les « désirs » individuels et où les citoyens participent de manière nécessairement active à la politique de leur lieu de vie. Voici les trois scénarios élaborés par les « experts » du Forum Économique Mondial sur lesquels les « décideurs » doivent fonder leur compréhension de l’évolution possible de la gouvernance dans les prochaines décennies. Rien de bien réjouissant.