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dimanche 26 janvier 2014

Un policier peut-il vous interdire de le filmer ? Le point sur le droit de filmer dans le cadre d’une manifestation



Résumé : La loi est claire : le droit de filmer les policiers durant une manifestation publique est clairement établi et il est interdit aux forces de l’ordre de s’y opposer.
Il est vivement conseillé de filmer les policiers faisant preuves de violences, mais aussi de prendre des images qui permettront d’innocenter des militants injustement accusés le cas échéant.
Les policiers abusent parfois de leur pouvoir pour vous y contraindre. Ils utilisent parfois d’autres arguments pour vous contraindre à cesser de filmer, voire à vous mettre en garde à vue. Si cela arrive n’hésitez pas à les poursuivre, à contacter les associations de soutien aux prisonniers, les autorités compétentes, etc.

Durant une manifestation, outre les participants, les badauds et d’éventuels contre-manifestants, des policiers et gendarmes sont susceptibles d’être filmés. La plupart des manifestations nationalistes font l’objet d’une exploitation médiatique à base d’images.

Des militants peuvent se consacrer à cette tâche et chacun peut être amené à filmer ou à prendre des photos durant une manifestation. Outre l’exploitation à but de propagande des images, elles peuvent être utiles en cas de violences policières.

À de nombreuses reprises, des fonctionnaires de police ont interdit la prise d’image, y compris par la force. Des policiers ont confisqué des appareils photos, parfois les ont détruits ou ont procédé à l’effacement des images. Pourtant, le droit de filmer les policiers durant une manifestation est clairement établi et il est totalement interdit aux forces de l’ordre de s’y opposer.

Il est nécessaire de bien faire la distinction entre la prise d’images et la diffusion de l’image. Le « droit à l’image »1 concerne exclusivement la diffusion de l’image et en aucun cas la prise d’image qui ne fait l’objet de quasiment aucune restriction. Nous abordons ici le cas d’une personne qui filme une scène sans participer activement à la manifestation et bien entendu ne commet pas d’autres délits.

A. L’enregistrement de l’image

1. Droit à filmer ou photographier les forces de l’ordre

Les policiers n’ont aucun droit à s’opposer à ce qu’une personne les filme lors d’une manifestation2. Ils ne peuvent en aucun s’opposer à l’enregistrement de leur image ou d’un événement lorsqu’ils effectuent une mission. Il est interdit aux forces de l’ordre d’interpeller quelqu’un au motif qu’il les filme, de lui prendre son matériel tout comme il leur est interdit de détruire ou de l’obliger à effacer les données.

Ces règles ont été énoncées et rappelées à plusieurs reprises.

Le 23 décembre 2008, une circulaire du ministère de l’Intérieur relative à l’enregistrement et la diffusion éventuelle d’images et de paroles de fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions précisait à destination de ses fonctionnaires « que les policiers ne peuvent s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils exercent une mission. Elle précise qu’il est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support »3.

Le défenseur des droits a rappelé cette réalité à plusieurs reprises, dans plusieurs décisions comme dans son dernier rapport4. « Trois décisions ont été rendues concernant des initiatives critiquables de fonctionnaires de police ayant empêché des témoins d’enregistrer des images à l’aide de caméscope au cours de leur intervention5 […]. Le Défenseur des droits, après avoir constaté la confiscation illégale de la caméra […] a demandé que les termes de la circulaire du 23 décembre 2008 du ministre de l’Intérieur sur la confiscation de matériel d’enregistrement d’image soient rappelés aux fonctionnaires mis en cause ».

Tout militant a donc un droit incontestable de filmer les policiers durant les manifestations, y compris illégales, comme d’ailleurs à l’occasion de quasiment toutes les autres missions des policiers sur la voie publique : interpellation, contrôle d’identité, etc.

2. Les limites à la possibilité de filmer durant une manifestation

a. Un droit largement bafoué
Si le droit d’enregistrer des images lors de l’intervention des forces de police a été à de multiples reprises réaffirmé, c’est qu’il est constamment bafoué par certains fonctionnaires. Dans les cas les plus graves, cela conduit à la confiscation de l’appareil, à l’effacement des données, voire à l’interpellation et la garde à vue du vidéaste malgré l’absence de délit.

Comme c’est le cas pour les contrôles d’identités illégaux, il est très difficile sinon impossible de ne pas céder devant la force publique, même lorsqu’elle est utilisée en violation des lois mêmes du système. S’opposer à ce type d’acte, même illégal, c’est risquer de se retrouver poursuivi par la suite pour d’autres motifs (injures, coups et blessures sur agents, rébellion, etc.). Et face à un nationaliste, la justice n’hésitera à appliquer sévèrement la loi, même si initialement toute la faute en incombe à une faute commise par les policiers.

La tentative par un policier d’empêcher une personne de filmer peut aussi être l’occasion aussi d’exposer l’injustice et l’abus de pouvoir. Le militant devra adopter sur le terrain la meilleure attitude.
b. Les restrictions légales
Les autorités pourraient prendre, préalablement à une manifestation ou dans la perspective d’événements, un arrêté visant à interdire la prise d’image sous un prétexte quelconque. Mais en dehors de circonstances exceptionnelles, cela paraît très peu probable. Suivant l’ordre d’un magistrat, un officier de police judiciaire pourrait être en droit de confisquer votre appareil ; ici encore ce cas semble peu vraisemblable.

La police peut plus subtilement utiliser les textes de façon à empêcher le travail d’information des journalistes ou des militants souhaitant surveiller d’éventuels débordements policiers. La loi prévoit la possibilité de mettre à l’écart toutes les personnes s’il existe un « risque » pour les personnes présentes (que ce soit les policiers, les manifestants, les spectateurs ou les journalistes). Des notions suffisamment vagues pour permettre le jour venu d’écarter les témoins si nécessaires.

Comme les autres actions visant à empêcher la liberté de filmer, cette méthode a été utilisée par les agents du système contre les personnes jugées indésirables et repoussées. Si, comme les autres, elle a été dénoncée6, elle continuera sans doute elle aussi à être utilisée.

B. Le droit à l’image et la diffusion de l’information

Si le droit de filmer dans le cadre d’une manifestation ne souffre aucune interdiction, la diffusion des images est plus délicate. L’expression « droit à l’image » indique que toute personne possède sur sa propre image un droit. C’est une notion complexe qui se heurte à d’autres droits, comme la liberté d’information pour le cas d’une manifestation.

1. Les restrictions formelles

Il faut noter que certains fonctionnaires bénéficient d’une protection totale concernant leur image ; diffuser des vidéos de ces personnes ou toute autre action qui permettrait de les identifier est illégal. En dehors de cas très particuliers, un nationaliste à peu de chance d’être confronté à ces personnes dans le cadre de la couverture d’une manifestation.

Il s’agit essentiellement des unités d’intervention telles que le RAID, le GIGN et le GIPN, des agents spécialisés dans la lutte antiterroriste, la grande criminalité, le service de protection des personnalités et, nous concernant plus particulièrement, ceux travaillant au fichage politique : la DCRI.
La liste des unités concernées est fixée par arrêté7. Ni les CRS, ni les gendarmes mobiles, ni les policiers nationaux, ni les policiers municipaux auxquels les militants se trouvent habituellement confrontés sur le terrain ne font l’objet d’une protection. Notons cependant que le cas peut se produire : lors d’une opération à la gare de Lyon Part-dieu, des militants des Jeunesses nationalistes (JN) ont été arrêtés par des membres du GIPN.

Notons que la protection de l’anonymat n’a pas pour objet premier le cadre des manifestations, puisque les fonctionnaires concernés, par essence, n’y paraissent pas ; s’ils sont amenés à intervenir, leurs visages sont dissimulés sous des casques et des cagoules par exemple.

C’est le fait de rendre public l’identité d’un fonctionnaire qui pourrait être poursuivi, pas la prise de photo au cours d’une manifestation ou d’un événement d’actualité.

2. La diffusion des images

Chaque personne, y compris les militants et les policiers, bénéficie d’une protection concernant son image. La règle générale veut qu’on ne peut pas publier l’image d’une personne sans son autorisation, en considération du respect de sa vie privée. Cela ne concerne pas uniquement la sphère privée : la justice a donné raison à des plaignants, filmés dans l’espace public, parce que le cadrage faisait d’eux les sujets ; dans un autre cas, il a été obtenu qu’une photographie dans une manifestation de rue soit floutée.

Ces droits sont principalement fondés sur l’article 9 du code civil et l’article 226-1 du code pénal. Le premier stipule que « chacun a droit au respect de sa vie privée »8. Le second précise qu’est puni « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : 1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé »9.

D’autres lois, notamment la loi dite sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 précise encore le droit à l’image, tout comme la jurisprudence. Concernant les événements publics, la justice a précisé régulièrement que la liberté d’information justifiait la publication d’images de personnes impliquées dans un fait d’actualité.

Il est normalement considéré comme licite de publier des photos de manifestations, à condition qu’une personne ne soit pas immédiatement reconnaissable et spécifiquement ciblée par une photo.

Sans l’accord écrit des individus filmés, un doute peut toujours subsister susceptible de conduire à une plainte et un procès. En tout état de cause, cela ne concerne donc pas les policiers dans l’exercice de leur mission.

Les limitations se situent surtout dans la manière d’exploiter les images. La représentation des personnes ne doit ni porter atteinte à leur vie privée (réaliser un diaporama en identifiant les policiers avec nom et adresse), ni porter atteinte à leur dignité ou leur honneur (utiliser les photos en ajoutant des commentaires insultants).

De manière générale, hors du fait d’actualité, il faut être très prudent sur la diffusion d’images de personnes dont le consentement n’est pas clairement évident.
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1 Il n’y a pas en tant que tel de « droit à l’image » ; il existe de fait à travers divers textes de loi et la jurisprudence.
2 Notons que cela est confirmé par l’Association Nationale des Cadres de la Police Municipale, Chefs de Services et Directeurs qui, à la question « Les forces de l’ordre peuvent-elles s’opposer à la captation de leur image en service ? » répond : « Dans la quasi-totalité des cas, non. »
3 Le Défenseur des droits, Rapport annuel 2011, juin 2012.
4 Ibid.
5 « Sur la confiscation du matériel vidéo » « Il y a lieu de rappeler l’état du droit en matière d’enregistrement et de diffusion d’image de fonctionnaires de police par des tiers dans l’exercice de leurs fonctions. La circulaire du 23 décembre 2008 du ministre de l’Intérieur2 prévoit que les policiers ne peuvent s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission, en dehors des cas prévus par l’article 226-1 du code pénal (droit au respect de la vie privée). De plus, il est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support. Le même texte prévoit cependant qu’entre autres exceptions, pour des raisons de sécurité, dans le cas du maintien d’individus à distance d’une action présentant des risques pour les personnes se trouvant à proximité, la possibilité de filmer puisse être limitée, ce qui n’est pas démontré en l’espèce ».
6 Par le défenseur des droits notamment, entraînant des « rappels à la loi » pour les fonctionnaires fautifs.
7 En application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, « le fait de révéler, par quelque moyen d’expression que ce soit, l’identité des fonctionnaires de la police nationale, de militaires ou de personnels civils du ministère de la défense ou d’agents des douanes appartenant à des services ou unités désignés par arrêté du ministre intéressé et dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le respect de l’anonymat, est puni d’une amende de 15 000 euros ». L’arrêté du 16 avril 2011 précise les fonctionnaires visés. Il s’agit :Pour la Police nationale : de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste ; de la sous-direction antiterroriste, du service interministériel d’assistance technique, de la brigade de recherche et d’intervention criminelle nationale, de la brigade de recherches et d’investigations financières nationale et des brigades de recherche et d’intervention de la direction centrale de la police judiciaire ; de la direction centrale du renseignement intérieur ; des groupes d’intervention de la police nationale et de la section du traitement de l’information de la sous-direction de l’information générale ; de la direction centrale de la sécurité publique ; de la direction centrale de la police aux frontières, l’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi des étrangers sans titre ; de l’unité de recherche, d’assistance, d’intervention et de dissuasion (RAID) ; des services de la direction du renseignement chargés de la prévention de la violence, du terrorisme et des dérives sectaires, de la section antiterroriste de la brigade criminelle de la direction régionale de la police judiciaire et de la brigade anti-commando de la préfecture de police ; du groupe de sécurité de la présidence de la République du service de protection des hautes personnalités.
Pour la gendarmerie nationale :le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale ; les groupes de pelotons d’intervention ; les pelotons d’intervention interrégionaux de la gendarmerie ; les groupes d’observation et de surveillance ; le bureau de la lutte antiterroriste de la sous direction de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale ; le groupe appui opérationnel de l’office central de lutte contre la délinquance itinérante.
8 « Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. »
9 Mais « lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. »