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CHRONIQUE - Au cours de cette campagne présidentielle, Marine Le Pen a changé en plomb tout l'or qu'elle touchait.
Tout le monde connaît la légende du roi Midas : le roi qui transformait le plomb en or.
Au cours de cette campagne présidentielle, Marine Le Pen a réussi
l'exploit de réécrire la légende à l'envers : elle a changé en plomb
tout l'or qu'elle touchait.
Au début de la campagne électorale, les sondages lui promettaient un
score avoisinant les 30 % ; elle a fini à 21 %. Sa place au second tour
était assurée ; il n'a pas manqué grand-chose pour que François Fillon
et même Jean-Luc Mélenchon lui passent devant. Elle devait sortir
première ; elle a fini deuxième derrière Macron. Au début de
l'entre-deux-tours, on lui promettait 40 % des voix, voire davantage.
Une dynamique pouvait la conduire, non à la victoire, mais à 45 % des
suffrages. Une défaite honorable. Et qui préserve l'avenir. Mais avant,
il y eut le débat télévisé : Marine Le Pen a fini à 33 % !
On peut se demander aujourd'hui si ce n'est pas la candidate qui plombe son camp et les idées qu'elle est censée défendre.
Depuis
des années, son entourage explique que le Front national, le parti, son
image, son nom même, l'héritage sulfureux de son père, ses « obsessions
» historiques et démographiques, tout cela obère la progression de la
candidate. On peut se demander aujourd'hui si ce n'est pas la candidate
qui plombe son camp et les idées qu'elle est censée défendre. C'est au
contraire parce que les intuitions de son père sur l'immigration se sont
avérées pertinentes que la fille engrangeait un électorat qu'elle ne
mérite pas.
A
l'époque, on le sommait de se taire au nom de la morale. Ce n'est plus
nécessaire : à part quelques discours bien troussés, Marine Le Pen
s'autocensure d'elle-même ; jamais, dans un débat télévisé, elle n'a
développé son programme en matière d'immigration. Jamais, ou presque,
elle n'a évoqué la suppression du regroupement familial, du droit du
sol, de la double nationalité, l'interdiction des tenues religieuses et
islamiques dans la rue, etc. Et quand elle en parlait, c'était en coup
de vent. Comme si elle avait honte de son père. C'était pourtant ce que
son électorat attendait. C'était pour cela qu'il l'avait rejointe. Et
c'était pour cela que d'autres auraient pu venir. D'autres qui avaient
voté Fillon hier, ou Sarkozy avant-hier.
Mais
Marine Le Pen voulait parler d'économie, d'Europe et d'euro. L'identité
était pour elle un gros mot ; la souveraineté était son graal. Elle
s'était mis dans la tête - ou plutôt Florian Philippot lui avait mis
dans la tête - qu'il fallait réussir le rassemblement du camp du non aux
référendums de 1992 et de 2005. L'idée est belle, et aussi ancienne que
la campagne contre Maastricht il y a vingt-cinq ans. L'idée n'a jamais
réussi, même lorsqu'un homme de gauche, républicain impeccable,
Jean-Pierre Chevènement, la mettait en œuvre. Parce que le sectarisme de
la gauche est tel que même Philippe de Villiers fut ostracisé par les
amis du « Che ».
Jacques Sapir gère le cerveau de Florian Philippot, qui gère le cerveau de Marine Le Pen. Trio infernal. Trio de l'échec.
La
leçon n'a pas servi. Un économiste brillant, Jacques Sapir, homme de
gauche et pourfendeur talentueux de l'euro, a convaincu ses nouveaux
amis, Marine et Florian, que tout était possible. Que le rapprochement
des deux rives, comme disait Chevènement, pourrait s'opérer autour d'un
ennemi commun: l'euro. Mais cette alliance avait un prix : il fallait
mettre un bémol sur l'immigration. Renoncer à juguler l'islam et sa
prétention à régenter des parties de plus en plus importantes du
territoire français. Ce que Sapir appelait « un discours républicain »,
alors que c'est en vérité l'exact opposé. Toute la campagne de Marine Le
Pen est inscrite dans ce funeste compromis : Jacques Sapir gère le
cerveau de Florian Philippot, qui gère le cerveau de Marine Le Pen. Trio
infernal. Trio de l'échec.
Quand on est incompétent en économie, on parle d'autre chose
Pour
deux raisons majeures. L'électorat de gauche ne fut pas au rendez-vous :
les mélenchonistes se sont abstenus ou ont voté Macron ; dédaignés,
voire méprisés par la candidate, les électeurs de Fillon ont fait
pareil: seuls 20 % d'entre eux ont mis dans l'urne un bulletin Marine Le
Pen. C'est ce qui s'appelle perdre sur les deux tableaux.
Et
puis, il y eut le débat télévisé. Les médias lui reprochèrent son
agressivité ; ce fut sans doute son seul atout. Marine Le Pen s'est
avérée insuffisante et incompétente. Incapable d'argumenter et de
défendre des positions économiques, qui avaient fluctué dans les
derniers jours, et dont elle ne semblait pas comprendre les ressorts.
Quand on est incompétent en économie (Mitterrand l'était), on parle
d'autre chose : d'histoire, de littérature, de la France, de son destin,
de son peuple, de sa grandeur. Mais Marine Le Pen ne le fit pas.
Pourtant, elle avait une chance inouïe : l'économisme est passé de mode.
La science des technocrates, qui impressionnait et intimidait au temps
de Giscard et de ses graphiques, est délégitimée par les échecs.
En
revanche, les attentats, les vagues migratoires, le retour de la lutte
des classes, la dissidence des élites occidentales ont remis au premier
plan les questions historiques du destin des peuples et des nations :
les questions identitaires.
C'est la leçon qu'il fallait tirer du Brexit et de Trump, et pas le
départ de l'Union européenne ! Marine Le Pen a eu tout faux de bout en
bout. Faux sur la stratégie, faux sur la tactique.
Un fiasco intégral.