« Seuls les morts ont vu la fin de la guerre ».
Platon.
Q. Entrons directement dans le vif du sujet, diriez-vous qu’en matière de lutte contre le terrorisme, nos réponses sont adaptées ?
Jacques Borde. Cela dépend. Je veux dire, par là, que cela dépend des pays. Certains ont, à l’évidence, décidé de prendre le taureau par les cornes. D’autres, on se le demande !
Q. Vous pensez à qui ?
Jacques Borde. Deux exemples.
L’un positif : la Hongrie qui, ayant pris en compte ce que disent, ouvertement et régulièrement, les stratèges d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)1 quant à l’instrumentalisation des flux migratoires, a décidé de créer un corps de gardes-frontières, les Határvadász2. À peu près 3.000 hommes et femmes. Placés sous l’autorité de la Magyar Köztársaság Rendőrsége3, est-il important de le préciser, pour rassurer quelques inquiets…
Q. Une initiative qui fait polémique ?
Jacques Borde. De la sodomisation de brachycères4, si vous voulez mon avis. La Rendőrsége est une vielle maison où l’on a le sens des responsabilités. Nos media caniveaux se sont polarisés sur le nom Border Hunters. Donc dans la langue de Voltaire : chasseurs frontaliers.
1- ce qui ne casse pas trois pattes à un canard;
2- ce dont toute personne ayant un sou de bon sens se contrefout indubitablement. Tout ce qu’on leur demande, évidemment, c’est de faire le boulot et de collaborer à l’étanchéité des frontières. Ce pourquoi cette structure a été créée.
Va-t-on devoir, en France, rebaptiser aussi nos Chasseurs alpins par crainte qu’ils fassent peur aux bouquetins et autres mouflons ?
Il faudrait, aussi, savoir ce que l’on veut ! Ce lundi 29 mai 20017, sur BFMTV, Marielle de Sarnez, qui est en charge des Affaires européennes auprès de Jean-Yves Le Drian, a très officiellement déploré le manque d’initiative en ces matières migratoires, où les pays européens se refilent la patate chaude de vos migrants/clandestins…
Q. Oui, mais au sein de l’Union européenne, des manquements au droits de l’Homme ont été…
Jacques Borde. Mon blog ne traite pas de ces questions. Sans intérêt ! Question suivante, SVP…
Q. Vos Border Hunters, vous les compareriez aux gardes-frontières israéliens ?
Jacques Borde. Les Mishmar Ha’Gvul (MA’GAV)5 ? Non pas vraiment. Le MA’GAV est in corps à part entière dans l’appareil sécuritaire israélien. Il a une longue histoire et des faits d’armes imposants à son actif. Les Border Hunters, eux, ressemblent plus à une force d’appoint. Pour l’instant du moins.
Q. Vous parliez d’un exemple positif. Cela veut dire qu’il y a des exemples négatifs ?
Jacques Borde. Hélas, oui. Citons ce qu’en a dit Natacha Polony6, nous rappelant que « l’histoire de nos propres djihâdistes nous démontre qu’une bonne part d’entre eux sont, comme Salman Abedi, nés sur le sol européen, et qu’ils ont nourri leur haine de ce que nous sommes sur les bancs de nos écoles. Mais à aucun moment ils n’ont rencontré de réponse adaptée. Que dire de ce jeune homme qui tente par deux fois de partir en Syrie et que trois juges décident de relâcher parce qu’il a promis que, bien sûr, il avait renoncé à ses projets et qu’il allait chercher du travail ? Ce jeune homme a égorgé un prêtre de 86 ans ».
Sans parler du mythe de la déradicalisation heureuse …
Q. Où est la faille dans notre approche du terrorisme ?
Jacques Borde. Dans le fait, notamment, que beaucoup d’acteurs du de l’appareil régalien refusent de voir que la France (comme le reste de l’Europe) est pour les Kamiz brunes de DA’ECH un front du djihâd à part entière.
Ainsi, comme le note encore Polony, « Il semble que certains magistrats n’aient toujours pas intégré cette menace contre laquelle se battent policiers et militaires. Ce qui nous manque n’est pas une nouvelle loi antiterroriste mais un réarmement intellectuel et moral de toutes les institutions de cette République, de chaque citoyen, même, quelles que soient ses origines ou sa religion, pour que nous fassions corps contre cette haine ».
Faire corps ? Il est clair que nous n’en sommes pas là…
Q. Mais nous sommes bien en guerre contre le terrorisme ?
Jacques Borde. Oui et non. Sur les fronts extérieurs, oui (et encore). Syrie, Irak et Sahel sont bien évalués comme des front du djihâd. À meilleure preuve, nos troupes y conduisent des Opérations extérieures (OpEx). Et comme l’a gaffé (sic) la ministre des Armées, Sylvie Goulard-Grassi, nos forces spéciales opéreraient bien sur le sol syrien.
En France, les choses, désolé de le dire, sont beaucoup moins claires. Si l’Opération Sentinelle est bien une Opération intérieure (OpInt) confiée à nous forces armées, notre justice, complètement décalée, continue à traiter comme de simples délinquants les combattants du front du djihâd français qui passent entre ses mains !
Comprenne qui pourra.
Je parle, bien sûr, d’une manière générale. Des individualités remarquables comme David Bénichou7 abattent à contre-courant de leur institution un travail de titan…
Q. Une situation qui n’évolue guère, en somme ?
Jacques Borde. Non, qui s’aggrave, au contraire.
Comme l’a dit Didier Rocky François sur Europe-1, « On a également observé depuis quelques mois une montée en gamme des explosifs dans la région, et tout particulièrement de ceux utilisés contre les troupes françaises au Sahel, précisait. De toute évidence, on assiste là à un transfert de savoir-faire, venu d’Irak et de Syrie ».
Et, comme le note Natacha Polony « Ce nouvel abcès permet à de futurs commandos de se mêler au flot de malheureux que des passeurs jettent sur la Méditerranée ».
La boucle terroriste est bouclée…
Q. Rien ne bouge ?
Jacques Borde. Trois choses à noter.
Primo, la nouvelle administration Macron se met en place. Que va-t-elle nous sortir de son chapeau de magicien ? Pour l’instant, wait & see.
Secundo, il n’échappera à personne qu’au sein de la nouvelle administration se détache une très forte personnalité : le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, qui occupait précédemment le portefeuille de la Défense.
Tertio, c’est à la fois une bonne et une mauvaise chose…
Q. Pourquoi donc ?
Jacques Borde. Simple :
1- une bonne chose : pas besoin d’un temps d’adaptation, Le Drian, gros bosseur, connaît les dossiers et la musique ;
2- Le Drian n’abandonne pas tout à fait la Défense. Il est, en réalité, le deus ex machina de la géostratégie de la France au sein de l’administration Macron. En effet, il n’a échappé à personne que la centriste Sylvie Goulard-Grassi, devenue simple ministre des Armées n’hérite que d’un poste technique où la véritable raison de sa nomination semble être ses rapports (excellents) avec sa consœur allemand la brouillonne (pour rester aimable) Ursula Gertrud von der Leyen. Son principal chantier sera donc l’intégration de nos forces armées dans une Défens européenne qui, de facto, est une baudruche et reste à bâtir ;
3- tout deus ex machina qu’il soit, Le Drian n’est pas un homme nouveau. De fait, il doit aussi être évalué à l’aune des échecs de la précédente administration où il a occupé le poste le plus régalien de tout le staff Hollande : celui de la Défense. Or, en cinq ans – ce qui est, excusez du peu un an de plus que la 2ème Guerre mondiale – quelle guerre avons nous gagné face au terrorisme takfirî ? Aucune, hélas. Même si notre bilan doit être tempéré par la défausse des autres pays de l’Union dans notre guerre (extérieure) contre DA’ECH.
Q. Manchester peut-il changer grand-chose ?
Jacques Borde. (Soupir) Espérons, mais ne rêvons pas.
Georges Fenech, surtout comme pour son rôle au sein de la controversée Mission interministérielle de vigilance & de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), est revenu sur l’attentat de Manchester et l’impact que celui-ci devrait avoir sur la politique d’Emmanuel Macron. Au micro de France-Info, il a donc conseillé au chef de l’État de « ne pas se tromper de priorité ». Pour Fenech, « il faut une surveillance drastique des Fichés S », et « expulser tous les étrangers qui sont radicalisés ».
Encore des demi-mesures. Quand cesserons-nous de tourner en rond ?
Q. Pourquoi dire que nous tournons en rond ?
Jacques Borde. Parce que c’est exactement ce que nous faisons.
Un dernier élément, si vous le voulez bien : une patrouille du dispositif Sentinelle a été attaquée et caillassée, le 26 mai 2017 à Corbeil-Essonnes, par des jeunes (sic) encagoulés. L’attaque a eu lieu sur la Nationale 7,non loin du grand ensemble des Tarterêts.
Anecdotique ?
C’est exactement de cette manière qu’ont débuté, inversons l’ordre chronologique :
1- la 1ère Intifada (1987).
2- je me souviens de ces images, quasiment pas regardées en France, qui montraient une colonne de véhicules légers israéliens obligés de se retirer sous les pierres et les engins incendiaires dans une banlieue perdue du Sud-Liban. C’était aux début des années 1980. La suite on la connaît : le soulèvement du Sud-Liban, qui, aboutira au retrait de Tsahal et de Jayš al-Lubnān al-Janūbiyya (ALS)8 face au Hezbollah.
On sait toujours comment débutent les guerres, rarement comment elles finissent…
Notes
1 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant. 2 Chasseurs frontaliers. En fait calqués sur la US Border Patrol. 3 Ou Police de la République hongroise. 4 Moins élégamment de l’enculage de mouches. 5 Ou Police des frontières israélienne, parfois appelée Police en vert, à cause de la couleur des uniformes. 6 Contrairement à nos trop nombreuses lectrices de prompteurs, une des rares vraies journalistes françaises. A été chroniqueuse dans On n’est pas couché (France-2), au Grand Journal (Canal+). En 2017 elle lance une web TV baptisée Polony TV. 7 Aux dernières nouvelles, vice-président chargé de l’instruction au Pôle anti-terroriste du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, en charge d’affaires portant sur les groupes djihâdistes les plus dangereux. 8 Ou Armée du Liban Sud ou Tzvá Dróm Levanón (Tzadál, en hébreu).