L’Union
européenne, nous dit-on, est née à la fin de la deuxième guerre
mondiale de la volonté des peuples européens de mettre fin une fois pour
toutes aux conflits qui ont dévasté notre continent par deux fois au
cours du seul XXè siècle. On peut déclamer sans sourciller qu’un
véritable projet de paix pérenne pour notre continent est un vieux rêve
des peuples d’Europe fatigués de la barbarie des guerres fratricides.
Mais l’achèvement de la paix est-elle la seule véritable motivation de
cette construction européenne d’après-guerre ? Remontons un peu aux
sources.
A
la fin de la deuxième guerre mondiale l’Europe est exsangue, détruite,
ravagée. Elle n’a plus d’économie, elle est orpheline d’idéologies de
salut et elle est désemparée. Dans l’immédiat après-guerre Washington,
qui contrôle l’Europe de l’ouest a une peur bleue des communistes qui,
eux, contrôlent l’Europe de l’est. Le communisme est d’autant plus
menaçant pour l’Amérique qu’il demeure très populaire dans de nombreux
pays d’Europe occidentale comme la France, la Grèce ou l’Italie.
Washington n’est pas forcément inquiet par ce que le communisme
représente en tant qu’idéologie mais pour ce qu’il représente comme
menace pour ses intérêts économiques et financiers dans le monde. La
guerre froide, contrairement à ce que certains croient n’est pas
principalement idéologique mais commerciale. A cette fin les USA doivent
impérativement inclure l’Europe de l’ouest dans leur sphère d’influence
politique et ils ont pour elle un projet bien déterminé. Pour
l’historienne française Annie Lacroix-Riz : « Après 1945, les Etats-Unis
fixèrent les termes de la création d’une Europe occidentale intégrée :
ils voulaient bâtir une « union douanière », un marché européen géant
privé d’emblée de toute protection commerciale et financière contre leur
concurrence.[1]»
crédits : shutterstock.com
Ainsi
les Américains qui vont faire passer le nombre de leurs soldats en
Europe de 278 000 en 1946 à 357 000 en 1955 vont profiter de leur
situation de nation victorieuse, puissante et riche pour façonner
l’Europe et le monde non communiste à leur manière. Dès 1944, avant même
la fin de la guerre, les Américains annoncent la nouvelle donne
monétaire internationale après la signature des accords de Bretton Woods
qui feront du dollar la monnaie de référence mondiale et institueront
la banque mondiale et le FMI. En 1947 les USA initient les premiers
mouvements du GATT sur les accords douaniers internationaux. Cette même
année le secrétaire d’Etat américain George Marshall lance un plan
d’aide éponyme de 13 milliards de dollars (l’équivalent d’à peu près 150
milliards d’euros d’aujourd’hui) de prêts et de dons pour reconstruire
l’Europe. Rien n’est gratuit dans ce bas monde, vous le savez tous, et
pour bénéficier de cette manne américaine il y a des règles : il faut
acheter américain évidemment et il faut suivre scrupuleusement le
processus de construction européenne voulu par Washington. D’après le
journaliste britannique Christopher Booker l’Union européenne est pour
le Secrétariat d’Etat américain une « obsession [2]».
En
1947 les Sénateurs américains Fulbright et Thomas et le Membre du
Congrès Hale Boggs réclament déjà la création des « Etats-Unis
d’Europe ». En 1949 les Américains vont créer l’OTAN six ans avant le
Pacte de Varsovie et cette même année ils vont créer l’ACUE.
L’ACUE
c’est l’American Committee on United Europe, le Comité américain pour
l’Europe Unie, c’est une organisation non gouvernementale qui a pour but
de distiller le message de l’union européenne parmi les élites du vieux
continent et de distribuer aux associations pro-européennes l’argent
qu’elle récupère via des fondations comme Ford ou Rockefeller ou auprès
d’industriels proches du gouvernement américain. Officiellement l’ACUE
n’est pas un organisme d’Etat mais curieusement l’ACUE va pulluler
d’anciens agents américains. Son président sera William Donovan créateur
pendant la deuxième guerre mondiale de l’Office of Strategic Services
(c’est à dire l’OSS, l’ancêtre de la CIA), le vice-président de l’ACUE
est Walter Bedel Smith ancien chef d’Etat Major d’Eisenhower et
ambassadeur américain à Moscou qui deviendra plus tard patron de la CIA
en 1950. L’ACUE compte d’autres membres parmi lesquels Allen Dulles,
chef de l’OSS à Berne pendant la deuxième guerre mondiale qui deviendra
également président de la CIA en 1953 et dont le frère John-Foster
Dulles était un des plus proches amis de Jean Monnet. On retrouvera plus
tard à la tête de l’ACUE Paul Hoffman ex-patron de la Fondation Ford et
ex officier de l’OSS. Comme vous le voyez nous sommes très loin d’un
club de boy-scouts philanthropes dont l’objectif seraient juste la paix
et le bonheur perpétuels entre les peuples du vieux continent. C’est une
organisation paravent des services américains et le 5 janvier 1949
Allen Dulles déclarera sans ambages que son objectif est de « réunir des
fonds pour aider les mouvements européens qui travaillent à l’union. »
L’ACUE
va en tout subventionner discrètement l’équivalent de 50 millions
d’euros les mouvements fédéralistes oeuvrant pour l’intégration
européenne. Le journaliste français Rémi Kaufer parle du financement de
l’Union européenne comme « l’un des compartiments de la guerre froide ».
Parmi les mouvements financés par l’ACUE nous trouverons le plus
important comme le Mouvement européen mais également l’Union européenne
des fédéralistes ou le Mouvement socialiste pour les Etats-Unis d’Europe
(sic) ainsi que des revues influentes comme The Economist. C’est
également grâce aux fonds de l’ACUE que seront financées les premières
réunions du Conseil de l’Europe de Strasbourg ou le Comité d’action pour
l’assemblée constituante européenne qui deviendra le Comité d’Action
pour la Communauté supranationale européenne, créé en 1952 à
l’instigation de Paul-Henri Spaak ex-premier président de l’Assemblée
générale des Nations Unies avant de devenir Secrétaire Général de l’OTAN
en 1957.
Alors les USA ne vont pas inventer
l’union européenne, ce thème était déjà populaire parmi une partie de
l’élite européenne d’avant guerre : Richard Coudenhove Kalergi écrit Pan
Europa en 1922, en 1925 Edouard Herriot prononce un discours sur les
Etats-Unis d’Europe à la Chambre des députés. Le prix Nobel de la paix
Aristide Briand parle de lien fédéral entre les peuples d’Europe en 1929
à la Société des Nations et Winston Churchill lui-même se fera l’ardent
défenseur des Etats-Unis d’Europe[3].
Cette idée
est également répandue chez des industriels : Giovanni Agnelli,
fondateur de l’empire FIAT, écrit en 1918 un livre « fédération
européenne ou ligue des nations » et les travaux de l’historienne Annie
Lacroix-Riz démontrent s’il en était besoin le rôle majeur des cartels
dans la création de l’Union européenne bien avant la deuxième guerre
mondiale et leur volonté d’une construction européenne pour créer un
marché plus grand afin de mieux se partager le gâteau. D’ailleurs ce
sont les grands industriels européens qui vont bénéficier de la manne
américaine du Plan Marshall et qui vont collaborer avec les nombreuses
multinationales US venues s’installer en Europe. Ces entreprises
américaines vont investir à leur tour massivement dans le lobbying
européen pour se concilier les normes du marché européen comme le
rappelle Marcel Gauchet dans « Comprendre le malheur français ». Malgré
cela il y a encore des réticences à cette construction européenne
notamment en France et en Grande Bretagne.
Washington
sait depuis ses interventions en Amérique centrale et en Amérique du
sud ou aux Philippines que pour soumettre un pays il vaut mieux
coloniser ses élites que de coloniser le pays lui-même : cela coûte
moins cher qu’une occupation territoriale et cela rapporte beaucoup
plus. La tactique américaine pour avancer cette construction européenne
subtilement tout en la finançant secrètement va reposer sur la
collaboration étroite avec des hommes liges qui, tout en clamant leur
profession de foi européenne, vont en fait défendre systématiquement la
version américaine du projet européen.
Le Général
de Gaulle percevra très bien cette menace provenant d’outre-Atlantique .
D’après Jacques Peyrefitte en 1962 le Général lui aurait dit : «Le
grand problème (…) c’est l’impérialisme américain. Le problème est en
nous, parmi nos couches dirigeantes, parmi celles des pays voisins. Il
est dans les têtes.[4]» De nombreux hommes politiques français et
européens vont en effet être cajolés et promus par les USA à commencer
par le père fondateur de l’Europe en personne Jean Monnet. Monnet est
l’ancien secrétaire général adjoint de la SDN, banquier richissime qui a
fait fortune avec l’Amérique il a un carnet d’adresses impressionnant
et fricote plus avec les anglo-saxons qu’avec les Français. Il est un
anti-gaulliste notoire et du reste il sera l’envoyé de Roosevelt auprès
du Général Girault en Afrique pendant la deuxième guerre mondiale avant
de devenir président de la CECA en 1951. Monnet, le père de l’Europe
moderne est tout simplement un agent américain pour Marie-France
Garaud et le Général de Gaulle dira de lui dans un propos tenu à Alain
Peyrefitte en 1963 : « L’Europe intégrée, ça ne pouvait pas convenir à
la France, ni aux Français…. Sauf à quelques malades comme Jean Monnet,
qui sont avant tout soucieux de servir les États-Unis. »[5] D’autres
politiciens européens oeuvrent pour Washington. Pour la journaliste
britannique Ambrose Evans-Pritchard : « les dirigeants du Mouvement
européen [,tels] le visionnaire Robert Schuman et l’ancien premier
ministre belge, Paul-Henri Spaak [,] étaient tous traités par leurs
bailleurs de fonds américains comme des stipendiés. »[6]
Robert
Schuman justement est souvent présenté comme l’autre « père de
l’Europe ». La déclaration qui porte son nom du 9 mai 1950 sur la
création de la Communauté européenne du Charbon et de l’acier est
considérée comme un des actes fondateurs de l’Europe moderne car elle a
donné naissance à la première des institutions supranationales
européennes. Mais peu savent que Schuman a lancé cette idée sous
l’influence de Washington qui tenait à tout prix à forger l’Europe sur
un rapprochement fort entre l’Allemagne et la France ce que de Gaulle ne
voulait absolument pas. Pour la journaliste française Florence Autret,
spécialiste des questions européennes il y a un rôle actif et décisif de
la diplomatie américaine dans les négociations qui mènent du Plan
Schuman à la naissance de la CECA.
Nous avons accès
à de très nombreuses archives aujourd’hui et les travaux du professeur
britannique Richard J. Aldrich nous permettent de conclure que si
l’Europe unie est bien un rêve européen, l’union européenne, elle, est
clairement un projet américain.
Notre fameuse union
européenne bruxelloise est l’enfant naturel d’idéalistes européens qui,
à raison, rêvaient de bâtir un projet de paix pérenne pour notre
continent mais qui ont dû se reposer sur les injonctions, le
financement, l’armement, la communication, le conseil et la ruse de
Washington et d’hommes d’affaires peu scrupuleux de l’intérêt réel des
peuples d’Europe pour y parvenir.
Nous savons
aujourd’hui que ce projet s’inscrivait dans un plan plus systémique de
mondialisation politique et économique avec Washington comme centre de
gravité d’un nouvel ordre mondial hégémonique et unipolaire. En 1952
déjà l’ACUE lançait un projet sur le fédéralisme à l’université de
Harvard mené par le politologue d’origine allemande mais naturalisé
américain Carl Friedrich qui dirigeait auparavant l’institution chargée
de former par anticipation les gouverneurs militaires des différents
pays libérés (School for Overseas Administration). Pour Carl Friedrich
l’unité européenne était une idée précieuse en soit mais n’était qu’un
marche pied vers le fédéralisme mondial.
Cette
Europe paupérisée, supranationale et a-démocratique est aujourd’hui à
bout de souffle. Elle est devenue une techno-structure au service de
hauts fonctionnaires et d’oligarques complètement déconnectés du pays
réel. Les crises qui nous frappent doivent nous inciter à prendre nos
distances rapidement avec cette version là de l’Europe sans pour autant
abandonner l’idée de l’Europe qui doit être repensée différemment. De Brest à Vladivostok,
en puisant profondément dans nos racines helléno-chrétiennes nous
devons rebâtir des relations saines entre toutes les nations européennes
sans exception sur la base de la volonté souveraine des peuples et le
respect du principe de subsidiarité. Le peuple américain n’est pas notre
ennemi mais le temps est venu de dire à l’Etat profond qui gouverne à
Washington que l’Europe n’est ni un protectorat américain ni un
supermarché, c’est une civilisation.
Nikola Mirkovic
source: Stratpol