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vendredi 30 mars 2018

Promenade iranienne

Promenade chez quatre célébrités d’Hamedan

L’ancienne ville de montagne Ecbatane devenue Hamedan, à 188 kilomètres de Kermanshah, présente quatre tombeaux célèbres qui pourraient résumer l’Histoire du monde.

Le premier a été bâti en 1951 et reprend des formes égyptiennes rectangulaires avec ses rangées de piliers, au milieu d’un beau jardin. Il est celui du guide Bou Ali Sina dont la statue exprime la force de la sagesse et le courage de faire triompher l’expérience : Avicenne fut l’Aristote oriental et, dans la bibliothèque, sous verre, je vois le livre de la petite thèse d’Amélie –Marie Goishon intitulé : « Lexique comparé de la langue d’Aristote et d’Avicenne ». Sa grande thèse portait sur la distinction de l’essence et de l’existence chez le maître iranien.

Un médecin toulousain André de Sambucy, de lointaine extraction nobiliaire, a exposé, dans son « Yoga iranien », paru chez l’éditeur Dangles , les principes d’Avicenne, tout comme dans ses « Deux sources de la médecine contemporaine ». La médecine d’Avicenne était fondée sur le mouvement et l’exercice, et non exclusivement sur la chimie, comme c’est le cas aujourd’hui. Toute l’ostéopathie contemporaine, en passant par l’école suédoise du gymnastique vertébrale, provient d’Avicenne. Un livre magnifique représente dessiné à la plume, une vertèbre. Sous la vitre, un livre russe sur la Phytothérapie, ou soins par les plantes d’Avicenne.

Tombeau de Bou Ali Sina (Avicenne)

Une fois parcouru le grand jardin persan, je propose la visite de la tombe d’Esther et de Mardochée ou Mordechaie, comme il était écrit, et dont la contraction en judéo allemand est Marx!

Le guide juif des lieux se présente, enfant de Saturne, avec un visage lunaire que prolonge un corps mince enveloppé d’un manteau noir serré et long : sur cette petite place il semble flotter, affairé et superficiellement inquiet, tout comme dans les ghettos de l’Europe centrale que nous ont décrit les frères Jérôme et Jean Tharaud, de l’Académie française. Ils ont retracé l’atmosphère triste de ce lieu où nous nous trouvons, dans « Vieille Perse et Jeune Iran » composé avant guerre, paru en feuilleton dans la presse parisienne et édité en 1947. S’en dégage, chez eux, une impression de vétusté et d’horreur inexprimable. C’est, en effet, un édifice surprenant par l’absence de porte, et la raison en est proprement juive, comme nous l’explique ce collègue de mathématique et de science naturelle, maintenant en retraite. La tombe de la reine Esther qui aurait 2500 ans et serait restée intacte jusqu’à ce qu’un prétendu chef Mongol, au 14e  siècle (selon l’histoire officielle contestée aujourd’hui par l’école russe récentiste de l’académicien moscovite des sciences Anatoly Fomenko qui y voit l’existence de la Horde blanche et de la grande Tartarie ou empire russe) y surélève un dôme  persan.

Pour marquer sa soumission à Esther, on ne peut entrer la tête haute, mais en rampant dans un boyau de fer consolidé par 400 kilo de métal, pour que chacun puisse s’humilier devant la reine.
Nous nous exécutons en rampant ainsi pour franchir deux passages. Nos politiques font-ils autrement ?

Nous sommes enfin dans la salle des deux tombes ; à droite, des vitraux sans goût d’une petite synagogue. Il ne s’agit pas ici de critiquer la nation des juifs, mais plutôt de la plaindre, selon le mot de Voltaire. Le guide me fait observer que les lettres hébraïques sur les murs ne sont que de la décoration, sans aucune signification. Il me demande si je suis juif puis, constatant que non, si je suis bien chrétien catholique, ce qui le satisfait visiblement ; mieux veut être ainsi à ses yeux que luthérien ou mahométan, les premiers ayant fulminé contre «  le livre d’Esther ». Au fond, sur un vieux mur, se lisent les commandements de Moïse.

Tombeau d’Esther et de Mardochée

Le guide déclare que la nièce de Mordechai aurait contracté avec le fils de Xerxès premier fils de Darius un « mariage diplomatique ». Elle aurait éventé un projet de Génocide des juifs par le ministre Aman macédonien de mère persane, qui fut exécuté comme suspect, crucifié avec ses dix fils. Le guide est mué sur ce point ; il précise que la fête des Pourim ou des sorts défavorable à Aman, évoquent cet événement. Il ne dit pas que 75 000 iraniens, dans leur sommeil, ont été tués, par l’ordre d’Esther.

Les plaques en l’honneur d’Esther et de son oncle, sont neuves et brillantes. Les deux tombeaux sont recouvert d’un bois d’ébène, ouvragé à l’initiative, précise–t-il d’un Ayatollah que j’ignore : visiblement l’ornement date au plus tôt du 19e siècle.

Le quatrième tombeau que nous visitons en fin de matinée est celui du poète que l’on situe au 11e siècle de l’ère chrétienne : Baba Tahir dans un kiosque. Les assistants, dont une enfant, entendent déclamer celui qui veut, comme tout génie, habiter poétiquement le monde. A la fin de la mélodie le nom du prophète revient comme une larme des muses. Nous sommes passés en une matinée du peuple des sciences, au peuple des fables et achevons notre route sous la protection de la poésie.
Pierre Dortiguier