www.diploweb.com Géopolitique de la Grande Europe
La régionalisation et l'aménagement du territoire en Europe :
une révolution politique en faveur d'un partenariat transatlantique ?
par Pierre Hillard, spécialiste de l'Allemagne
|
Pour Pierre
Hillard, l'Europe des régions est un projet mis en oeuvre par
l'Allemagne fédérale, non seulement dans son intérêt mais dans celui
bien compris d'une alliance européenne avec les Etats-Unis. Sa
démonstration se fonde sur l'étude de nombreux documents, notamment des
cartes dont plusieurs sont mises en ligne à l'occasion de cette
publication.
Reste à
savoir si, de son côté, la Russie post-soviétique ne pourrait pas
également trouver avantage à l'affaiblissement des structures étatiques
au sein d'une Union européenne élargie, difficilement gouvernable
jusqu'à preuve du contraire. Si Washington et Moscou peuvent,
évidemment, avoir des intérêts divergents, cela n'empêche pas des
intérêts convergents. Par exemple une Union européenne réduite à la
dimension d'un marché - pour les Etats-Unis - dispensateur d'aides
économiques - pour l'espace post-soviétique, y compris la Russie. Le
poids de la charge étant écrasant, les chances d'une "Europe puissance"
en seraient singulièrement amoindries. Ce qui arrangerait aussi bien
Washington que Moscou ou ... Pékin. Faire de l'Union européenne une
puissance nécessite d'abord que ses membres partagent cette ambition,
ensuite qu'ils sachent se sauvegarder de bien des écueils. Pierre Verluise, Directeur du site www.diploweb.com (Voir une carte de l'OTAN en 2004)
|
Biographie de Pierre Hillard en bas de page.
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personnalité juridique, christian von bar.
Pierre Hillard publie : "La décomposition des nations européennes. De l'Union euro-atlantique à l'Etat mondial", éd. François-Xavier de Guibert, 2005
|
En
2003,
l’élaboration
d’un
projet
de
Constitution
européenne
sous
l’égide
de
Valéry
Giscard
d’Estaing
accélère
considérablement
l’émergence
d’un
pôle
continental.
Certes,
de
nombreuses
étapes
sont
encore
nécessaires
afin
d’aboutir
à
une
Europe
unifiée.
Cependant,
des
éléments-clefs
permettent
déjà
de
cerner
l’ampleur
du
projet
comme
la
coopération
transfrontalière,
la
régionalisation
et
l’aménagement
du
territoire.
En
effet,
de
nombreux
documents
ont
été
élaborés
au
sein
de
divers
instituts
européens
posant
ainsi
les
fondements
d’une
Europe
fédérale
des
régions.
Le
système
obéit
à
une
logique.
Chaque
texte
pris
isolément
présente
certes
un
intérêt
majeur,
mais
il
ne
prend
toute
sa
mesure
qu’associé
à
un
ensemble
de
décisions.
La
réunion
de
l’ensemble
nous
aide
à
mieux
saisir
l’enjeu
qui
anime
les
partisans
d’une
Europe
unie
selon
le
modèle
fédéral.
Inévitablement,
se
pose
la
question
du
degré
de
partenariat
avec
les
Etats-Unis
qui,
au
lendemain
de
la
Seconde
Guerre
mondiale,
ont
été
favorables
à
l’émergence
d’une
entité
européenne
forte
capable
de
s’opposer
à
l’Union
soviétique.
L’effondrement
de
l’URSS,
en
1991,
a
conduit
à
repenser
ce
partenariat.
En
effet,
tout
le
problème
est
de
savoir
si
l’Europe
doit
s’intégrer
encore
plus
à
une
architecture
transatlantique
resserrée
ou
si
elle
doit
définitivement
rompre
avec
le
Nouveau
Monde.
La
politique
des
acteurs
européens
et
américains
doit
nous
permettre
de
répondre
à
cette
question.
1. Vers la disparition des frontières en Europe
Actuellement, la volonté d’aboutir à
un marché unique en Europe conduit au démantèlement des frontières nationales.
L’inspiratrice de cette politique s’appelle l’Assemblée des Régions
Frontalières Européennes (l’ARFE) s’appuyant sur un document européen : la
convention-cadre sur la coopération transfrontalière ou charte de Madrid. Créé
en 1971, cet institut européen est en réalité allemand par ses fondateurs et
ses dirigeants. Située en Allemagne à Gronau, l’ARFE poursuit l’objectif
d’effacer de plus en plus les frontières étatiques afin de pouvoir procéder à
des coopérations transfrontalières et interrégionales renforcées. Environ 160
régions frontalières (ou eurorégions : entités territoriales de part et
d’autre de la frontière) sont sous l’autorité de cet institut.
Son but est,
selon les textes officiels, le suivant : « l’objectif de l’action
menée au sein des régions frontalières et le but poursuivi au travers de la
coopération transfrontalière sont la suppression des obstacles et des facteurs
de distorsion existant entre ces régions, ainsi que le dépassement de la
frontière, tout au moins la réduction de son importance à une simple frontière
administrative »[1].
Cet objectif dont les conséquences politiques, géopolitiques et
sociales sont
énormes touche toute l’Europe et en particulier depuis les années 1990 les pays
d’Europe centrale qui doivent intégrer l’Union européenne (UE) le 1er
mai 2004.
La carte de la coopération transfrontalière de l’ARFE élaborée en
2000 révèle toute l’étendue de cette politique en Europe
http://www.diploweb.com/cartes/regionsarfe.pdf.
[2].
Pour une vision plus précise d’un exemple type d’eurorégions, la carte
concernant
les territoires frontaliers autour de l’Allemagne est
particulièrement significative.
http://www.diploweb.com/cartes/zusamm1.htm
.
[3].
Elle
montre
entre
autres
que
les
eurorégions
le
long
des
frontières
germano-polonaises
et
germano-tchèques
mordent
en
partie
sur
des
territoires
allemands
jusqu'en
1945.
Il
est
bon
de
souligner
que
les
eurorégions
du
côté
tchèque
correspondent
au
territoire
des
anciennes
implantations
sudètes,
population
germanique
expulsée
en
1945
et
en
1946
suite
aux
décrets
Benes.
Quelles
conséquences
?
Dans
cette
dissolution
des
frontières,
les
conséquences
sont
doubles.
D’abord,
en raison de la reconnaissance du phénomène ethno-linguistique au sein des
instances de l’UE (charte des langues régionales ou minoritaires,
convention-cadre pour la protection des minorités et charte des Droits
fondamentaux - en particulier les articles 21 et 22 - incluse dans la future
constitution européenne), les groupes ethniques n’auront plus à subir une
partition due à l’existence d’une frontière nationale inamovible. Ce n’est
d’ailleurs pas l’effet du hasard si l’ARFE est dirigée depuis 1996 par un
Espagnol, ou plus exactement, par un Catalan : Joan Vallvé. Ce dernier,
Président de l’Intergroupe langues minoritaires du Parlement européen, poursuit
une politique de promotion des « langues moins répandues »
[4].
Ensuite, dans la volonté de créer un marché économique unique, la levée des
barrières frontalières permet d’approfondir les échanges (économiques,
technologiques, les transports, mais aussi de favoriser l’uniformisation
administrative et fiscale par exemple entre l’Alsace et le Pays de Bade
[5]
ou encore de favoriser la création d’un eurodistrict Strasbourg/Kehl ...) comme
le promeut l’ARFE dans son rapport intitulé « Principes fondamentaux d’une
opération-cadre régionale par INTERREG IIIC »[6]
(sigle allemand : RRO).
Trois
axes
Ce projet, consistant à promouvoir la coopération
entre régions et communes frontalières et transnationales en Europe et à
effacer progressivement les problèmes d’ordre administratif ou législatif,
s’articule autour de trois axes : L’opération-cadre régionale, des projets
ciblés et des réseaux. Comme le souligne le rapport de l’ARFE lors de son
trentième anniversaire : « Il faut toutefois considérer les multiples
structures et particularités régionales comme la richesse de l’Europe, les
maintenir et les développer. L’introduction cohérente de l’idée de
régionalisation dans la Constitution
des Etats d’Europe profite aussi directement à la collaboration
transfrontalière régionale. C’est pourquoi une meilleure coordination et une
collaboration intensive des décideurs locaux, régionaux, nationaux et européens
restent indispensables pour résoudre les problèmes des régions frontalières et
transfrontalières. La collaboration transfrontalière contribue à la suppression
des déséquilibres et obstacles économiques dans les régions frontalières
voisines, en partenariat avec les Etats nationaux et les instances européennes,
dans le cadre régional appréciable. Il s’agit de contrer les effets
centralisateurs croissants du travail, des services et du capital dans les
centres industriels d’Europe par des politiques régionales et d’aménagement du
territoire nationales et européennes adaptées »[7].
Comme
le
souligne
justement
ce
document,
cette
coopération
transfrontalière
n’est
possible
qu’à
la
condition
de
favoriser
la
régionalisation
et
l’aménagement
du
territoire
en
Europe.
C’est
dans
cette
perspective
qu’il
faut
comprendre
l’inscription
du
principe
régional
et
le
renforcement
de
la
décentralisation
par
le
vote
du
Congrès
réuni
à
Versailles
le
17
mars
2003.
En
réalité,
la
montée
en
puissance
du
fait
régional
et
de
son
corollaire,
l’aménagement
du
territoire,
est
orchestrée
partout
en
Europe.
2. La région, l’acteur incontournable de la
construction européenne
Le 26 juin 2003, le Premier ministre
français Jean-Pierre Raffarin a rencontré le Chancelier allemand Gerhard
Schröder à Berlin, accompagné de quatre présidents de régions (trois de droite
et un de gauche) dont Gérard Longuet, président de l’Association des régions de
France (l’ARF)[8]. L’objectif
affiché était de renforcer la coopération entre les régions françaises et les
Länder allemands. Affirmant que la stratégie franco-allemande devait s’appuyer
sur une légitimité populaire, le Premier ministre a ajouté que « C’est
très important pour la construction de la Grande Europe (...). Pour ce faire,
nous avons besoin des Länder, nous avons besoin des régions (...). C’est le
début d’une coopération annuelle entre les régions et les Länder ». Une
telle déclaration en faveur du fait régional ne peut se comprendre qu’en raison
du lancement de la recommandation 34 (1997) du Congrès des Pouvoirs Locaux et
Régionaux d’Europe[9].
Qui
était
le
ministre-président
?
En effet,
ce texte fondateur de la régionalisation en Europe a été présenté pour la
première fois, à l’initiative du gouvernement du Land de Basse-Saxe, à Hanovre
le 22 mars 1996. Le ministre-président à cette époque s’appelait Gerhard
Schröder. Par ailleurs, le rapporteur Peter Rabe, député socialiste au Land de
Basse-Saxe, avait pour président du groupe de travail Llibert Cuatrecasas,
ministre délégué aux affaires de Catalogne. L’Allemagne, cherchant à mettre en
place une régionalisation proche de son système politique, s’entoure de
politiques rebelles à l’autorité centralisatrice. Dans cette affaire, la
présence d’un ministre catalan se comprend fort bien. Constitué de 28 articles,
le projet de Charte de l’autonomie régionale fait la part belle aux régions qui
sont en mesure de s’émanciper politiquement de l’autorité nationale au profit
des instances supranationales de Bruxelles. A la lecture de ce projet, on
relève entre autres l’octroi aux régions d’« un pouvoir de décision et de
gestion dans les domaines qui relèvent de leurs compétences propres. Ces
pouvoirs doivent permettre l’adoption et l’exercice d’une politique propre à
chaque région » (art. 4), ou encore l’adoption d’un « système de
financement (fournissant) un montant prévisible de recettes proportionnées à
leurs compétences, leur permettant de mener une politique propre » (art.
14). Cette montée en puissance de la région se double du renforcement des liens
entre l’autorité politique régionale et les instances supranationales de
Bruxelles. Ainsi, depuis le 1er janvier 2003, la représentation
régionale d’Alsace peut traiter directement avec Bruxelles pour la gestion des
Fonds structurels sans en référer à Paris. Ce principe devrait être étendu à
l’ensemble des régions françaises.
En
France, la recomposition du mode de scrutin en sept grandes régions (la
huitième concerne l’outre-mer) accentuera la primauté de la région dont le
député européen sera l’élu direct contournant ainsi l’autorité nationale. Ce
projet présenté par Michel Barnier (commissaire européen) en 1998[10]
a recueilli les faveurs du gouvernement Raffarin. Cependant, ces profondes
modifications prendront une dimension nouvelle avec l’application de l’article
8 du projet de charte de l’autonomie régionale intitulé : « Relations
inter-régionales et transfrontalières ». Cet article stipule que :
« Dans les domaines qui relèvent de leurs compétences, les régions sont
fondées, le cas échéant dans le respect des procédures établies par le droit
interne, à entreprendre des actions de coopération inter-régionale ou
transfrontalière (...). Les régions appartenant à un espace transfrontalier
peuvent se doter, dans le respect du droit de tous les ordres juridiques
nationaux concernés et du droit international, d’organes communs de type
délibératif et/ou exécutif ».
"Amollir"
la
frontière
nationale
en
une
frontière
administrative
On comprend mieux l’importance de l’ARFE qui
préalablement, « amollissant » la frontière nationale en frontière
administrative et favorisant l’unification fiscale, administrative
transfrontière etc ..., ouvre la voie à
des refontes de frontières régionales en fonction de critères
ethniques (le
préambule du projet de charte de l’autonomie régionale reconnaît l’obligation
de protéger les minorités) ou économiques, les deux se confondant parfois.
D’ailleurs l’article 16 intitulé « Protection des limites territoriales
des régions » autorise ces déplacements de frontières régionales en des
termes très nets : « La modification du territoire d’une région ne
peut intervenir qu’après que celle-ci ait marqué son accord, sans préjudice des
procédures de démocratie directe qui peuvent, le cas échéant, être prévues à
cet égard par le droit interne. Dans le cas d’un processus général de
redéfinition des frontières régionales, l’accord exprès de chaque région peut
être remplacé par une consultation de l’ensemble des régions concernées, le cas
échéant selon les procédures prévues par le droit interne ». Jean-Pierre
Raffarin a donné la possibilité d’organiser des référendums locaux qui
autorisent la mise sur pied de cet idéal[11].
Au sein
des instances européennes, le regroupement des régions en fonction d’intérêts
économiques est déjà un fait accompli comme le révèle
la carte élaborée par la
Commission européenne en liaison avec l’ARFE et décrivant les actions de
coopération transnationale.
http://www.diploweb.com/cartes/interreg.pdf
[12].
Comme le stipule les textes officiels : « Interreg IIIB regroupe
désormais toutes les actions de coopération transnationales impliquant les
autorités nationales, régionales et locales et les autres acteurs
socio-économiques. L’objectif est de promouvoir l’intégration territoriale au
sein de grands groupes de régions européennes y compris au-delà de l’Union des
Quinze, de même qu’entre les Etats membres et les pays candidats ou autres
voisins, et à favoriser ainsi un développement durable, équilibré et harmonieux
de l’Union. Une attention particulière est accordée notamment aux régions
ultrapériphériques et insulaires »[13].
En
résumé
Récapitulons
le fil de cette politique : 1) Disparition progressive de la frontière
nationale au profit d’une frontière administrative « amovible », 2)
Montée en puissance des régions à qui il est transféré une autorité politique
où émerge un président ayant le poids, toute proportion gardée, d’un gouverneur d’un Etat américain,
mais traitant de plus en plus avec Bruxelles, autorité supranationale, et non
avec l’autorité nationale, enfin, 3) Possibilité de regroupement de régions en
fonction de critères économiques et/ou ethniques. Dans cette affaire, le
regroupement
en France des régions en sept grandes zones métropolitaines pour
les élections régionales et européennes offrent déjà un cadre fort attractif.
3. Une régionalisation à l’échelle continentale
Cependant, cette régionalisation ne concerne pas uniquement les Quinze
Etats de l’Union. En réalité, c’est toute l’Europe qui se fragmente en vue de
permettre l’extension à l’Est de l’Union européenne. Cet objectif est largement
défini au sein d’un institut européen, l’Assemblée des Régions d’Europe
(l’ARE). Créé en 1985 par des Français, des Espagnols et des Portugais, cet
institut a été repris en 1987 par les Allemands qui procédèrent à une refonte
complète du système, en particulier sous l’égide de Heinz Eyrich qui fixa les
nouveaux statuts de l’ARE à Mannheim en 1992[14].
Désormais, des principes fédéralistes, régionalistes et ethnicistes ont été
insufflés dans les structures de cet institut qui élabora tout un corps de
doctrine fidèle à la spiritualité politique germanique. Tous les documents,
tous les textes et tous les rapports élaborés par l’ARE constituent une base de
travail qui a influé sur les travaux de la Convention en charge d’élaborer une
constitution pour l’Europe grâce en particulier à l’action de sa présidente
autrichienne, Lise Prokop, mais aussi en raison du soutien de son
Vice-président et président de la région Alsace, Adrien Zeller. Or, l’ARE a
élaboré en 2002 une carte de l’Europe entièrement régionalisée[15].
Cette carte souligne d’abord que tout semble préparé d’avance. Cette régionalisation ne se contente pas de
fragmenter l’Europe centrale, mais aussi la
Russie dont les frontières
régionales s’étendent vers la Sibérie.
Et
la
Turquie
?
Surtout,
cette carte révèle que
le projet d’intégration de la Turquie est déjà accompli.
Indirectement, cette carte montre que les débats officiels pour ou contre
l’intégration de la « Sublime Porte » sont vains aux yeux des
autorités européennes, sauf retournement extraordinaire de la situation.
S’obligeant de respecter les critères de Copenhague (Etat de droit, respect des
droits de l’homme, protection des minorités, ...),
la Turquie s’est engagée
dans des réformes afin de montrer « patte blanche » en vue de son
intégration à l’UE. En raison de ses nombreuses minorités, essentiellement
kurde, les composantes ethniques de ce pays sont en mesure de réclamer des
droits ethno-linguistiques.
Il
ne
faut
pas
oublier
aussi
que
des
minorités
comme
les
Kurdes
peuplent
aussi
l’Iran,
l’Irak
et
le
nord
de
la
Syrie.
L’émergence
de
régions
à
l’Est
de
la
Turquie
bénéficiant
d’une
autonomie
politique
large
-
indépendante
d’Ankara
car
elles
traiteront
elles
aussi
directement
avec
Bruxelles
-
et
assurant
une
reconnaissance
identitaire
aux
Kurdes
risquent,
en
plus
de
détruire
l’unité
de
l’Etat,
d’attiser
les
volontés
de
ces
populations
éparses
de
se
souder
en
une
seule
entité.
Par
ailleurs,
les
peuples
de
Turquie
seront
en
mesure
de
réclamer
des
droits
religieux
qui,
compte
tenu
de
la
très
forte
majorité
musulmane
au
sein
de
la
population,
risquent
d’entraîner
l’émergence
du
fondamentalisme.
Malmené
dans
ses
frontières
et
sa
Constitution,
l’Etat
laïc
d’Atatürk
sera
déstabilisé
par
ses
changements.
Bien
des
troubles
sont
à
prévoir
et
l’UE
risque
d’avoir
pour
longtemps
un
porteur
de
troubles
à
ses
flancs
si
elle
intègre
ce
pays.
Cependant,
ces
risques
ne
semblent
pas
perturber
les
dirigeants
européens
qui
poursuivent
leur
politique
dans
le
cadre
de
l’aménagement
du
territoire.
4. L’aménagement du territoire européen : une
vision continentale
L’aménagement du territoire est un
concept largement méconnu mais dont les conséquences touchent les
politiques
économique, sociale, culturelle et écologique. Cet aménagement du territoire
prend un relief extraordinaire à partir du moment où il s’additionne à l’effacement
des frontières nationales et à la primauté donnée aux régions. D’une certaine
manière, tout s’additionne.
C’est à partir des années 1960 que l’Assemblée
parlementaire et la Conférence permanente (devenue Congrès en 1994) des
pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE) du Conseil de l’Europe ont
décidé d’entreprendre une grande politique d’aménagement du territoire.
L’Allemagne fut le moteur de ce projet. En effet, l’idée de convoquer une
Conférence Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire
(CEMAT) a été lancée devant les Etats Généraux des Communes d’Europe, en 1964,
par M. Lücke, Ministre fédéral allemand de l’Intérieur[16].
Ce dernier fit d’ailleurs remarquer que son gouvernement portait un grand
intérêt à l’organisation de cette Conférence.
Les
objectifs
Par la suite, le rapport
« Aménagement du territoire - Problème européen », sous la direction
de Gerhard Flämig, rapporteur au nom de la commission des pouvoirs locaux, fut
soumis à l’Assemblée en 1968[17].
Ce rapport, résultat de trois ans d’enquêtes et de recherches, soulignait les
grands objectifs d’une politique européenne de l’aménagement du territoire. Il
s’ensuivit deux recommandations adoptées par l’Assemblée (Recommandations 525
et 526) « en instituant à cet effet une conférence ministérielle
permanente chargée de donner les grandes orientations politiques et d’assurer
l’harmonisation des politiques nationales ». Un comité des hauts
fonctionnaires chargé d’organiser cette conférence posa les premiers jalons
lors de la réunion à Strasbourg du 10 au 12 juin 1969. Le président de ce
comité, M. Toyka, directeur au ministère de l’Intérieur et chef de la
délégation de la République fédérale d’Allemagne, proposa M. Essig, chef de la
délégation française, comme vice-président, sur proposition de la délégation
allemande[18].
Enfin, le
gouvernement allemand proposa que la première réunion de la CEMAT se tienne à
Bonn les 9 et 11 septembre 1970. Ces réunions se sont succédées par la suite
sous la direction de différents pays comme l’Autriche (1978), l’Espagne (1983),
la Suisse (1988) ou déjà la Turquie (1991).
Le
critère
fédéral
Dans le
cours de cette politique, une première étape fut franchie avec l’élaboration de
la Charte européenne de l’aménagement du territoire (appelée aussi Charte de
Torremolinos)[19]. Cette
Charte fut adoptée lors de la Conférence de la CEMAT en Espagne. Selon ce
document, les principes retenus pour l’aménagement du territoire doivent être
démocratiques, globaux, fonctionnels et prospectifs. Tout en poursuivant le
développement socio-économique, l’amélioration de la qualité de vie, la gestion
des ressources naturelles, la protection de l’environnement et l’utilisation
rationnelle du territoire, cette Charte annonçait par avance les documents
germano-européens (les chartes de l’autonomie locale et régionale et la
convention-cadre sur la coopération transfrontalière) qui sont en train de
remodeler le corps européen selon le critère fédéral et régional.
La Charte de Torremolinos rappelle qu’il convient de faire en sorte que « les diverses
autorités concernées par la politique de l’aménagement du territoire soient
dotées de compétences de décisions et d’exécution ainsi que de moyens
budgétaires suffisants. En vue d’assurer une coordination optimale entre le
niveau local, régional, national et européen, aussi en ce qui concerne la
coopération transfrontalière, ces autorités doivent tenir compte dans leur
action des mesures prises ou prévues à l’échelon inférieur ou supérieur et par
conséquent s’informer réciproquement et de manière régulière »[20].
Pour les promoteurs de cette politique, il se dégage quatre axes :
1)
« Au
niveau local : coordination des plans d’aménagement des pouvoirs locaux
devant tenir compte des intérêts de l’aménagement régional et national.
2)
Au
niveau régional : cadre le mieux approprié pour la mise en œuvre d’une
politique d’aménagement du territoire : coordination entre les instances
régionales elles-mêmes, les instances locales, nationales et entre régions de
pays voisins.
3)
Au
niveau national : coordination des différentes politiques d’aménagement du
territoire et des aides aux régions et concertation entre les objectifs
nationaux et régionaux.
4)
Au
niveau européen : coordination des politiques d’aménagement du territoire
en vue de réaliser les objectifs d’importance européenne et un développement
général équilibré »[21].
La
Grande
Europe
:
jusqu'à Vladivostock
Cependant,
ces objectifs restaient limités du fait de la coupure de l’Europe partagée
entre les Etats-Unis et l’URSS. En novembre 1989, la chute du mur de Berlin a
bouleversé la donne. C’est lors de la réunion de la CEMAT à Hanovre (les 7 et 8
septembre 2000) qu’un nouveau et ambitieux chapitre a vu le jour. En effet,
c’est sous le titre « Principes directeurs pour le développement
territorial durable du continent européen » que cet institut a élaboré
tout un ensemble de paramètres codifiés par le Comité des ministres du Conseil
de l’Europe, le 30 janvier 2002, sous la forme d’une recommandation (Rec
(2002)1). L’aménagement du territoire atteint une ampleur sans précédent
puisque les objectifs s’étendent jusqu'à Vladivostock comme le présente
la
carte élaborée par le Conseil de l’Europe
http://www.diploweb.com/cartes/cemat.pdf
[22].
Il est vrai que la Russie a intégré le Conseil de l’Europe en février 1996
offrant des perspectives nouvelles. Cette vision continentale s’appuie sur un
grand nombre de documents européens qui encadrent et prolongent la politique
d’aménagement du territoire. Comme le rappellent les textes, « Les
Principes directeurs tirent les enseignements d’un grand nombre de documents du
Conseil de l’Europe.
Parmi eux figurent la convention-cadre européenne sur la
coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, la
charte de Torremolinos de 1983, les travaux d’analyse pour un schéma européen
d’aménagement du territoire (ndlr : adopté lors de la Conférence de la
CEMAT, à Lausanne, en 1988), la charte de l’autonomie locale et le projet de
charte européenne de l’autonomie régionale. Sont également pris en compte dans
le document le Schéma de développement de l’espace communautaire (SDEC,
ndlr : adopté lors du Conseil informel des ministres de l’aménagement du
territoire à Potsdam, en Allemagne, en mai 1999), l’Agenda 21 pour la Baltique
ainsi que les stratégies de développement territorial élaborées actuellement
pour des sous-ensembles du continent européen, telles que les conceptions
territoriales pour le bassin de la Baltique, Vasab 2010 (coopération entre onze
Etats), l’esquisse de structure du Bénélux (coopération entre trois Etats) et
la stratégie pour un développement territorial intégré en Europe centrale,
adriatique et danubienne (Vision Planet - coopération actuellement entre douze
Etats,
(ndlr : adopté lors du 4è séminaire des groupes de
projets, Vienne, janvier 2000) »[23].
L’accumulation
d’un si grand nombre de documents révèle l’arrière-fond de cette politique
fédéralo-régionale tendant à créer un pôle européen soudé. Désormais, la
question majeure que l’on peut se poser est la suivante : forte d’un
partenariat transatlantique né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe
doit-elle approfondir ce lien ou le rompre afin d’apparaître aux yeux du monde
comme une force incontournable, désignée par certains sous l’expression
« Europe puissance » ?
G.
Schröder.
Crédits:
Ministère
des
Affaires
étrangères,
F.
de
la
Mure
5. Le partenariat transatlantique, « je
t’aime, moi non plus »
Au cours de l’année 2002 et durant
les premiers mois de l’année 2003, les relations transatlantiques ont connu une
forte houle au sujet de l’intervention militaire américaine et anglaise en
Irak.
La France et l’Allemagne ont manifesté une opposition qui a rallié la
Russie et la
Chine. Dans cette affaire, la France a été la figure de proue et a
recueilli un soutien très large chez les Français comme dans de nombreux pays
de part le monde. Pourtant, à y regarder de plus près, on se rend compte que la
France s’est trouvée bien isolée.
En effet, la Russie et la Chine ont louvoyé
pour, finalement, adopter une politique plus conciliante à l’égard des
Etats-Unis après la chute de Bagdad. Mais c’est notre voisin d’outre-Rhin qui a
eu le comportement le plus insolite. A l’origine, au cours de sa campagne
électorale durant l’été 2002, le chancelier Schröder n’a pas hésité à refuser
tout engagement de l’Allemagne en Irak « avec ou sans mandat de
l’ONU ». Cette attitude a permis de rallier les voix de nombreux
pacifistes qui lui ont permis de gagner les élections d’une courte tête, c’est-à-dire
avec l’appoint de 6000 voix. Par la suite, le Chancelier Schröder a continué à
manifester son refus de toute intervention en Irak. Cependant, la position
allemande n’a pas été aussi franche que l’on pense. Il est même possible
d’évoquer le terme de
"duplicité".
Quelques
exemples
En effet, des troupes allemandes NBC
(nucléaire, biologique, chimique) stationnaient au Koweït depuis janvier 2002.
Ces troupes NBC furent renforcées début mars 2003[24],
alors qu’on était en pleine crise irakienne, appuyées par la présence de
blindés allemands Fuchs (Fuch-Spürpanzer)
stationnés au Koweït[25].
A cela, il fallait ajouter l’existence de drones (appareils de reconnaissance
sans pilote : Luna-Aufklärungsdrohnen).
Des équipages allemands ont servi dans des avions Awacs d’observation au niveau
de la frontière turco-irakienne avec un sauf-conduit de la Cour
constitutionnelle[26].
Le gouvernement de Berlin a livré plus de 100 missiles Patriot, fournis officiellement à Israël, mais servis par un
personnel américain[27].
Enfin, depuis la fin de la guerre en Irak, un groupe d’élite paramilitaire
allemand, le GSG 9 (Grenzschutzgruppe 9),
directement sous les ordres du ministère de l’Intérieur d’Allemagne dirigé par
Otto Schilly, s’active à protéger les diplomates et les centres d’intérêts
allemands. Le GSG 9 est utilisé comme « source d’information
indispensable » au service des missions d’espionnage[28].
Force est de constater que la position allemande pratiquait et pratique encore
la politique du grand écart entre les Etats-Unis et la France.
Un
rapprochement
entre
l'Allemagne
et
les
Etats-Unis
?
Cependant,
on observe depuis de quelques mois un rapprochement significatif entre Berlin
et Washington. Le coup d’envoi officiel fut lancé le 9 mai 2003 lors du
centième anniversaire de la fondation de la Chambre de commerce américaine à
Berlin. Lors de son discours, le chancelier Schröder s’est employé à exprimer
la fidélité totale de l’Allemagne à l’égard des Etats-Unis, désigné sous le
terme « d’amitié vitale » (vitale
Freundschaft).
Pour le Chancelier, l’initiative de son pays ainsi que de la
France, de la Belgique et du Luxembourg en faveur d’une coopération militaire
étroite ne remet absolument pas en cause l’OTAN. Fait capital dans ces
relations germano-anglo-saxonnes, Gerhard Schröder a évoqué la nécessité
d’établir une nouvelle répartition du travail (eine neue Arbeitsteilung) au sein de l’Alliance atlantique[29].
Cette « répartition du travail » est un élément capital à retenir. En
effet, du fait de l’extension de l’UE et de l’OTAN à l’Est, de
la réussite de
la politique allemande à insuffler son modèle fédéral et régional dans la
construction européenne, un nouveau réglage au sein du partenariat
transatlantique s’avère indispensable. Ceci est d’autant plus vrai qu’au cœur
de
la brouille transatlantique durant l’hiver 2002/2003, le gouvernement
américain a dépêché un émissaire républicain auprès du gouvernement allemand
pour traiter de la politique de sécurité en Europe.
Echéances
pour
l'OTAN
et
l'UE
Selon le Financial Times Deutschland, les
Etats-Unis souhaitent un plus grand engagement de l’Allemagne dans cette
politique d’extension. Le projet d’une « Europe libre et unie » doit
obéir aux modalités suivantes. Les préparatifs permettant l’entrée de l’Ukraine
dans l’OTAN doivent commencer en 2004, suivis de la Serbie en 2005 et de la
Croatie et de l’Albanie en 2007. Pour 2007, les Etats-Unis souhaiteraient l’entrée
de la Turquie dans l’Union européenne. Selon le Financial Times Deutschland, « l’intégration complète des
Balkans et de l’Ukraine dans les institutions
euro-atlantiques doit être
achevée pour 2010 »[30].
Cette politique commence à se matérialiser
puisque le secrétaire d’Etat
américain, Colin Powell, a signé le 2 mai 2003 à Tirana, une « Charte de
l’Atlantique » avec l’Albanie, la Macédoine et la Croatie, destinée
« à faciliter l’intégration de ces trois pays balkaniques aux
institutions euro-atlantiques ». Comme le précise Colin Powell, « Cette
charte
servira comme un guide pour leur intégration euro-atlantique, ainsi que
comme
un guide pour nos efforts collectifs visant à les aider à atteindre leur
objectif. Elle (la charte) souligne l’importance que (les Etats-Unis)
accordent
à leur éventuelle intégration complète à l’OTAN et à d’autres
institutions
européennes (...), (elle) permettra le renforcement des liens à la fois
entre
les peuples de la région et avec les Etats-Unis »[31].
Cette
volonté
américaine
d’amorcer
l’extension
de
l’UE
et
de
l’OTAN
vers
l’Est
en
liaison
avec
Berlin
accompagne
les
projets
européens
de
régionalisation
de
toute
l’Europe
comme
le
prouve
la
carte
de
l’Assemblée
des
Régions
d’Europe.
6. Une Europe fragmentée au service des Etats-Unis
La classe politique américaine est largement au courant du processus de
fragmentation régional du continent européen. Ce fait fut manifesté
officiellement par le Président Clinton le 2 juin 2000 lorsqu’il reçut la plus
haute distinction eurofédéraliste : le Prix Charlemagne. Ce prix remis
pour la première fois en 1950 à Richard Coudenhove-Kalergi (1950, le fondateur
de la Paneurope), fut par la suite attribué par exemple à Jean Monnet (1953),
Winston Churchill (1955), Georges C. Marshall (1959), Henry Kissinger (1987),
Tony Blair (1999) ou encore à Valéry Giscard d’Estaing (2003). Au cours de son
discours, le Président Clinton a rappelé la nécessité d’une relation
transatlantique étroite en soulignant les mutations profondes de l’Europe.
Bill
Clinton.
Crédits:
Ministère
des
Affaires
étrangères,
F.
de
la
Mure
Le Président
américain a dit en effet ceci : « L’unité de l’Europe est en train
d’engendrer quelque chose de véritablement neuf sous le soleil : des
institutions communes plus vastes que l’Etat-nation parallèlement à la
délégation de l’autorité démocratique aux échelons inférieurs. L’Ecosse et le
Pays de Galles ont leurs propres parlements. L’Irlande du Nord, dont ma famille
tire son origine, a retrouvé son nouveau gouvernement. L’Europe est pleine de
vie et résonne à nouveau des noms d’anciennes régions dont on reparle - la
Catalogne, le Piémont, la Lombardie, la Silésie, la Transylvanie, etc - non pas
au nom d’un quelconque séparatisme, mais dans un élan de saine fierté et de
respect de la tradition. La souveraineté nationale est enrichie de voix
régionales pleines de vie qui font de l’Europe un lieu garantissant mieux
l’existence de la diversité (...) »[32].
Dans cette affaire, les Etats-Unis ont tout intérêt à voir l’émergence
politique des régions traitant directement avec Bruxelles, mais aussi avec tous
les lobbies anglo-saxons, sans passer par les Etats nationaux. Le processus de
démantèlement des Etats est bien engagé puisque le journaliste Peter M. Huber
de Die Welt n’a pas hésité à donner
comme titre à son article, commentant le projet de constitution de Valéry
Giscard d’Estaing, « la destitution des Etats-nations »[33].
7. Un partenariat transatlantique mieux réglé
Malgré les différents violents qui ont pu exister des deux côtés de
l’Atlantique, il est utile de rappeler que le très emblématique ministre des
Affaires étrangères d’Allemagne, Joschka Fischer, prône un renforcement du lien
transatlantique. Même si certains obstacles demeurent comme par exemple
l’obligation de recourir à l’unanimité des membres d’une Europe à 25 dans les
domaines touchant la politique étrangère et la fiscalité, il n’en reste pas
moins qu’il se dégage une volonté affirmée de la part de Berlin d’aboutir à un
resserrement du lien transatlantique.
11.01.2001,
H.
Vedrine
(France)
et
J.
Fischer
(Allemagne).
Crédits:
Ministère
des
Affaires
étrangères
Les propos d’un Joschka Fischer sont
particulièrement significatifs à ce sujet : « Pour nous Européens,
l’objectif est clair : nous voulons une Union européenne économiquement et
politiquement intégrée qui, en partenariat avec les Etats-Unis, garantisse à
l’Europe sa stabilité intérieure et apporte une contribution substantielle au
développement de la paix et de la justice dans le monde. Nous voulons un
partenariat étroit avec une présence durable de l’Amérique en
Europe. L’Union
de l’Europe et le partenariat entre l’Europe et l’Amérique ne sont pas des
processus opposés, mais complémentaires et cumulatifs. Plus d’Europe est la
condition préalable du partenariat de l’avenir »[34].
Think tanks
Cette
affirmation relaie les volontés exprimées au sein des Think tanks germaniques
comme la Fondation Bertelsmann, la Fondation Sciences et Politiques (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP) et le Centre de recherche
de politique appliquée (Centrum für
angewandte Politikforschung,
CAP). Ces Think tanks allemands pèsent lourds dans le paysage
politique outre-Rhin pour deux raisons. D’abord, ils travaillent en étroite
liaison avec des Think tanks
américains, en particulier le German
Marshall Fund. Ensuite, les résultats de leurs travaux décidés en amont se
retrouvent, sauf exceptions, en aval dans les décisions du gouvernement
Schröder.
Aussi, il est très intéressant d’évoquer le séminaire organisé par la
Fondation Bertelsmann en juillet 2003 en liaison avec le CAP. Parmi les nombreux
participants, on peut citer : Walter Stützle, secrétaire d’Etat au
ministère allemand de la défense, John Hamre, Président du Center for Strategic and International Studies (CSIS) Etats-Unis,
Caio Koch-Weser, secrétaire au ministère allemand des finances, Fred Bergsten
de l’Institute for International
Economics, Etats-Unis, Paul Achleitner, président d’Allianz AG, Jim Steinberg, représentant de la Brookings Institution, Etats-Unis, le conseiller pour les affaires
économiques et extérieures du Président Poutine, Andrei Illarionov et
Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France.
« USA-UE :
recommandations
stratégiques
pour
une
nouvelle
alliance
globale »
C’est
sous le titre « USA-UE : recommandations stratégiques pour une
nouvelle alliance globale » que ce séminaire a débattu des relations
transatlantiques. Comme le rapporte la Fondation : « Le symposium
transatlantique de la Fondation Bertelsmann exclut tout retour au statu quo ante. Au vu des défis globaux,
il n’y a pas d’autre alternative qu’une alliance transatlantique. Le diagnostic
est posé et la thérapie doit commencer. Qui veut positivement changer le monde,
doit utiliser le potentiel transatlantique. Le partenariat transatlantique
reste la force décisive qui façonne la politique mondiale »[35].
Telle est la conclusion de ces experts réunis au sein de deux groupes :
« Sécurité » et « Economie, Commerce et finance ». Werner Weidenfeld, Président du CAP et membre du praesidium de la Fondation
Bertelsmann a résumé la situation en insistant sur le fait que « Nous ne
pouvons pas nous permettre une érosion continue de ce partenariat si
nécessaire. Une rupture civilisationnelle avec l’Amérique aurait des
conséquences catastrophiques dans les domaines politiques, de la sécurité et
économiques ». Fait particulièrement révélateur, les représentants lors de
ce séminaire ont bien fait comprendre à Jean-claude Trichet, gouverneur de la
Banque de France et prochain président désigné de la
Banque centrale européenne
(la BCE), que « l’Europe a la chance de se positionner en tant qu’acteur
global sérieux uniquement comme partenaire et non comme rivale des
Etats-Unis ». A bon entendeur ... salut !
Le
renforcement
de
la
coopération
entre
les
Américains
et
les
Européens
Au
cours de ces débats, les différents experts se sont tous finalement engagés
dans la même voie, celle du renforcement de la coopération entre les Américains
et les Européens : développement en commun du droit international, du
principe interdisant l’emploi de la violence au sein d’une architecture globale
de sécurité, de la nécessité de développer une convention transatlantique sur
l’emploi de la force dans les relations internationales ainsi qu’un système de
contrôle international luttant contre les
armes de destruction massive et leur
dispersion ... Selon ces experts : « Un engagement commun dans les
secteurs de crise doit être pris en compte à côté des aspects de politique de
sécurité comme à côté des aspects financiers et économiques. Les Etats-Unis et
l’Union européenne devraient poursuivre de ce fait un but commun, provoquer une
transformation démocratique profonde qui s’appuierait sur des fondamentaux
sociaux et économiques solides ».
Conclusion
Finalement, nous assistons à la volonté de mettre en place un pilier
américain et un pilier européen unis sur des principes communs. En réalité,
nous devrions plutôt dire un pilier européen assujetti à l’Imperium américain car dans cette affaire les Etats-Unis et leurs
alliés anglais restent les maîtres-d’œuvre d’une vision planétaire. Pour la
réalisation de cette politique, on comprend donc mieux la nécessité pour
l’Europe d’amoindrir le rôle des Etats et de favoriser l’émergence des régions
au profit d’une autorité supranationale dont la légitimité, dans les affaires
internationales, trouve déjà sa racine dans l’article 6 du projet de Constitution
de Valéry Giscard d’Estaing : « L’Union est dotée de la personnalité
juridique ».
L’Allemagne, à l’origine des textes
fondateurs de la
construction européenne (charte des langues régionales ou minoritaires,
convention-cadre pour la protection des minorités, chartes de
l’autonomie
locale et régionale, convention-cadre sur la coopération
transfrontalière,
aménagement du territoire dans le cadre de la CEMAT, projet de Code
civil
européen unique sous la direction du juriste Christian von Bar), est en
mesure
d’atteindre un niveau lui permettant de jouer un rôle majeur.
Cependant, l’histoire
nous enseigne que sur Terre rien n’est
acquis, rien n’est éternel. Minée par une
démographie
suicidaire, comme
partout en Europe, l’Allemagne connaît de graves difficultés
économiques.
Certes, elle souffre d’une trop grande rigidité dans son organisation
économique à laquelle le gouvernement Schröder tente de remédier.
Cependant,
aucune politique aussi subtile soit-elle, s’appuyant sur des rêves de
partenariats mondiaux, ne peut perdurer si les décès l’emportent sur les
naissances. L’hiver démographique qui touche toute l’Europe lui interdit
à plus
ou moins long terme toute « politique puissance », à moins d’un
réveil brutal de l’instinct de survie. Enfin, le partenariat
germano-anglo-saxon qui semble s’affermir doit affronter la réalité du
terrain
et les menaces qui ne manquent pas : le terrorisme islamique, une Russie
aux problèmes économiques, sociaux, démographiques, de santé etc. ... Les divorces font partie de la vie
humaine. Tout le problème est de savoir si
les élites de ces deux mondes
sauront s’entendre dans la répartition des rôles et tenir le choc afin d’aller
jusqu’au bout de cet idéal prométhéen.
Pierre
Hillard
L'adresse
url de cette page est : http://www.diploweb.com/forum/hillard2.htmNDLR: Lire à ce sujet : "Vers la coopération régions françaises-laender allemands", in "Chronique économique, syndicale et sociale", n°125, décembre 2003, p.2. (25 rue du Poteau, 75018, Paris, France) Il est notamment écrit: "La rencontre organisée à Poitiers fin octobre (2003) entre responsables des régions françaises et des laender allemands a été fructueuse: échanges de personnels administratifs, rapprochement des systèmes scolaires, universitaires et de formation professionnelle, possibilité donnée aux enseignants des deux pays d'enseigner dans les deux pays, livre d'histoire en commun, mise en réseau des systèmes de formation initiale et continue, formation de groupes de travail sur la culture, l'enseignement supérieur et la recherche, sur le développement économique, l'environnement, l'aménagement du territoire, jumelages entre régions, dans tous les domaines, c'est donc un resserrement de la collaboration entre régions situées de part et d'autre du Rhin qui nous est annoncé." Notes:
[1] Charte européenne des régions frontalières et transfrontalières, Gronau, Editions ARFE, 20 novembre 1981,
modifiée le 1er décembre 1995, p. 5.
[2] Voir carte de l’ARFE :
Régions frontalières européennes 2000.
http://www.diploweb.com/cartes/regionsarfe.pdf
[3] Raumentwicklung und Raumordnung in Deutschland, Bundesamt für Bauwesen und Raumordnung,
Bonn, mars 2001, p. 59.
http://www.diploweb.com/cartes/zusamm1.htm
Avec l'aimable
autorisation de la revue B.I (www.b-i-infos.com).
[4] Contact Bulletin, Bureau européen pour les langues moins
répandues, n°3, juin 1998, p. 9.
[5] Dernières Nouvelles d’Alsace,
22 août 1998.
[6] Grundzüge einer INTERREG IIIC Regionalen
Rahmenoperation (RRO),
Editions l’ARFE, mars 2002.
[7] 30 ans de travail en commun,
Editions l’ARFE, septembre 2001, p. 13.
[8] Le Monde, 26 juin 2003
(édition internet).
[9] Recommandation 34 (1997) sur le projet de Charte européenne de l’autonomie
régionale, Discussion par le
Congrès et adoption le 5 juin 1997, 3è séance (voir doc. CPR (4) 4
révisé, recommandation présentée par M. Peter Rabe, rapporteur, Allemagne).
[10] Le Figaro, 9 janvier 2003.
[11] Le Figaro, 16 juillet 2003.
[12] Voir carte : Les politiques structurelles et les
territoires de l’Europe, Coopération sans frontières : Les 13
programmes INTERREG IIIB 2000-2006, Commission européenne, 2002.
http://www.diploweb.com/cartes/interreg.pdf
.
Avec l'aimable autorisation de la
revue B.I (www.b-i-infos.com)
[13] Ibid., p. 8.
[14] Assemblée Générale de l’Assemblée des Régions d’Europe (Mannheim, 5 février 1992), approbation des
nouveaux statuts de l’ARE, Strasbourg, Editions l’ARE, 1992.
[15] Voir carte : Tabula
Regionum Europae, 2002 (l’ARE)
à
l'adresse
www.are-regions-europe.org
[16] Comité des Hauts fonctionnaires chargé de préparer la Conférence Européenne
des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire, CMAT/HF (69) 7, Strasbourg, Conseil de l’Europe,
19 juin 1969, p. 1.
[17] www.coe.int/T/F/Coopération_culturelle/Environnement/CEMAT/_Summary.asp
(source : Conseil de l’Europe).
[18] Comité des hauts fonctionnaires chargé de préparer la Conférence Européenne
des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire, op. cit, pp. 1-2.
[19] Charte européenne de l’aménagement du territoire, Charte de Torremolinos, Strasbourg, Conseil de l’Europe, adoptée le 20
mai 1983.
[20] Ibid., p. 7.
[21] Ibid.,
[22] Voir carte : Conférence
Européenne des Ministres responsables de l’Aménagement du Territoire (CEMAT),
Principes directeurs pour le développement territorial durable du continent
européen, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2002.
http://www.diploweb.com/cartes/cemat.pdf
Documents/ppes_directeurs_rec.asp,
p. 5 (source : Conseil de l’Europe).
[24] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1046559600.php
[25] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1034891763.php
[26] Le Figaro, 6 avril 2003.
[27] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1042761986.php
[28] www.german-foreign-policy.com/de/news/article/1060639200.php
du 12.08.2003
[29] Die Welt, 9 mai 2003 (source internet).
[30] Financial Times Deutschland, 24.10.2002 : USA machen Pläne für Europas Zukunft, von Hubert Wetzel
[31] Le Monde, 4/5 mai 2003.
[32] www.karlspreis.de/portrait/2000_6.html
[33] Die Welt, 11 juillet 2003
(source internet).
[34] www.leforum.de/fr/fr-revueeurope34.htm
[35] www.bertelsmann-stiftung.de/news,
18 juillet 2003.
|
Date de la
mise en ligne: novembre 2003
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|
Biographie de Pierre Hillard, spécialiste de l'Allemagne | |||
|
.
Professeur d’histoire-géographie..
Secrétaire de rédaction de Jeune France
(www.jeune-france.org). . Auteur de "Minorités et régionalismes, Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe", aux éditions François-Xavier de Guibert. . Pierre Hillard a publié en mars 2003 sur ce site :"La Grande Europe ou le grand basculement ?" http://www.diploweb.com/p5hillard1.htm |
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