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jeudi 23 janvier 2014

Oliver Stone : “J’ai subi un lavage de cerveau comme la plupart des enfants américains”



Dans sa série documentaire “Une autre histoire de l’Amérique”, Oliver Stone revisite 75 ans de politique extérieure des Etats-Unis. Avec un sens critique toujours aussi affûté.

Après avoir consacré trois films de fiction aux présidents des Etats-Unis (JFK, Nixon et W.), Oliver Stone a choisi la voie du documentaire pour retracer leur action à la Maison-Blanche, de 1940 à nos jours. Son Autre histoire de l’Amérique, diffusée tous les jeudi sur Planète+ jusqu’au 13 février, est une captivante saga de dix heures uniquement constituée d’ima­ges d’archives, impressionnante par la densité de ses informations… et la virulence de son propos. Rencontre avec un cinéaste très remonté.

Qu’apprend-on aujourd’hui dans les écoles américaines sur l’histoire des Etats-Unis ?
 
Un point de vue strictement américain. Tout n’est pas faux, mais quand vous rentrez davantage dans les détails, beaucoup de choses « gênantes » sont évacuées. Ainsi, le discours officiel sur Hiroshima n’a pas changé depuis 1945 : seule la bombe atomique aurait forcé le Japon à capituler. Or, c’est l’entrée en guerre de l’URSS contre l’armée de Hiro-Hito qui a précipité la reddition des militaires nippons.


Aux Etats-Unis, les manuels scolaires sont très compartimentés : les épisodes historiques sont énumérés mais pas reliés les uns aux autres, il n’y a pas de vision globale. Tout ce que nous racontons dans la série a déjà été révélé ailleurs, parfois à la « une » des journaux, mais a été oublié. Nous avons voulu donner un sens aux événements. Montrer, en quelque sorte, la face cachée de la lune.


Votre « autre histoire de l’Amérique » est, surtout, une autre histoire de la politique extérieure des Etats-Unis...
 
C’est une histoire internationale, car les Etats-Unis ont le leadership : ils dictent les politiques, montrent (et, souvent, imposent) la route à suivre au monde entier. Nous avons voulu montrer un tableau d’ensemble. Pour condenser 70 ans d’histoire en 10 heures de documentaires, nous avons choisi de ne pas évoquer de nombreux événements a priori intéressants mais en fait presque anecdotiques. Par exemple nous passons assez vite sur le scandale du Watergate pour mieux nous concentrer sur les actions criminelles de Nixon en Asie du Sud-Est, bombardée des années durant. Les Etats-Unis sont sortis de la guerre du Vietnam honteux d’eux-mêmes, mais cela ne se reflète plus dans leur histoire. Ronald Reagan fut un des premiers à dire : « Pourquoi avoir honte du Vietnam ? Ce fut une bonne guerre, nous avons fait ce qui était juste ». Bush père et fils l’ont suivi... Car, depuis les années 80, les néoconservateurs ont entrepris de réécrire la mémoire du Vietnam, notamment via les médias qu’ils contrôlent. Les Américains se désintéressent de l’étranger (70% n’ont pas de passeport ! ), ils ne savent rien : ils sont manipulés par des télévisions commerciales stupides, qui vendent des infos. Il y a eu un sondage l’année dernière, et la majorité des jeunes Américains, les 15-30 ans, estiment que la guerre au Vietnam fut une bonne chose. Nous savons aujourd’hui que George Orwell avait raison, que les gouvernements et les politiciens peuvent réécrire l’histoire.


« J’ai cru au projet de Reagan
de révolution conservatrice » 


Avez-vous entendu ce discours sur la grandeur de l’Amérique dans votre jeunesse ?
 
Oui, dès l’école primaire, mais aussi au cinéma ! J’ai subi un lavage de cerveau comme la plupart des enfants américains. Je suis parti au Vietnam avec l’idée que c’était comme dans un film de John Wayne, un affrontement entre cow-boys et indiens où nous tenions le rôle des cow-boys... Il m’a fallu beaucoup de temps pour voir la vérité. J’ai voté pour Reagan en 1980, j’ai cru en son projet de révolution conservatrice mais quand j’ai vu ce qui se passait en Amérique centrale... Reagan a soutenu tous les dictateurs locaux, il a voulu anéantir la révolution sociale au Salvador et au Nicaragua, a semé le désordre au Honduras et au Guatemala. C’est à partir de là que j’ai vraiment commencé à ouvrir les yeux, sans forcément saisir le plan d’ensemble. En 2008, même après avoir tourné plusieurs fictions sur l’histoire contemporaine, même après avoir tourné W., je ne comprenais pas pourquoi nous venions de vivre huit ans de cauchemar sous la présidence de George W. Bush. J’ai décidé de regarder en arrière pour comprendre : Bush est-il une aberration de l’histoire américaine ou la continuation d’un processus ? Au bout de quatre ans de travail, j’ai trouvé la réponse : George W. Bush est une étape de plus, certes exagérée, dans un continuum historique qui a démarré à la fin du XIXe siècle avec le désir impérialiste de trouver des marchés étrangers pour les biens et les services que les Etats-Unis produisaient.


Est-il selon vous le pire président américain depuis la Seconde Guerre mondiale ?
 
Probablement. Mais dans la série documentaire, j’ai été trop doux avec son père : c’est vraiment un sale type, son intervention militaire au Koweit reste une honte. Et, dans le genre néfaste, Reagan n’était pas mal non plus. Les électeurs ne savaient pas ce qu’il faisait, en tant qu’ancien acteur hollywoodien, il avait l’air tellement amical, tellement sympa. Or, sa politique a tué tellement de gens...


Y-a-t-un président qui, depuis Roosevelt, trouve grâce à vos yeux ?
 
Oui, John Fitzgerald Kennedy. Je l’admire, car il a brisé les règles. Il avait fait un grand discours contre le colonialisme, avec une prise de position forte sur l’Algérie, c’était un homme intelligent, élégant. Il a résisté aux pressions de la CIA et des hauts-gradés, à la différence d’Obama qui n’a pas les épaules aussi solides. A la Maison-Blanche, les Présidents vivent dan une bulle : ils sont entourés de cadres de la sécurité nationale et du Pentagone qui leur disent en permanence que leur vie est en danger, que le pays est menacé. Ils vivent dans cette ambiance paranoïaque et c’est très difficile de ne pas y succomber. Aussi longtemps que nous serons militarisés à outrance, nous nous créerons de nouveaux ennemis : l’URSS avant-hier, Saddam Hussein hier (George Bush père l’avait même comparé à Hitler !), le terrorisme aujourd’hui et peut-être la Chine demain. Nous nous sentons constamment menacés : nous nous méfions de l’étranger, de l’autre en général. C’est stupide. Les Etats-Unis me font penser à un petit garçon qui aurait peur de tout le monde, alors qu’il est le plus costaud du quartier !


« Pourquoi Obama a-t-il maintenu
les lois sur la sécurité nationale ? »


Que reprochez-vous à Obama ?
 
Avant son élection, il a dit très clairement que la guerre en Irak était en erreur, qu’il rendrait le gouvernement plus transparent, qu’il y aurait de l’espoir et du changement. Or la guerre contre le terrorisme a continué avec plus de moyens, plus d’attaques de drones. Et Obama a décidé de surveiller le monde entier ! La parano américaine est un virus qui s’est étendu à l’Angleterre, mais aussi à la France. Je ne comprends pas François Hollande. Un socialiste qui aime autant les militaires, c’est bizarre, non ?


Pensez-vous que la politique extérieure américaine puisse devenir moins agressive ?
 
Obama est un homme plus modéré, plus rationnel que Bush. Et il n’est pas stupide ! Il a sans doute agi davantage sous la pression de son entourage qu’en fonction de ses propres croyances. Mais pourquoi a-t-il maintenu les lois sur la sécurité nationale, sur les détentions illégales ? A Washington, les néoconservateurs ont fini par convaincre beaucoup de monde que le pire pouvait arriver. Même si vous montrez à un néoconservateur qu’il fait grand beau, il vous répondra toujours : « Peut-être, mais il pourrait pleuvoir ! ». Si Obama, au terme de son second et dernier mandat, est remplacé en 2016 par un républicain conservateur type Mitt Romney ou John McCain, tout est en place pour une aggravation : le président des Etats-Unis a tellement de pouvoir...


Lors de la diffusion de Une autre histoire de l’Amérique aux Etats-Unis en novembre 2012, vous avez été vivement critiqué par des historiens conservateurs. Votre image de « gauchiste » a-t-elle brouillé la réception de la série ?
 
Bien sûr. Depuis que j’ai réalisé JFK en 1991, je suis un cinéaste « étiqueté ». Comme si j’avais franchi la ligne jaune... Aux Etats-Unis, les critiques de cinéma me réservent un « traitement de faveur » : mon travail n’est pas jugé uniquement comme celui d’un réalisateur de films, mais aussi comme le discours d’un « idéologue ». De plus, et ce n’est pas par paranoïa que je le dis, c’est après la sortie de JFK que la CIA a ouvert un bureau à Hollywood : l’agence est très efficace pour promouvoir son action auprès du public américain, de la même manière qu’Edgar Hoover avait popularisé le FBI grâce à une série télé dans les années 50. Le Pentagone, qui n’avait pas aimé Platoon et Né un 4 juillet, a, lui aussi, ouvert une succursale à Hollywood. Le résultat ? Alias, 24 heures chrono et Homeland sont des « séries CIA » à succès. Pour La Chute du faucon noir, Ridley Scott a pu bénéficier des hélicoptères de l’armée – c’est un film très bien fait, mais mensonger voire dégueulasse sur sa vision de la guerre en Somalie. Tout comme Du sang et des larmes, de Peter Berg, qui raconte une opération des forces spéciales américaines en Afghanistan. La distorsion de la réalité la plus outrancière que j’ai vue depuis longtemps !


(23-01-2014 - Propos recueillis par Samuel Douhaire)

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