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lundi 27 janvier 2014

Questions à Jacques Borde (2) : Damas Vs Occident, épisode 2

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BforBorde
Bien que le bruit des tambours de guerre se soit apaisé, les risques de confrontations demeurent. Notamment entre les différents acteurs du Levant. Sur ce point, qu’en est-il de l’État hébreu et de la République arabe syrienne, qui se sont déjà affronté par le passé ?
Q – Au point où nous en sommes rendus, pensez-vous que l’hypothèse d’une confrontation israélo-syrienne soit toujours d’actualité ?
Jacques Borde – Je sais bien que beaucoup de media se focalisent assez facilement sur les propos des dirigeants politiques. Et, le Premier ministre israélien, Binyamin Nétanyahu, est, avant tout; un homme politique ! Par là, je veux dire qu’il est autant préoccupé de questions géostratégiques que de politique tout court, d’où des propos justement tenus à l’intention du landernau journalistique, qui réagit au quart de tour ! Ceci posé, par rapport aux précédentes semaines, je dirai que les risques de confrontation entre MM. Assad et Nétanyahu1, me semblent beaucoup moins élevés. Pourquoi ?
Primo, parce que, quelque part, il est possible que, progressivement, l’on s’achemine vers la fin de la Guerre de Syrie, dont une éventuelle guerre israélo-syrienne n’aurait été, de fait, que le prolongement. Dans la mesure où se dessine un assèchement des maquis (prenons un terme qui dit quelque-chose dans la culture politico-historique européenne) animés par les Contras syriens, il est probable qu’en l’absence de véritables fronts, seuls des foyers de djihâd et, probablement, une forme de terrorisme urbain2 persisteront.
Je note, d’ailleurs, que le ministre israélien des Affaires internationales, de la Stratégie & du Renseignement, Yuval Steinitz, n’avait pas exclu une sortie de guerre favorable à Damas, lorsqu’il déclarait devant l’Association de la presse étrangère, que « cela pourrait être possible, Assad (…) pourrait prendre le dessus (…). À ce stade du conflit, si l’opposition ne fait pas de progrès et le régime réussit à survivre et à obtenir un très fort soutien (…) à savoir de l’Iran et du Hezbollah (…) il pourrait en fin de compte survivre ».
Secundo, parce que, même si cette guerre perdure, il y a bien eu assèchement de la Contra syrienne à proximité du Liban et d’Israël, donc au Front nord d’Israël. Pourquoi ? Je pense que Damas et le Hezbollah ont parfaitement intégré la nécessité de refroidir prioritairement ce front là, ayant suffisamment de fers au feu. D’une certaine manière, on pourrait dire que les messages (sic) délivrés par l’Heyl Ha’Avir3 ont bien été reçus, tant à Damas qu’à Beyrouth.
Q – Vous pensez vraiment que le pouvoir syrien est sorti d’affaire ?
Jacques Borde – Il en prend le chemin, en tout cas ! Regardons les faits, simplement les faits. Au printemps dernier, que nous disaient les chefs des diplomaties française et séoudienne4 ? Qu’aucune conférence de paix ne pourrait avoir lieu sans ce qu’ils appelaient un « rééquilibrage de la balance militaire sur le terrain »5 en faveur des Contras. Or, patatras ! le Secrétaire général des Nations unies, le Sud-Coréen Ban Ki-moon, vient, lui, de nous dire, que Genève-2 aura bien lieu à la mi-novembre 2013, alors que la situation des Contras du Takfir est pire qu’elle ne l’était il y a quatre mois. Quant deux acteurs les plus intéressés à Genève-2, les chefs des diplomaties US et russe, John F. Kerry et Sergueï Lavrov, ces eux là ne cessent de multiplier les déclarations apaisantes en vue de son bon déroulement. Finalement, selon Peter Harling, un expert de la Syrie basé à Bruxelles, l’opposition se retrouvera « encore affaiblie par le processus de Genève, s’il est façonné par les États-Unis et la Russie pour enrober politiquement leur accord sur les armes chimiques, dont le seul but est d’éviter une guerre dont personne ne veut »6.
Q – En quoi le Golan est-il si sensible, je veux dire relativement à ce conflit plutôt inter-arabe ?
Jacques Borde – Parce que la zone, autour de Quneïtra7, est démilitarisée et doit le rester ! En y nettoyant les éléments takfiri, les Syriens, stricto sensu, y ont, certes, effectué une violation caractérisée du traité conclu avec Israël. Mais, comme l’a noté Gérard Fredj, cette présence est restée limitée, sur zone, à « quelques heures » seulement. Dont acte, dans les deux capitales, où ce nettoyage satisfaisait tout le monde.
Donc, en toute logique, cet assèchement devrait entraîner, à son tour, une baisse de tension entre Damas et Jérusalem. Du moins, peut-on le supposer !
Q – Pourquoi donc ?
Jacques Borde – Parce que – en dehors du facteur iranien, sur lequel je reviendrai plus tard – les tensions préexistantes à cette guerre (qui sont, certes, anciennes entre les deux pays : Israël et Syrie), ont, depuis des décennies, toujours été gérées sans en arriver à des guerres ouvertes. Damas et les Assad sont de vielles connaissances pour les dirigeants et l’establishment militaire hiérosolymitains. Et inversement. Revenons plutôt à l’un de mes marottes préférées : pourquoi Damas et Jérusalem se feraient-ils la guerre sans réels buts de guerre ?
Q – Et, selon vous, il n’y en a pas ?
Jacques Borde – Oh ! Lorsqu’on cherche la petite bête, on en trouve toujours ! Disons qu’il n’y en a guère.
Côté israélien, le Premier ministre, Binyamin Nétanyahu, l’a dit et répété, le casus belli serait le surarmement du Hezbollah et la prolifération de groupes terroristes hostiles à Israël. Et, encore, l’Heyl Ha’Avir l’a amplement démontré, des frappes aéroportées suffisent à régler le premier de ces deux aléas, sans montée aux extrêmes, pour reprendre le mot de Clausewitz ! Pourquoi aller plus loin ?
Côté syrien, si Damas arrive à stabiliser sa situation aux frontières d’Israël et à en extirper les groupes armés prompts à y semer le trouble, le retour au statu quo ante devrait ramener le calme. Reste la problématique du Golan8. Mais celle-ci, in fine, reste un dossier que les deux parties savent gérer dans la durée. Et, franchement, à l’issue de cette guerre, quel intérêt aurait Bachar el-Assad à en entamer une autre ? Surtout avec un adversaire de la taille d’Israël, frais et dispos de surcroit ? Sauf à honorer un éventuel hidden agenda vis-à-vis de l’Iran, que subodorent certains, mais auquel, personnellement, je ne crois pas…
Puisque nous en sommes au Golan, restons-y ! En 1973, le cessez-le-feu a fait que Tsahal est revenu sur ses positions de 1967, reculant ainsi de la Ligne Bravo à la Ligne Alpha. La zone ainsi évacuée devenant, en 1974, le No Man’s land confié à la la Force des Nations-unies chargée d’observer le dégagement (Fnuod) dès 1974. Reste sur les bras des deux acteurs régionaux, un dossier à régler. Mais, ni plus ni moins qu’avant l’irruption d’éléments takfiri sur zone…
Q – Stabiliser le Golan vous semble primordial ?
Jacques Borde – Oui ! Mais, comme je l’évoquais plus haut, la vraie inconnue est le rôle que compte jouer désormais Téhéran, plus présent désormais, par Hezbollah interposé. Debka File, qui se montre plutôt pessimiste, estime qu’Israël va bientôt se retrouver « face à face pour la première fois avec des unités du Hezbollah équipés d’armement lourd et de missiles se déplaçant le long de la frontière syro-israélienne et postant des miliciens en opposition aux avant-postes israéliens du Golan et des villages ». Et, à l’en croire au lieu « de s’affaiblir, le proxy libanais de l’Iran est en phase d’ouvrir un autre front et de forcer l’armée israélienne à s’adapter à un nouveau défi militaire venant du Golan… ».
Q – Vous partagez cette analyse ?
Jacques Borde – Pour partie, oui. Il est évident que le Hezbollah, notamment de par sa participation à la Bataille de Qussayr, a considérablement agrandi sa zone d’influence. La vraie question est donc : que va-t-il faire de ce regain d’influence ? Or, rappelons que ses pertes enregistrées en Syrie ont été très importantes. Sur ce point, notons ce qu’a déclaré Wayne White9 du Middle East Institute10, « Les commandos du Hezbollah ont mené des combats acharnés à Qussayr. L’afflux de cercueils vers les régions libanaises contrôlées par le mouvement prouve qu’ils ont payé un lourd tribut ». D’après lui, le Hezb continuera à participer au conflit syrien, seuls ses pertes et le débordement du conflit sur le sol libanais serait de nature à l’arrêter. Mais de là à relancer la tension avec l’ennemi du Sud, cela n’est guère crédible.
Côté libanais, Adnane Mansour, le ministre des Affaires étrangères11, a quelque peu tempéré le tableau, estimant que « Les combattants du Hezbollah ont uniquement défendu leurs frères libanais dans la région de Qussayr12 (…). Le Hezbollah ne combat pas dans le sud syrien, ni à Daraa, ni à Idleb ou Qamichli. Seulement à Qussayr pour défendre ces Libanais qui ont été agressés par les rebelles… ». Toujours, selon Adnane Mansour, « Le Hezbollah ne participera pas aux autres batailles et si nous disons que c’est lui qui mène la combat, c’est très réducteur pour l’armée syrienne qui est l’une des 20 armées les plus puissantes au monde, avec des effectifs de 400.000 hommes et autant de réservistes ».
Q – Vous le croyez ?
Jacques Borde – Je pense que ce qui est important dans les propos de M. Mansour n’est pas tellement ce qu’il dit, mais pourquoi il le dit ! Sur le fond, si l’armée syrienne avait l’expertise et la force que lui prête Adnane Mansour, on est en droit de se demander ce que le Hezb est allé faire dans cette galère. À l’évidence, le ministre Mansour prêche pour sa paroisse. Mais, d’un autre côté, Mansour qui est, nécessairement, en contact avec sa contrepartie hezbollahie, dispose d’éléments lui permettant de nous dire13 que, effectivement, « Le Hezbollah ne participera pas aux autres batailles ». Ou, du moins, pas à la même échelle. Ne serait-ce qu’en raison des pertes essuyées précédemment !
D’autre part, dans la guerre des mots (une tension dialectique, en fait) qui oppose au camp occidental ceux que l’on appelait, naguère, le Front du Refus, et qui se désignent eux-mêmes sous l’appellation de Résistance, voire même de Résistance croyante14, on constate toujours une oscillation permanente dans la manière de nommer l’adversaire. Le classique sioniste pour qualifier Israël est toujours prégnant dans les discours. Cependant, il est fréquent, de plus en plus même, que l’Amérique prenne le pas comme ennemi principal dans le discours de certains. Un site pro-hezbollah titrant, Cf. L’armée syrienne libère Qussayr des terroristes de l’alliance américano-takfirie ! Là, exit Israël, qui est à peine évoqué dans le corps de l’article.
Q – Qu’en déduire ?
Jacques Borde – Que, probablement, la nébuleuse hezbollahie15 gère davantage (plus qu’hier, en tout cas) sa relation avec l’hostis en termes plus stratégiques que purement idéologiques. En l’espèce, le Hezb estime peut-être avoir suffisamment pris de coups, au sud. D’où l’intérêt de le faire savoir, verbatim Mansour, à qui de droit !
Les derniers propos du secrétaire général adjoint du Hezbollah, vont d’ailleurs dans le sens de l’apaisement. Cheikh Na’ïm Qâssem ayant estimé que « la région s’oriente vers le calme politique et les solutions stratégiques. Toutes les options militaires ont prouvé sur les plans régional et international leur inefficacité et n’aboutissent pas au résultat escompté »16.
Ce (plausible) pragmatisme n’est pas nécessairement l’apanage de tout le monde. Certains, à l’évidence, sont beaucoup plus schizophréniques.
Q – Et à qui pensez-vous ?
Jacques Borde – Clairement à l’Égypte, la Tunisie, la Libye, etc, où le discours s’est durci ! Généralement, ces pays tombés, plus ou moins, dans l’escarcelle du Takfir à l’occasion des printemps arabes. Notez, par exemple, que dans des cercles proches du pouvoir cairote sauce Frères musulmans, on était repassé de l’évocation de guerres à buts de guerre limités (Guerre d’attrition, Guerre d’Octobre de 1973), au concept de rejet des juifs à la mer. Idem pour la Bande de Gaza d’ailleurs…
Pour revenir à ce que je vous disais, dans ma fiche de lecture17 de Hezbollah la voie, l’expérience, l’avenir, du n°2 du Hezbollah Cheikh Na’ïm Qâssem18, l’occurrence du terme sioniste apparaît moins fréquemment que les qualificatifs israélien, israélienne, apparaissant 90 fois. L’appellation Israël revenant, elle, 57 fois. Soit 12 occurrences du terme sioniste contre 147 autres pour nommer l’adversaire. Bien sûr, il s’agit là d’un cas d’espèce et de l’édition en français de l’ouvrage. À comparer, cependant, avec la littérature antisioniste/antisémite qui, dans certaines publications, va jusqu’à prohiber toute terminologie classique. Quitte à modifier arbitrairement les recensions et citations extérieures. Sans, bien évidemment, prévenir les personnes concernées !…
Ceci dit, cette évolution du discours, pour peu qu’elle se vérifie, ne ferait pas pour autant du Hezbollah un adversaire à négliger pour les Israéliens. En 1973, l’Égypte qui conduisit, à cette occasion, une guerre de récupération (et non d’éradication) à buts limités et somme toute classique, n’en a pas moins fortement menacé Israël…
Q – Sinon, que pensez-vous de l’idée, fréquemment évoquée, d’instaurer une No fly zone (NFZ) au-dessus de la Syrie ?
Jacques Borde – Vaste question et qui comporte plusieurs volets :
1° Se pose, d’abord, le volet juridique d’une pareille zone. Ne tournons pas autour du pot : jamais Pékin et encore moins Moscou ne donnerons leur aval. Or, ces deux-là sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-unies. Et ils y disposent d’un droit de veto. Échaudés par la Guerre de Libye, où ces deux puissances estiment avoir été flouées par les Occidentaux et leurs résolutions à géométrie variable, ni les Chinois ni les Russes ne valideront, quelques puissent être le gesticulations de Paris ou de Londres, une NFZ. Point final !
2° Une NFZ, au sens large (comprenez étendue à toute la Syrie) ? Avec quels moyens ? À en croire Wayne White, « L’instauration de la zone d’exclusion aérienne en Syrie constituerait un gros problème pour les États-Unis alors que beaucoup de forces et de moyens sont actuellement déployés en Afghanistan. Elle exigerait beaucoup plus de moyens que celle qui a été imposée en Libye, car la DCA libyenne était beaucoup plus faible que celle de la Syrie. Si cette éventuelle zone d’exclusion devait comprendre des attaques contre les troupes gouvernementales et le Hezbollah, cette mission supplémentaire exigerait davantage de moyens en termes d’aviation, de carburant et de munitions »19.
3° Une NFZ limitée aux seules zones rebelles ? Mais lesquelles ? Toujours selon Wayne White, s’il serait « plus plausible » qu’une zone réduite soit instaurée au nord du pays afin de protéger l’opposition armée. « Le coût d’une telle zone réduite serait également très élevé, de plus, elle pourrait s’avérer incapable d’empêcher la défaite des rebelles dans les régions restantes »20.
4° Une NFZ mobile (ou sur mesures) ? En pratique, n’est-ce pas ce que fait, déjà, l’Heyl Ha’Avir21 lorsqu’elle tape des objectifs précis, mais restreints, en Syrie ? Mais, alors, pourquoi aller devant le Conseil de sécurité des Nations-unies ? Pour y essuyer une rebuffade diplomatique ? Autant continuer avec ce qui fonctionne plutôt bien : des frappes au coup par coup, lorsque cela s’avère nécessaire. D’autant que, là, les pays occidentaux, n’ont même pas à y mouiller leur chemise. Évidemment, cela implique pour Londres, Paris et Washington d’être totalement dépendants de la (bonne) volonté des Israéliens dans ce domaine…
Q – Vous doutez de la volonté des uns et des autres ?
Jacques Borde – Si vous parlez de volonté d’en découdre ? Oui ! Vous savez : la NFZ, c’est comme le reste, qui en veut vraiment dans le camp occidental ? Seuls Londres et Paris font montre d’une certaine véhémence. Et encore.
Côté US, ce cher Henry Kissinger nous l’a encore rappelé : « Les Américains n’ont plus aucun appétit pour davantage de guerre, ce qui rend difficile le choix d’un engagement militaire en Syrie. si cette guerre a lieu, cela ne fera que provoquer la fissure au sein même de la société américaine. Les autorités devront expliquer à l’opinion américaine et de façon claire quels sont les objectifs d’une intervention militaire contre la Syrie . les États-Unis ne doivent pas s’impliquer dans un dossier dont ils ne connaissent pas l’issue ni le comment de sa gestion ».
On en revient toujours au point de départ : quels sont les buts de guerre des uns et des autres ? Et Dear Henry n’a pas tort. Concernant la Syrie, l’administration Obama n’en a pas beaucoup dans sa besace. De plus, il doit faire face à l’entêtement russe, plus gênant pour lui que les velléités guerrières de Paris ou de Londres. Or, sur ce point, Vladimir V. Poutine n’a pas varié d’un iota depuis qu’il affirmait, alors simple candidat à la présidence, qu’« Il est inacceptable que le scénario libyen soit réédité en Syrie. Les efforts de la communauté internationale doivent être tout d’abord orientés sur la conclusion d’une trêve inter-syrienne ». D’où le vote (enfin) unanime au Conseil de sécurité des Nations-unies. Et Genève-2, bien sûr.
Q – Et, pas de tentation du côté d’Israël ?
Jacques Borde – Non, je ne crois pas. Même si, quelque part, cela doit être un des espoirs que nourrit l’administration Obama : faire faire le sale boulot par Israël ! Mais Jérusalem, qui a le sens de ses intérêts au Levant, n’ira pas au-delà de ce qu’a défini Binyamin Nétanyahu. À savoir, limiter la prolifération de certains type d’armements entre les mains du Hezbollah et calmer les pulsions d’épuration ethnique propres aux excités takfiri. Des enjeux somme toute limités. Ce qu’a encore rappelé le ministre israélien de la Défense, le Rav Alouf (lieutenant-général) Moshé Bougui Yaalon22, déclarant qu’Israël « saurait quoi faire » si la Russie livrait des S-30023.
Mais, même là, nous restons largement dans la tension dialectique.
Q – Pour finir, quid de la position de Paris sur ce dossier ?
Jacques Borde – L’administration Hollande s’est beaucoup trop engagé sur ce dossier. Elle serait bien inspirée de se replonger dans ses manuels d’Histoire. En effet, comme l’a rappelé le Pr. Bruno Guigue24, « En1956, Guy Mollet voulait écraser le FLN et humilier Nasser (…). Le Raïs égyptien a tiré de cette calamiteuse expédition un prestige inégalé, le FLN a arraché l’indépendance de l’Algérie et la SFIO a fini à 5% des voix aux élections. Manifestement, les socialistes n’ont tiré aucune leçon de ce fiasco inaugural qui marqua leur entrée dans l’arène internationale »25.
Q – Vous restez très critique vis-à-vis de cette position officielle de la France?
Jacques Borde – Oui. Mais, le problème est que je suis loin d’être le seul à douter ainsi des engagements de notre gouvernement. Et, là, je vous citerai un homme d’expérience, l’ancien juge antiterroriste Alain Marsaud, qui est très clair sur le sujet.
Pour lui, « Après les coptes d’Égypte viendra le tour des chrétiens de Syrie. Là aussi, l’action de la France aurait été mieux employée à les défendre. Mon expérience d’ancien responsable de la lutte antiterroriste en France m’a permis sans doute d’avoir une approche plus prudente et moins va-t-en-guerre que certains dirigeants français. Le gouvernement français a choisi la rupture totale avec l’autorité officielle syrienne pour flirter avec une Armée syrienne libre (ASL) ou avec des groupes violents de nature djihâdiste prônant la charia, en tout cas très éloignés de la laïcité et de la démocratie que je souhaitais voir s’instaurer en Syrie en cas de changement de régime. La France a choisi, au moins dans le discours, la voie de l’engagement militaire et s’est trouvée bien isolée auprès d’un allié américain qui n’a d’ailleurs jamais donné l’impression d’être réellement à l’écoute de notre diplomatie et qui joue sa partie personnelle, notamment avec la Russie. Aujourd’hui, le joueur d’échecs Vladimir Poutine a renversé la table et la France se trouve totalement isolée. Je dirai même exclue d’un dispositif politique et militaire qu’elle avait pourtant pris l’initiative de lancer. On ne doit pas le regretter, car je ne suis pas certain que notre pays ait la capacité militaire de frapper les cibles assadistes. Nous ne sommes pas dans un contexte libyen qui nous avait apparemment réussi, mais face à un ennemi armé et déterminé ».

J’ajouterai que, parfois, l’absurdité du dogmatisme de la gauche française atteint des sommets que j’ai du mal à comprendre. Ainsi, Al-Akhbar, a rapporté que François Hollande « n’a pas reçu le patriarche grec-orthodoxe Youhanna X Yazigi26 »27 à l’occasion de sa dernière visite à Paris. Ce, alors même que des autorités officielles avaient assuré que cette rencontre aurait bien lieu. « Des sources ecclésiales », n’a pu que noter notre confrère beyrouthin « ont trouvé étrange que l’entretien n’ait pu se tenir, vu ce qui se passe à Maaloula et ce que subissent les chrétiens de Syrie d’une manière générale »28. Étrange, oui ! Absurde, même…