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lundi 22 mai 2017

Dérives, enseignements et jugements autour du phénomène légionnariste et de son chef historique Cornéliu Zéléa Codréanu

Codreanu

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  On a beaucoup glosé sur le mouvement légionnaire de Cornéliu Zéléa Codréanu. Pour certains, il s'agissait d'un mouvement chrétien, typiquement réactionnaire et antisémite. Pour d'autres, la réalité est beaucoup plus complexe et mérite un approfondissement doctrinal. Analyse d'un mouvement traditionaliste européen.

archan10.gif[Ci-contre : icône légionnaire célébrant la naissance de Codreanu, le 13 septembre 1899, sous la protection de l'Archange Michel, dont il fera le saint patron de son mouvement politique. “L'envoyé de l'Archange” s'était vu attribuer par les masses paysannes le titre de “capitaine” qui désigne les défenseurs de la nation, de l'honneur et de la justice]
Il faut remonter jusqu'en 1859, si on veut com­prendre avec exactitude le phénomène légionna­riste et par la suite gardiste. Cette année-là est marquée par la fondation de l'État unitaire rou­main qui naît de l'association des principautés de Valachie et de Moldavie.

À cette époque, la vie politique du pays se répartit en trois collèges électoraux qui représentent les principales strates sociales existantes : les grands propriétaires fonciers, les fonctionnaires et les bourgeois des villes, les paysans. Cette réparti­tion quelque peu injuste permet aux forces finan­cières du pays de s'emparer de l'appareil d'État, alors même que les paysans, majoritaires, ne sont que très faiblement représentés à la Chambre des Députés et pas du tout au Sénat. Devant ce scan­dale, les paysans ne tardent guère à manifester leur mécontentement.

Contre l'usure

C'est ainsi qu'en 1907, les paysans roumains créent une petite révolution en s'attaquant aux ri­ches propriétaires fonciers. À cette époque, les Juifs qui résident en Roumanie détiennent une part considérable du pouvoir financier. L'antisé­mitisme devient alors très virulent. Pendant cette révolte, un jeune sous-lieutenant, du nom de Ion Antonescu, futur Conducator de Roumanie, se fait remarquer par sa violence à l'égard des grands spéculateurs capitalistes. Ces événements terminés, les intellectuels comprennent la nécessi­té de faire participer les masses paysannes à la vie économique et sociale de la nation. En 1910, est fondé le Partidul Nationalist-Democrat (Parti Na­tional-Démocrate) avec, à sa tête, l'historien Ni­colas Iorga (1871-1940) et le juriste de souche allemande Cu­za. Ce parti suscite d'ailleurs l'éclosion de toute une série d'autres mouvements nationalistes.

La Légion de l'Archange Michel

vacare10.jpgAu début des années 20, la pauvreté atteint son paroxysme. Le nationalisme gagne la jeunesse. Le 24 juin 1927 a lieu la fondation du mouvement légionnaire sous le nom de la Légion de l'Ar­change Michel. Cinq personnes sont à l'origine de cette création : Ioan I. Moţa [orthographié parfois Motza en fr.], Ilie Gârneaţă, Cornéliu Georgesco, Radu Mironovici et bien sûr Cornéliu Codréanu.
Né le 13 septembre 1899, Cornéliu Zéléa Codréanu fait ses études secondaires dans un collège militaire. Très tôt, il prend conscience de la nécessité d'un engagement politique total sans aucune concession face au monde moderne. En octobre 1919, alors qu'il n'a que 20 ans, il ad­hère au mouvement patriotique de la Garde de la conscience nationale [organisation anticommuniste de masse prônant un socialisme nationaliste chrétien, créée en 1919] dirigé par l'ouvrier-typographe Cons­tantin Pancu. Il y milite pendant 4 ans. Puis le 4 mars 1923 se constitue la Ligue de la défense nationale chrétienne [L.A.N.C. = Liga Apărării Naţional Creştine] sous la présidence de celui dont nous avons parlé un peu plus haut : le Dru­mont roumain, A.C. Cuza. Codréanu s'y occupe de l'organisation dans tous le pays. Il entreprend, avec quelques-uns de ses camarades de combat, la liquidation des politiciens corrompus les plus connus afin de créer un climat général d'extrême tension qui doit servir à réaliser la future révolu­tion nationaliste. Il se doit d'être souligné qu'à l'époque, Codréanu jouit d'un grand prestige au­près de la jeunesse universitaire. Il étonne déjà par le magnétisme qu'il exerce sur les foules. Il se marie le 4 juin 1925 avec Elenea Ilinoiü devant plus de 10.000 personnes.

La Légion de l'Archange Michel peut se définir par son rôle d'ordre politico-religieux comme un mouvement qui désire renouer avec l'héritage spirituel et traditionnel, impérial-européen. Très vite, elle se dote d'une revue bi-mensuelle : La Terre des ancêtres (Pămîntul Strămoşesc) dont le premier numéro paraît le 1er août 1927.

Le 1er octobre 1927 est fondé à Bucarest le pre­mier nid légionnaire. La Légion de l'Archange Michel peut s'interpréter comme une milice de Dieu. Son but premier est de faire s'épanouir spirituellement les individus. Sur le rôle éminem­ment religieux joué par la légion, Codréanu s'ex­plique :
« La légion est une école et une armée plu­tôt qu'un parti politique. Tout ce que notre race peut engendrer de plus fier, de plus pur, de plus travailleur et de plus brave, l'âme la plus belle que notre esprit puisse imaginer, voilà ce que l'é­cole légionnaire doit produire ».
Pourtant une question épineuse se pose : peut-on limiter la spi­ritualité légionnaire au christianisme orthodoxe ? Selon le traditionaliste italien Claudio Mutti :
« Ce qui caractérise l'essence même du légionnarisme roumain, c'est un esprit transcendant la dimen­sion religieuse en général, et celle du christianis­me en particulier, et pour laquelle la foi des mas­ses christianisées de Roumanie constitua le véhi­cule d'une spiritualité plus haute ».
Julius Evola lui-même n'écrivait-il pas, lui qui, justement, s'était intéressé de très près au mou­vement légionnaire, que :
« L'idée de la présence des morts — et tout particulièrement celle des hé­ros — aux côtés des vivants, et qui est particuliè­rement vive dans le mouvement légionnaire, re­flète d'une façon indubitable certaines formes bien connues d'une spiritualité pré-chrétienne ».
Par ailleurs, Claudio Mutti insiste :
« La formule propitiatoire d'un rituel mithriaque cite nommé­ment l'Archange comme l'intermédiaire au travers duquel la force immortalisante du Dieu se transmet à l'initié : en fait dans le mithraïsme, l'Archange, c'est celui qui transmet au myste l'auréole glorieuse, un intermédiaire analogue au qutb de l'ésotérisme islamique, “l'axe” au mo­yen duquel descend la barakah. Or, on le sait, le mithraïsme se développa sur tout le territoire de l'ancienne Roumanie, très avant la christianisa­tion, comme l'attestent les découvertes archéo­logiques que l'on continue de faire aujourd'hui encore un peu partout, de la Transylvanie à la Mer Noire. On peut quasiment, dans ces con­ditions, tenir pour certain que l'Archange “Mi­chel” constitue un travestissement chrétien d'une entité préexistante à la christianisation de la Da­cie ».
D'autre part,
« Dans la pratique légionnaire, un autre élément revêt une signification différente de celle qu'il possède dans le christianisme : il s'agit de la prière. Pour le légionnaire, celle-ci n'est pas une simple requête présentée à la divinité, une manifestation de sentimentalisme dévotionnel, mais bien plutôt un acte rituel nécessitant qui doit agir sur les forces mys­térieuses du monde invisible… La prière légion­naire est, par conséquent, une récitation rituelle à travers laquelle s'exprime un acte de puissance, et non pas seulement un acte de foi ».
Il y aurait beaucoup à dire aussi sur le “sacrifice” dans la doctrine spirituelle légionnaire. Dans son Traité sur l'histoire des religions, Mircea Eliade — membre d'un cuib gardiste — écrit en substance que l'homme légionnaire est immortel dans la mesure où par son sacrifice il régénère les forces sacrées des origines. Et pour conclure sur cette question, Mutti affirme :
« Le légionnarisme va chercher ses racines au plus profond d'une cul­ture dans laquelle l'élément chrétien ne constitue que l'ultime strate qui s'est déposée au-dessus de toute une série d'autres âmes se combinant en un synthèse totalement originale ».
Le mouvement légionnaire commence à prendre une importance assez considérable sur le plan na­tional. Le nombre de ses militants augmente cha­que mois. Alors le 20 juin 1930, Codréanu déci­de de constituer au sein de la légion un mouve­ment, la Garde de Fer (Garda de Fier) qui a pour but de parer à un éventuel coup de force militaire soviétique.
Une doctrine politique et sociale cohérente
Garde de FerDans les années qui suivent, la Garde de Fer su­bit des attaques de toutes parts. Sa première dis­solution est prononcée le 11 janvier 1931 tandis que le gouvernement national-paysan donne l'or­dre à la police d'arrêter de nombreux militants gardistes. Cette répression n'empêche en rien la progression électorale du mouvement. En effet, le 3 août 1931, aux élections partielles dans le dé­partement du Neamtz (Moldavie), les légionnaires remportent une belle victoire en récoltant plus de 11.301 voix. Codréanu est élu député.
La Garde de Fer devient alors une force politique de plus en plus incontournable. Elle développe un certain nombre d'idées fortes intéressantes, notamment à travers l'ouvrage de Codréanu Pentru legionari. Ces grandes orientations doctrinales permettent de bien cerner le corpus idéologique légionnariste : rejet du marxisme comme du libéralisme démocratique, lutte politique temporelle et revitalisation spirituelle, adoption d'un type d'idéal aristocratique s'accomplissant dans une société organique et communautaire, fidélité aux principes traditionnels élitaires qui abattront l'égalitarisme niveleur, mise en place d'une véritable justice sociale rompant définitivement avec le socialisme collectiviste et le capitalisme marchand…
Malheureusement toutes ces considérations doc­trinales ne viennent pas à bout de la répression régimiste. C'est ainsi qu'en mars 1932, le gou­vernement Iorga-Argetoïanu exige la deuxième dissolution de la Garde de Fer. Malgré ces pro­blèmes, le mouvement légionnaire obtient un franc succès aux élections générales de juillet (70.000 voix et 5 sièges au Parlement).
Le 10 décembre 1933, intervient une troisième dissolution du mouvement de Codréanu. Cela fait déjà plus de 3 ans que le roi Carol II est rentré en Roumanie. Cette fois-ci, 20.000 légionnaires sont arrêtés. Quant aux morts, ils sont évalués au nombre de 16. La vengeance gardiste intervient dans la nuit du 29 au 30 décembre. Le Ministre Duca est abattu par 3 légionnaires. Le 20 mars 1935, la Garde de Fer réapparaît sous le nom de Tout pour la patrie [Totul Pentru Ţară]. La présidence est assurée par le général Gheorghe Cantacuzino-Granicerul. Le 25 octobre 1936 est créé le corps ouvrier légion­naire sous le commandement de l'ingénieur Gheorghe Clime.
La doctrine légionnaire accorde une place prépondérante aux revendications so­ciales. Rien ne lui est plus étranger que le capita­lisme financier. Cette préoccupation des intérêts ouvriers s'explique par le rôle éminemment im­portant que revêt le travail dans l'éthique légion­naire. La prise en compte de la motivation des forces du travail doit trouver son plein accomplis­sement dans le dialogue avec les forces du capi­tal, ceci dans un souci de restauration du corpora­tisme d'inspiration nationale-chrétienne. Cette volonté révolutionnaire de reconstituer la commu­nauté populaire et sociale roumaine est motivée par la nécessité impérative de supprimer la lutte des classes au profit du rassemblement de tous les atomes du corps social…
L'arrestation du Capitaine
Le 20 décembre 1937, Tout pour la patrie recueil­le 17 % des voix et fait entrer au Parlement 66 dé­putés. La Garde de Fer est maintenant le troisiè­me parti de Roumanie.
La Garde de Fer prend une signification toute particulière lorsqu'on sait qu'une partie assez im­portante de l'élite intellectuelle roumaine la sou­tient. N'est-ce pas Emil Cioran qui, sous la si­gnature des légionnaires de Paris, écrira l'article daté du 30 novembre 1940, jour anniversaire de l'assassinat de Codréanu :
« La figure généreuse de Codréanu, créateur et organisateur du mouve­ment légionnaire, suprême exemple de sacrifice, s'entoure pour tous les légionnaires d'une auréole de saint et de martyr. C'est lui qui le premier de tous les Roumains, avec une sûreté d'intuition étonnamment pénétrante, a proclamé qu'il fallait retrouver l'âme de la nation roumaine, constamment mise en échec, d'abord par des siècles de servitude, et tout récemment encore, par une classe dirigeante hypocrite et criminelle. Par là même, il a expliqué sa confiance dans les vertus cachées et inaltérables de notre peuple, et il a compris que ce peuple a besoin d'être libre, nous voulons dire, d'être lui-même, et non pas ce qu'on lui disait d'être ; qu'il avait une grande soif de liberté intérieure, en voulant passer sur ses propres racines. C'est pourquoi le premier effort de Codréanu a été la création d'un homme nou­veau, le seul vrai, le seul capable de donner un rythme nouveau à la vie du peuple roumain ».
D'autres intellectuels comme Mircea Eliade ou Virgil Georghiu n'hésitent pas à prendre fait et cause pour le Capitaine et son mouvement.
Le 17 avril 1938, Codréanu est arrêté. Cette nou­velle persécution est ordonnée par Armand Cali­nesco. Deux jours après, Codréanu est jugé pour acte d'outrage à l'adresse du Professeur N. Ior­ga. Le verdict tombe : ce sera une condamnation à six mois de prison.
Le 27 mai 1938, la condamnation à 6 mois de pri­son se transforme en une peine de dix ans de tra­vaux forcés. Le motif : trahison en la patrie ! Ce qui ne manque pas de piment lorsqu'on sait avec quelle force Codréanu défendait son pays. Au contraire, ce qui l'avait fait agir sur une voie fac­tieuse contre l'État bourgeois roumain, c'était son attachement à sa nation et à l'idée qu'il se faisait d'elle.
Enfin, le 29 novembre 1938 à dix heures du soir, on ouvre la cellule de Codréanu et de ses 13 ca­marades, on les installe dans un camion, puis on les étrangle au moyen d'une corde alors que le camion roule toujours. Alors, afin de les rendre non identifiables, on versera de l'acide sulfurique sur leurs corps martyrisés pour finalement les re­couvrir de ciment et de terre.
Ce massacre perpétré par les hommes d'Armand Calinesco ne restera pas sans suite. Puisque ce dernier est exécuté par 9 légionnaires dirigés par Miti Dumitresco, le 21 septembre 1939. Le même jour est organisé un véritable carnage dans les milieux légionnaires. Un nouveau gouverne­ment est constitué sous la dépendance du Général Argeseanu.
SimaL'abdication du roi Carol II survient le 6 septem­bre 1940 alors que Horia Sima [ci-contre] est désigné suc­cesseur de Codréanu par le fondateur du mouve­ment Cornéliu Georgesco. Il s'entretient avec le Général Antonesco pour la formation du nouveau Gouvernement. Mais le 21 janvier 1941, Anto­nesco décide de “casser” la Garde de Fer. Les meurtres se comptent par dizaines. Les princi­paux chefs légionnaires se réfugient en Allema­gne où ils seront par la suite internés dans divers camps de concentration. Car en effet, Hitler joue la carte Antonesco.
La guerre enfin terminée, les légionnaires sont li­bérés et acquittés au procès de Nuremberg.
► Arnaud Guyot-Jeannin, Orientations n°13, 1991.
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◘ Bibliographie en français :
  • Dossier “Un mouvement chevaleresque au XXe siècle, La Garde de Fer”, Totalité n°18-19, 1984 [articles]
  • La Garde de Fer (Pour les légionnaires), C. Codreanu, Prométhée, Paris, 1938, réed. : Ion Mării-Belmain, Grenoble, 1972
  • Idem, Le Livret du chef de nid, éd. Pămîntul Strămoşesc, Madrid, 1978
  • Agathon & Vulfran Mory, Codreanu et la Garde de Fer : le dossier, Trident, 1991 [recension]
  • Paul Guiraud, Codréanu et la Garde de Fer, éd. du Francisme, 1940, rééd. : Trident, 1990
  • Faust Brădesco, Le nid : unité de base du mouvement légionnaire, Carpatii, Madrid, 1973
  • Idem, Les trois épreuves légionnaires : éléments de doctrine, Prométhée, 1972
  • Idem, Antimachiavélisme légionnaire, Dacia, Rio de Janeiro, 1963
  • Platon Chirnoagă, Un Chapitre d'histoire roumaine (1940-1945), 1962
  • H. Sima, Histoire du mouvement légionnaire, Dacia, 1972
  • Jérôme & Jean Tharaud, L'Envoyé de l'Archange, Plon, 1939

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♦ Documentation sur internet :

La nation roumaine (Codreanu), • Observations sur la démocratie (Codreanu), • « La tragédie de la Garde de Fer », J. Evola, (Totalité n°18/19, p. 178-197), • Le mouvement légionnaire (G. Buzatu) • In memoriam (L. Rebatet, 1938 ; autres articles), • Les Roumains Nos Alliés ? (PJ Thomas, Sorlot, 1939), • Codreanu, l'homme de la forêt (M. Gauvain, 1939), • Essai sur le fanatisme contemporain (M. Dion, Harmattan, 2002).