Codreanu
Par EROE
On
a beaucoup glosé sur le mouvement légionnaire de Cornéliu Zéléa
Codréanu. Pour certains, il s'agissait d'un mouvement chrétien,
typiquement réactionnaire et antisémite. Pour d'autres, la réalité est
beaucoup plus complexe et mérite un approfondissement doctrinal. Analyse
d'un mouvement traditionaliste européen.
[Ci-contre
: icône légionnaire célébrant la naissance de Codreanu, le 13 septembre
1899, sous la protection de l'Archange Michel, dont il fera le saint
patron de son mouvement politique. “L'envoyé de l'Archange” s'était vu
attribuer par les masses paysannes le titre de “capitaine” qui désigne
les défenseurs de la nation, de l'honneur et de la justice]
Il
faut remonter jusqu'en 1859, si on veut comprendre avec exactitude le
phénomène légionnariste et par la suite gardiste. Cette année-là est
marquée par la fondation de l'État unitaire roumain qui naît de
l'association des principautés de Valachie et de Moldavie.
À
cette époque, la vie politique du pays se répartit en trois collèges
électoraux qui représentent les principales strates sociales existantes :
les grands propriétaires fonciers, les fonctionnaires et les bourgeois
des villes, les paysans. Cette répartition quelque peu injuste permet
aux forces financières du pays de s'emparer de l'appareil d'État, alors
même que les paysans, majoritaires, ne sont que très faiblement
représentés à la Chambre des Députés et pas du tout au Sénat. Devant ce
scandale, les paysans ne tardent guère à manifester leur
mécontentement.
Contre l'usure
C'est ainsi qu'en 1907, les paysans roumains
créent une petite révolution en s'attaquant aux riches propriétaires
fonciers. À cette époque, les Juifs qui résident en Roumanie détiennent
une part considérable du pouvoir financier. L'antisémitisme devient
alors très virulent. Pendant cette révolte, un jeune sous-lieutenant, du
nom de Ion Antonescu, futur Conducator de Roumanie, se fait remarquer
par sa violence à l'égard des grands spéculateurs capitalistes. Ces
événements terminés, les intellectuels comprennent la nécessité de
faire participer les masses paysannes à la vie économique et sociale de
la nation. En 1910, est fondé le Partidul Nationalist-Democrat (Parti National-Démocrate) avec, à sa tête, l'historien Nicolas Iorga
(1871-1940) et le juriste de souche allemande Cuza. Ce parti suscite
d'ailleurs l'éclosion de toute une série d'autres mouvements
nationalistes.
La Légion de l'Archange Michel
Au
début des années 20, la pauvreté atteint son paroxysme. Le nationalisme
gagne la jeunesse. Le 24 juin 1927 a lieu la fondation du mouvement
légionnaire sous le nom de la Légion de l'Archange Michel. Cinq personnes sont à l'origine de cette création : Ioan I. Moţa [orthographié parfois Motza en fr.], Ilie Gârneaţă, Cornéliu Georgesco, Radu Mironovici et bien sûr Cornéliu Codréanu.
Né
le 13 septembre 1899, Cornéliu Zéléa Codréanu fait ses études
secondaires dans un collège militaire. Très tôt, il prend conscience de
la nécessité d'un engagement politique total sans aucune concession face
au monde moderne. En octobre 1919, alors qu'il n'a que 20 ans, il
adhère au mouvement patriotique de la Garde de la conscience nationale
[organisation anticommuniste de masse prônant un socialisme
nationaliste chrétien, créée en 1919] dirigé par l'ouvrier-typographe
Constantin Pancu. Il y milite pendant 4 ans. Puis le 4 mars 1923 se
constitue la Ligue de la défense nationale chrétienne [L.A.N.C. = Liga Apărării Naţional Creştine]
sous la présidence de celui dont nous avons parlé un peu plus haut : le
Drumont roumain, A.C. Cuza. Codréanu s'y occupe de l'organisation dans
tous le pays. Il entreprend, avec quelques-uns de ses camarades de
combat, la liquidation des politiciens corrompus les plus connus afin de
créer un climat général d'extrême tension qui doit servir à réaliser la
future révolution nationaliste. Il se doit d'être souligné qu'à
l'époque, Codréanu jouit d'un grand prestige auprès de la jeunesse
universitaire. Il étonne déjà par le magnétisme qu'il exerce sur les
foules. Il se marie le 4 juin 1925 avec Elenea Ilinoiü devant plus de
10.000 personnes.
La Légion de l'Archange Michel
peut se définir par son rôle d'ordre politico-religieux comme un
mouvement qui désire renouer avec l'héritage spirituel et traditionnel,
impérial-européen. Très vite, elle se dote d'une revue bi-mensuelle : La Terre des ancêtres (Pămîntul Strămoşesc) dont le premier numéro paraît le 1er août 1927.
Le 1er octobre 1927 est fondé à Bucarest le premier nid légionnaire. La Légion de l'Archange Michel
peut s'interpréter comme une milice de Dieu. Son but premier est de
faire s'épanouir spirituellement les individus. Sur le rôle éminemment
religieux joué par la légion, Codréanu s'explique :
« La légion est une école et une armée plutôt qu'un parti politique. Tout ce que notre race peut engendrer de plus fier, de plus pur, de plus travailleur et de plus brave, l'âme la plus belle que notre esprit puisse imaginer, voilà ce que l'école légionnaire doit produire ».
Pourtant
une question épineuse se pose : peut-on limiter la spiritualité
légionnaire au christianisme orthodoxe ? Selon le traditionaliste
italien Claudio Mutti :
« Ce qui caractérise l'essence même du légionnarisme roumain, c'est un esprit transcendant la dimension religieuse en général, et celle du christianisme en particulier, et pour laquelle la foi des masses christianisées de Roumanie constitua le véhicule d'une spiritualité plus haute ».
Julius Evola lui-même n'écrivait-il pas, lui qui, justement, s'était intéressé de très près au mouvement légionnaire, que :
« L'idée de la présence des morts — et tout particulièrement celle des héros — aux côtés des vivants, et qui est particulièrement vive dans le mouvement légionnaire, reflète d'une façon indubitable certaines formes bien connues d'une spiritualité pré-chrétienne ».
Par ailleurs, Claudio Mutti insiste :
« La formule propitiatoire d'un rituel mithriaque cite nommément l'Archange comme l'intermédiaire au travers duquel la force immortalisante du Dieu se transmet à l'initié : en fait dans le mithraïsme, l'Archange, c'est celui qui transmet au myste l'auréole glorieuse, un intermédiaire analogue au qutb de l'ésotérisme islamique, “l'axe” au moyen duquel descend la barakah. Or, on le sait, le mithraïsme se développa sur tout le territoire de l'ancienne Roumanie, très avant la christianisation, comme l'attestent les découvertes archéologiques que l'on continue de faire aujourd'hui encore un peu partout, de la Transylvanie à la Mer Noire. On peut quasiment, dans ces conditions, tenir pour certain que l'Archange “Michel” constitue un travestissement chrétien d'une entité préexistante à la christianisation de la Dacie ».
D'autre part,
« Dans la pratique légionnaire, un autre élément revêt une signification différente de celle qu'il possède dans le christianisme : il s'agit de la prière. Pour le légionnaire, celle-ci n'est pas une simple requête présentée à la divinité, une manifestation de sentimentalisme dévotionnel, mais bien plutôt un acte rituel nécessitant qui doit agir sur les forces mystérieuses du monde invisible… La prière légionnaire est, par conséquent, une récitation rituelle à travers laquelle s'exprime un acte de puissance, et non pas seulement un acte de foi ».
Il y aurait beaucoup à dire aussi sur le “sacrifice” dans la doctrine spirituelle légionnaire. Dans son Traité sur l'histoire des religions, Mircea Eliade — membre d'un cuib
gardiste — écrit en substance que l'homme légionnaire est immortel dans
la mesure où par son sacrifice il régénère les forces sacrées des
origines. Et pour conclure sur cette question, Mutti affirme :
« Le légionnarisme va chercher ses racines au plus profond d'une culture dans laquelle l'élément chrétien ne constitue que l'ultime strate qui s'est déposée au-dessus de toute une série d'autres âmes se combinant en un synthèse totalement originale ».
Le
mouvement légionnaire commence à prendre une importance assez
considérable sur le plan national. Le nombre de ses militants augmente
chaque mois. Alors le 20 juin 1930, Codréanu décide de constituer au
sein de la légion un mouvement, la Garde de Fer (Garda de Fier) qui a pour but de parer à un éventuel coup de force militaire soviétique.
Une doctrine politique et sociale cohérente
Dans
les années qui suivent, la Garde de Fer subit des attaques de toutes
parts. Sa première dissolution est prononcée le 11 janvier 1931 tandis
que le gouvernement national-paysan donne l'ordre à la police d'arrêter
de nombreux militants gardistes. Cette répression n'empêche en rien la
progression électorale du mouvement. En effet, le 3 août 1931, aux
élections partielles dans le département du Neamtz (Moldavie), les
légionnaires remportent une belle victoire en récoltant plus de 11.301
voix. Codréanu est élu député.
La
Garde de Fer devient alors une force politique de plus en plus
incontournable. Elle développe un certain nombre d'idées fortes
intéressantes, notamment à travers l'ouvrage de Codréanu Pentru legionari.
Ces grandes orientations doctrinales permettent de bien cerner le
corpus idéologique légionnariste : rejet du marxisme comme du
libéralisme démocratique, lutte politique temporelle et revitalisation
spirituelle, adoption d'un type d'idéal aristocratique s'accomplissant
dans une société organique et communautaire, fidélité aux principes
traditionnels élitaires qui abattront l'égalitarisme niveleur, mise en
place d'une véritable justice sociale rompant définitivement avec le
socialisme collectiviste et le capitalisme marchand…
Malheureusement
toutes ces considérations doctrinales ne viennent pas à bout de la
répression régimiste. C'est ainsi qu'en mars 1932, le gouvernement
Iorga-Argetoïanu exige la deuxième dissolution de la Garde de Fer.
Malgré ces problèmes, le mouvement légionnaire obtient un franc succès
aux élections générales de juillet (70.000 voix et 5 sièges au
Parlement).
Le
10 décembre 1933, intervient une troisième dissolution du mouvement de
Codréanu. Cela fait déjà plus de 3 ans que le roi Carol II est rentré en
Roumanie. Cette fois-ci, 20.000 légionnaires sont arrêtés. Quant aux
morts, ils sont évalués au nombre de 16. La vengeance gardiste
intervient dans la nuit du 29 au 30 décembre. Le Ministre Duca est
abattu par 3 légionnaires. Le 20 mars 1935, la Garde de Fer réapparaît
sous le nom de Tout pour la patrie [Totul Pentru Ţară].
La présidence est assurée par le général Gheorghe
Cantacuzino-Granicerul. Le 25 octobre 1936 est créé le corps ouvrier
légionnaire sous le commandement de l'ingénieur Gheorghe Clime.
La
doctrine légionnaire accorde une place prépondérante aux revendications
sociales. Rien ne lui est plus étranger que le capitalisme financier.
Cette préoccupation des intérêts ouvriers s'explique par le rôle
éminemment important que revêt le travail dans l'éthique légionnaire.
La prise en compte de la motivation des forces du travail doit trouver
son plein accomplissement dans le dialogue avec les forces du capital,
ceci dans un souci de restauration du corporatisme d'inspiration
nationale-chrétienne. Cette volonté révolutionnaire de reconstituer la
communauté populaire et sociale roumaine est motivée par la nécessité
impérative de supprimer la lutte des classes au profit du rassemblement
de tous les atomes du corps social…
L'arrestation du Capitaine
Le 20 décembre 1937, Tout pour la patrie
recueille 17 % des voix et fait entrer au Parlement 66 députés. La
Garde de Fer est maintenant le troisième parti de Roumanie.
La
Garde de Fer prend une signification toute particulière lorsqu'on sait
qu'une partie assez importante de l'élite intellectuelle roumaine la
soutient. N'est-ce pas Emil Cioran qui, sous la signature des légionnaires de Paris, écrira l'article daté du 30 novembre 1940, jour anniversaire de l'assassinat de Codréanu :
« La figure généreuse de Codréanu, créateur et organisateur du mouvement légionnaire, suprême exemple de sacrifice, s'entoure pour tous les légionnaires d'une auréole de saint et de martyr. C'est lui qui le premier de tous les Roumains, avec une sûreté d'intuition étonnamment pénétrante, a proclamé qu'il fallait retrouver l'âme de la nation roumaine, constamment mise en échec, d'abord par des siècles de servitude, et tout récemment encore, par une classe dirigeante hypocrite et criminelle. Par là même, il a expliqué sa confiance dans les vertus cachées et inaltérables de notre peuple, et il a compris que ce peuple a besoin d'être libre, nous voulons dire, d'être lui-même, et non pas ce qu'on lui disait d'être ; qu'il avait une grande soif de liberté intérieure, en voulant passer sur ses propres racines. C'est pourquoi le premier effort de Codréanu a été la création d'un homme nouveau, le seul vrai, le seul capable de donner un rythme nouveau à la vie du peuple roumain ».
D'autres
intellectuels comme Mircea Eliade ou Virgil Georghiu n'hésitent pas à
prendre fait et cause pour le Capitaine et son mouvement.
Le
17 avril 1938, Codréanu est arrêté. Cette nouvelle persécution est
ordonnée par Armand Calinesco. Deux jours après, Codréanu est jugé pour
acte d'outrage à l'adresse du Professeur N. Iorga. Le verdict tombe :
ce sera une condamnation à six mois de prison.
Le
27 mai 1938, la condamnation à 6 mois de prison se transforme en une
peine de dix ans de travaux forcés. Le motif : trahison en la patrie !
Ce qui ne manque pas de piment lorsqu'on sait avec quelle force Codréanu
défendait son pays. Au contraire, ce qui l'avait fait agir sur une voie
factieuse contre l'État bourgeois roumain, c'était son attachement à
sa nation et à l'idée qu'il se faisait d'elle.
Enfin,
le 29 novembre 1938 à dix heures du soir, on ouvre la cellule de
Codréanu et de ses 13 camarades, on les installe dans un camion, puis
on les étrangle au moyen d'une corde alors que le camion roule toujours.
Alors, afin de les rendre non identifiables, on versera de l'acide
sulfurique sur leurs corps martyrisés pour finalement les recouvrir de
ciment et de terre.
Ce
massacre perpétré par les hommes d'Armand Calinesco ne restera pas sans
suite. Puisque ce dernier est exécuté par 9 légionnaires dirigés par
Miti Dumitresco, le 21 septembre 1939. Le même jour est organisé un
véritable carnage dans les milieux légionnaires. Un nouveau
gouvernement est constitué sous la dépendance du Général Argeseanu.
L'abdication du roi Carol II survient le 6 septembre 1940 alors que Horia Sima
[ci-contre] est désigné successeur de Codréanu par le fondateur du
mouvement Cornéliu Georgesco. Il s'entretient avec le Général Antonesco
pour la formation du nouveau Gouvernement. Mais le 21 janvier 1941,
Antonesco décide de “casser” la Garde de Fer. Les meurtres se comptent
par dizaines. Les principaux chefs légionnaires se réfugient en
Allemagne où ils seront par la suite internés dans divers camps de
concentration. Car en effet, Hitler joue la carte Antonesco.
La guerre enfin terminée, les légionnaires sont libérés et acquittés au procès de Nuremberg.
► Arnaud Guyot-Jeannin, Orientations n°13, 1991.
***
◘ Bibliographie en français :
- Dossier “Un mouvement chevaleresque au XXe siècle, La Garde de Fer”, Totalité n°18-19, 1984 [articles]
- La Garde de Fer (Pour les légionnaires), C. Codreanu, Prométhée, Paris, 1938, réed. : Ion Mării-Belmain, Grenoble, 1972
- Idem, Le Livret du chef de nid, éd. Pămîntul Strămoşesc, Madrid, 1978
- Agathon & Vulfran Mory, Codreanu et la Garde de Fer : le dossier, Trident, 1991 [recension]
- Paul Guiraud, Codréanu et la Garde de Fer, éd. du Francisme, 1940, rééd. : Trident, 1990
- Faust Brădesco, Le nid : unité de base du mouvement légionnaire, Carpatii, Madrid, 1973
- Idem, Les trois épreuves légionnaires : éléments de doctrine, Prométhée, 1972
- Idem, Antimachiavélisme légionnaire, Dacia, Rio de Janeiro, 1963
- Platon Chirnoagă, Un Chapitre d'histoire roumaine (1940-1945), 1962
- H. Sima, Histoire du mouvement légionnaire, Dacia, 1972
- Jérôme & Jean Tharaud, L'Envoyé de l'Archange, Plon, 1939
***
♦ Documentation sur internet :
• La nation roumaine (Codreanu), • Observations sur la démocratie (Codreanu), • « La tragédie de la Garde de Fer », J. Evola, (Totalité n°18/19, p. 178-197), • Le mouvement légionnaire (G. Buzatu) • In memoriam (L. Rebatet, 1938 ; autres articles), • Les Roumains Nos Alliés ? (PJ Thomas, Sorlot, 1939), • Codreanu, l'homme de la forêt (M. Gauvain, 1939), • Essai sur le fanatisme contemporain (M. Dion, Harmattan, 2002).