Pierre Selas
La nouvelle
traduction du ‘Notre Père’ entrera officiellement en vigueur dans la
Suisse francophone le 3 décembre 2017. “Ne nous laisse pas entrer en
tentation” se substituera au traditionnel “ne nous soumets pas à la
tentation”, indique la Conférence des évêques suisses. Une traduction
plus proche du texte originel, mais qui n’est pas sans conséquence
œcuménique.
Cette modification
n’est pas anodine, car elle change le sens du verset en question. “Ne
nous soumets pas à la tentation” laisse penser que c’est Dieu qui pousse
les fidèles à commettre un péché alors que “ne nous laisse pas entrer
en tentation” fait plutôt référence à un Dieu protecteur qui empêcherait
les hommes de sombrer dans le péché.
La nouvelle traduction
entrera en vigueur à l’occasion du premier dimanche de l’avent 2017 en
Suisse ainsi qu’en France. Pour les fidèles, il s’agira de changer une
habitude bien ancrée. La version actuelle est en effet utilisée depuis
un demi-siècle. Elle résulte d’un compromis œcuménique passé en 1966,
dans la foulée du concile Vatican II.
Un choix unilatéral
Cinquante ans plus
tard, en Suisse, on ne peut pas vraiment parler de compromis. Anne
Durrer, porte-parole de la Fédération des Églises protestantes de Suisse
(FEPS), reconnaît que cette traduction est plus proche du texte
originel. Mais elle regrette le choix unilatéral de la Conférence des
évêques suisses en la matière. “Dans le sillage de la conférence
épiscopale française, les évêques suisses ont pris la décision de
changer les paroles du ‘Notre Père’. Nous en prenons acte et regrettons
d’avoir été mis devant le fait accompli.”
Une frustration qui se
retrouve sur le terrain. “Certains responsables d’Eglises des cantons
de Genève et de Vaud, avec lesquels je me suis entretenue, sont irrités
de ne pas avoir été intégrés à la réflexion. Dans le même temps, tous
manifestent une volonté d’entrer dans une démarche œcuménique
constructive, afin d’éviter qu’il y ait désormais deux ‘Notre Père’ : un
catholique et un protestant”.
Annoncée à l’issue de
l’assemblée ordinaire de la Conférence des évêques suisses (CES) qui
s’est tenue à l’abbaye d’Einsiedeln (SZ) du 29 au 31 mai 2017, cette
décision pose un problème œcuménique, reconnaît Encarnación
Berger-Lobato, porte-parole de la CES. “Les évêques ont en conscience.
Mais on ne pouvait pas être le seul pays francophone qui n’accepte pas
cette modification. La pression ne nous a pas permis d’être en contact
avec la FEPS jusqu’à maintenant, mais nous espérons pouvoir mettre en
place une convention œcuménique qui permettra de prier ensemble avec les
mêmes mots”.
Cette polémique a
le mérité de poser le vrai problème de cette traduction progressivement
abandonnée par les catholiques francophones. Outre la lourde
problématique théologique qu’il était temps de résoudre officiellement,
on a beaucoup caché ces dernières années l’influence protestante de
l’ancienne traduction. C’est peut-être cette émancipation catholique de
la coupe protestante qui déplaît, plus qu’une atteinte à œcuménisme.
Car, comme le rappelait le pape François, l’œcuménisme n’est pas du syncrétisme.
Il ne s’agit pas de fonder une religion du plus petit dénominateur
commun, mais d’avancer ensemble vers la vérité toute entière. Une
traduction œcuménique n’a de sens et n’est réellement œcuménique que si
elle est vraie. Ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Il faut donc saluer ce
pas vers la lumière. Les protestants ne demandent pas leur avis au pape
pour ordonner des femmes ou célébrer des mariages gay.
Au même titre que la
vérité retrouvée, cette émancipation catholique est aussi un pas vers la
lumière et un signe plutôt encourageant du renouveau d’une Eglise
catholique qui (selon un mot à la mode) se décomplexe vis à vis des
protestants. C’était un pas fondamentalement nécessaire pour un
œcuménisme véritable.