.

.

samedi 3 juin 2017

Vue d’en bas et de l’extérieur, la « crise » au Front national est surréaliste

Je n’ai jamais ad héré au Front national ni été un fan de Marine Le Pen. Je suis un électeur de droite, issu d’un milieu populaire et je me sens systématiquement trahi par ce qu’est devenue la droite, au moment où la réalité, au contraire, confirme ma vision. Je lui ai donc logiquement apporté ma voix pour cette présidentielle, et le referai évidemment pour les législatives. Sans état d’âme. Et, visiblement, je ne suis pas un cas isolé. Nous sommes plus de dix millions.

Depuis sa défaite à la présidentielle, on assiste – notamment sur Boulevard Voltaire – à des parties de ping-pong sans fin entre pro et anti-Marine Le Pen. On lit quotidiennement des billets sur les « erreurs » stratégiques : on demande des têtes, on ironise, on insulte presque, on se veut brillant, on est parfois vulgaire. De grands stratèges en chambre, des jeunes et des vieux, lancent des « y a-qu’à-faut-qu’on » quotidiens. Tout cela est assez paradoxal – et regrettable -, surtout quand cela émane de ceux qui semblent déplorer le simplisme, le populisme voire la vulgarité de Mme Le Pen. Cela donne l’image d’un mouvement qui n’aurait pas encore pris conscience de ce qu’il est devenu : le premier parti d’opposition, et certainement de France, si l’on considère que le mouvement En marche ! n’est qu’un conglomérat. Et non plus un groupuscule.
Si une telle ébullition et de tels règlements de comptes s’expliquent facilement après une défaite, s’il est logique qu’un « inventaire », comme disent les autres, soit fait sur les erreurs, que des remises en question profondes soient menées, c’est tout de même un spectacle assez surréaliste. Mais cela ne doit pas empêcher de regarder la réalité politique objectivement.
D’où vient donc une telle acrimonie ? Rancœur de cadres marginalisés ? Impatience de ceux qui « y croyaient » ? Mais qui pouvait croire à son élection, quand l’épisode des régionales de décembre 2015 avait montré que, même dans ses fiefs, cela était impossible ? Qui pouvait même croire aux 28 % promis par certains sondages à Marine Le Pen au premier tour ? 28 % à une présidentielle, avec 80 % de participation alors qu’elle n’a atteint ce score qu’à des élections à 60 % de participation ? Ceux qui y croyaient étaient de grands naïfs. Ou sont aujourd’hui de très mauvaise foi.
Revenons donc à la réalité. La réalité ? C’est que, pour la première fois, la droite identitaire et populaire était présente au second tour de la présidentielle, que sa candidate a progressé de plusieurs millions de voix entre le premier et le second tour.
Du jamais vu. Une défaite peut-être. Mais une étape historique.
Et, s’il y a un parti qui est actuellement en crise, et en crise avancée, ce sont bien les LR, et pas le Front national.
Alors, faut-il se joindre au chœur des donneurs de leçons ?
On en entend beaucoup prôner l’abandon d’une ligne populaire, celle du gaucho-lepénisme. Ce serait une erreur. La sociologie et la géographie de l’électorat du Front national sont suffisamment parlantes. Ce n’est pas Versailles qui lui donne ses meilleurs scores. Ce sont les ouvriers. Et la probable élection de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont dans quinze jours viendra rappeler cette réalité. Ce serait une erreur au moment où le parti au pouvoir, le marais libéral socialo-centriste, va laisser grandir une exaspération à droite, mais aussi à gauche. M. Mélenchon a fait 20 %. Mais, vu son âge, et sa personnalité charismatique irremplaçable, cet électorat va vite se retrouver orphelin.

Dans une réalité politique en plein chamboulement, Marine Le Pen doit, elle aussi, devenir la candidate du « en même temps ». Et donc, évidemment, il lui faut aussi agréger le pôle conservateur qu’elle n’a que trop dédaigné. Et renouveler profondément les pratiques et les cadres. Si M. Philippot a sa place au Front national, il ne saurait y occuper toute la place. Le chantier est immense, mais les occasions aussi.

S’il y a crise au Front national, c’est objectivement une crise de croissance. Et, pour un mouvement politique, mieux vaut connaître une crise de croissance, surtout quand cette croissance est continue et que, à côté de lui, c’est une crise de dégénérescence – continue, elle aussi – qui frappe son concurrent LR.

Frédéric Sirgant

Source