Vincent Cador et Grégor Puppinck ont publié en janvier 2018 un article de doctrine en droit public intitulé « De la conventionnalité du régime français des congrégations », dans la Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger.
Les deux auteurs sont docteurs en droit et Grégor Puppinck, directeur
de l'ECLJ, est membre du panel d'experts de l'OSCE sur la liberté de
conscience et de religion. L'article passe le régime français des
congrégations religieuses au crible de la Convention européenne de
sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme (la
Convention européenne). Ce régime contraignant, dérogatoire au droit
commun des associations, est un double héritage de la Révolution
française et de la République anticléricale du début du XXe
siècle. Il apparaît en décalage avec le processus d’apaisement des
relations entre l’État et l’Église depuis les années 1970 et surtout
avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (la
CEDH), protectrice de la liberté de religion (art. 9), de la liberté
d'association (art. 11) et du principe de non-discrimination (art. 14).
Vincent Cador et Grégor Puppinck expliquent que, dans
l’hypothèse d'un litige porté devant la CEDH opposant une congrégation à
l’État français, « il est fort probable que les juges strasbourgeois
condamneraient le régime français des congrégations, obligeant le
gouvernement à faire procéder à sa révision ». Pour parvenir à
cette conclusion, les auteurs s'appuient sur la jurisprudence de la CEDH
pour reproduire le raisonnement en trois étapes habituellement utilisé
par cette dernière pour trancher les litiges qui lui sont soumis.
Tout d'abord, ils analysent la
législation française sur les congrégations comme une ingérence dans les
droits à la liberté de religion et à la liberté d'association.
Contrairement aux associations de droit commun qui sont tenues à une
simple déclaration, l'octroi de la personnalité juridique est pour les
congrégations subordonné à un décret après avis conforme du Conseil
d’État. De plus, la constitution d'une congrégation est soumise à des
conditions particulièrement intrusives et la teneur de ses statuts est
encadrée de manière stricte. À titre d'illustration, le Conseil d'État
continue d'interdire aux congrégations de mentionner dans les statuts
qu’elles doivent joindre à une demande reconnaissance les vœux «
solennels », « perpétuels » ou « définitifs » de leurs membres. Une fois
constituées, les congrégations subissent un contrôle rigoureux de la
part des autorités publiques portant sur leur fonctionnement. Ces
contraintes constituent une ingérence de la part de l’État dans la
liberté de religion des religieux, qui s'exerce à travers leur liberté
d'association et l'autonomie de leur organisation.
Ensuite, les auteurs se
demandent si une telle ingérence poursuit un ou plusieurs buts
légitimes, au sens des articles 9 et 11 de la Convention européenne. Le
gouvernement français, en soumettant les congrégations à un régime
dérogatoire, semble considérer qu'elles seraient par elles-mêmes une
menace pour la sécurité publique, l'ordre, la santé et la moralité
publics ou pour les droits et libertés d'autrui. Or, la pratique et les
faits attestent au contraire de l'absence d'une telle menace. Il semble
en réalité que les restrictions imposées aux congrégations, plutôt que
de répondre à des objectifs légitimes, découlent du positionnement
religieux des gouvernements anticléricaux du début du XXe
siècle. Or, la jurisprudence de la CEDH exclut toute appréciation de la
part de l’État sur la légitimité et les modalités d'expression des
croyances religieuses.
Enfin, à supposer même que
l'ingérence poursuive un ou plusieurs buts légitimes, les auteurs
démontrent qu'elle ne serait pas « nécessaire dans une société
démocratique ». En effet, des mesures moins restrictives
pourraient être suffisantes pour faire face aux éventuels risques
générés par l'existence des congrégations. Le régime des associations de
droit commun, s'il était ouvert aux congrégations, n’empêcherait pas
l’État de disposer de moyens suffisants et proportionnés pour continuer à
surveiller leurs actions et pour prévenir d'éventuelles atteintes à la
santé publique ou aux droits et libertés d'autrui. De plus, les lois du 1er
juillet 1901 et du 12 juin 2001 contiennent des dispositions permettant
de dissoudre une association de droit commun en cas de dérive
particulière.
En plus de ce raisonnement en trois étapes, l'article montre que le
caractère dérogatoire et contraignant du régime des congrégations
constitue en outre une discrimination fondée sur la religion, au sens de
l'article 14 de la Convention européenne. Les congrégations
sont comparables aux associations de droit commun en tant que groupes de
personnes se réunissant en vue d'un objectif commun, et à plus forte
raison se rapprochent-elles aussi des associations cultuelles avec
lesquelles elles partagent une connotation « religieuse ». Or, la
différence de traitement qui existe entre ces groupes présente, en ce
qu’elle est dépourvue de toute justification objective et raisonnable,
un caractère discriminatoire. Cette discrimination pèse essentiellement
sur une religion particulière, à savoir l’Église catholique, comme en
témoigne le décret toujours en vigueur du 16 août 1901. En effet,
celui-ci indique que la demande d’autorisation de la congrégation doit
être accompagnée d'une déclaration par laquelle « l’évêque du diocèse
s'engage à prendre la congrégation et ses membres sous sa juridiction »
(article 20). Le fait que les représentants d'une seule religion soient
mentionnés souligne la volonté de discriminer les catholiques. Même
si le statut visé au titre III de la loi de 1901 a été récemment étendu
à des congrégations relevant d'autres cultes, il cible donc avant tout
les catholiques, et l'immense majorité des congrégations reconnues sont
de fait catholiques. Le régime des congrégations révèle ainsi
une discrimination religieuse dans la jouissance des droits à la liberté
d'association et à la liberté de religion.
Le statut des congrégations
n'est pas le seul héritage de l'histoire française posant des
difficultés au regard de la liberté de religion telle que protégée par
le droit européen. C'est, par exemple, également le cas de
l'interdiction d'enseigner dans les écoles maternelles et primaires
publiques dont sont victimes les religieux depuis la loi Goblet du 30
octobre 1886. En effet, le Code de l’éducation énonce toujours que « dans les établissements du premier degré publics, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque »
(article L 141-5). Cette exclusion des religieux de l'exercice d'un
métier peut être considérée, à la lumière de la jurisprudence de la
CEDH, comme une autre discrimination fondée sur la religion.
Vincent Cador et Grégor Puppinck se
réjouissent de l'évolution des dernières décennies favorable à la
liberté de religion en France. Ils appellent à profiter de ce contexte
moins conflictuel pour protéger encore davantage cette liberté,
conformément à la jurisprudence de la CEDH. En particulier, selon eux, il
serait sage et opportun de faire évoluer en douceur le régime français
des congrégations religieuses, sans attendre une éventuelle condamnation
européenne.