Ceux qui ont lu Le Meilleur des Mondes
d’Aldous Huxley, se souviendront du premier chapitre. C’est la visite
d’une fabrique d’êtres humains à partir de la conception, puis le
développement d’embryons puis de fœtus dans des utérus artificiels.
Quand ces enfants sont assez grands pour vivre, ils sont retirés de leur
liquide nutritif ; puis dès que possible mis en couveuses. Madame Helen
Liu de l’Université de Cornell près de New-York s’est acharné à mettre
au point un utérus artificiel pour permettre ce développement.
Il y a un mois, il a été fait grand cas
d’un agneau développé dans une poche en plastique. Or ce n’était pas du
nouveau. Dans mon ouvrage L’Ultime Trangression, je mentionne le succès
d’une telle expérience en 2012. L’agneau extrait de sa poche n’avait
survécu que deux ou trois jours.
À cette époque, le transhumanisme avait
fait son miel de cette découverte. Selon ses prophètes, nous allions
droit à l’ectogenèse ; c’est-à-dire vers le développement humain hors du
corps de la femme. En pratique les recherches s’orientèrent seulement
vers la survie des grands prématurés nés à cinq mois de la grossesse.
Ainsi, en avril 2018, le Dr Flake,
chirurgien à Philadelphie expliquait qu’il avait réussi à faire survivre
des agneaux très prématurés dans une sorte d’utérus artificiel en
plastique appelé Biobag. Emballement médiatique : cette nouvelle est
reprise par des centaines de journaux. Or à tout prendre, le succès
obtenu était en retrait sur ce qui avait été réussi six ans plus tôt ;
de plus il n’était pas de même nature. En réalité, il s’agissait du
développement d’agneaux prématurés (équivalent de 4 à 5 mois de
grossesse chez la femme). Ils étaient nourris par leur cordon ombilical.
Nous sommes donc à l’autre bout de la chaîne du développement fœtal
dans un utérus artificiel. On ne peut pas parler d’ectogenèse mais de
néonatologie (développement de prématurés).
Maintenant, peut-on superposer un
développement de prématurés humains dans de telles conditions ? Ce n’est
pas évident du tout. Car comme je le dis toujours, « ce n’est pas le
tout de développer un prématuré dans un utérus artificiel. Encore
faut-il que l’enfant développé de cette manière soit en bonne santé
notamment sur le plan cérébral. »
À ce jour il n’a pas été possible de
synthétiser du liquide amniotique dont la composition est très complexe.
On y trouve des hormones, des facteurs de croissance. Quelle en sera
les conséquences sur l’enfant dans son Biobag ?
On ne connaît guère les relations
biologiques entre un enfant in utero et sa mère. Beaucoup d’éléments
nous manquent. Comment et pourquoi quand une femme enceinte fait une
pneumonie, un AVC ou un infarctus, son enfant vient à son secours ?
Pourquoi l’enfant se manifeste quand on lui parle, et qu’il aime les
chansons douces. De même ce que mange la mère a une influence sur son
petit. Quelle est la nature des échanges hormonaux et psychologiques ?
Le Pr Jacques Sizun, responsable du
service de néonatalogie du CHU de Brest, déclare que « faire un jour des
enfants sans grossesse relève de la science-fiction ». L’ectogenèse
parait ainsi impossible : voilà de quoi écorner sérieusement les
rêveries cauchemardesques des transhumanistes. Au mieux pourrait-on
développer des prématurés de quatre mois quelque temps dans le Biobag
jusqu’à ce qu’il puisse être récupéré par une couveuse dans un centre de
néonatologie. Mais ce n’est pas gagné.
Jean-Pierre Dickès