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mercredi 9 mai 2018

La cathédrale engloutie

  Entre la légende et la réalité, il y a toujours une zone nébuleuse et incertaine. Le fait est que la légende d’Is s’est sublimée dans la figure attirante d’une belle cité engloutie, avec une magnifique cathédrale dont les cloches sonnent au gré des marées… ou des anges !

La cathédrale engloutie

Gabriel J. Wilson
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    La mystérieuse Bretagne, cette immense plateforme qui avance vers l’Atlantique balayée par toutes sortes de vents, marées et tempêtes, vit dans le défi contre les forces de la nature et de multiples envahisseurs. Cela se doit sans doute à sa position géographique et à sa constitution géologique aussi bien qu’à son histoire.

   Armor, premier nom de l’Armorique, n’indique-t-il pas sa vocation de pays voué à la mer ? Occupée par les Gaulois, Romains, Celtes, saccagée par les Normands, la Bretagne s’est constituée en royaume jusqu’au dixième siècle, puis en un important duché avant d’être finalement annexée à la France.

   Saints, calvaires, menhirs, pèlerinages, pardons… une richesse de traditions et coutumes font de la Bretagne un pays à part, plein de mythes et de légendes. C’est le cas du fameux roi Arthur et de ses chevaliers de la table ronde. 

   D’après cette légende, Joseph d’Arimathie — membre du Sanhedrin qui était disciple de Notre Seigneur Jésus-Christ et qui assista à son dernier repas – aurait conservé le vase de la Cène, dans lequel il recueillit un peu du très précieux Sang du Christ, avant de Le déposer dans son sépulcre. Joseph aurait quitté ensuite la Palestine et se serait rendu en Bretagne avec « le Saint Graal », c’est-à-dire, le calice de la Cène, amené ainsi de la Terre Sainte à la péninsule armoricaine. Joseph d’Arimathie, aurait vécu longtemps dans une forêt bretonne et disparu plus tard sans laisser de traces.

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   Une autre légende concerne la ville d’Ys ou Is (Ker Is en breton), ensevelie par la mer dans le fond de la baie de Douarnenez. Voilà pourquoi on la nomme aussi « Baie des morts ».

   Selon  la tradition, Ys était la capitale de Gradlon le Grand, roi de Cornouaille au VIe siècle. Bâtie sur un polder, elle était protégée de la mer par une digue, dont les écluses s’ouvraient à marée basse pour évacuer l’eau des rivières et se refermaient lors du reflux. Certaines versions parlaient parfois aussi d’un puits de l’abîme, expression reprise d’une antique croyance des Celtes, pour indiquer les eaux inférieures qui risquent de surgir et noyer les humains. Certains lacs en seraient les produits.
   Mais dans le cas d’Ys, c’était bien les portes de la mer, c’est-à-dire les vannes qui protégeaient la ville des fureurs des ondes. Et le roi Gradlon gardait lui-même, soigneusement, les clés de ces vannes.
   Cependant, Gradlon avait une fille – nommée Dahud ou Ahès – dont le mauvais exemple s’accordait bien aux mœurs dissolues des habitants de la cité d’Ys. Venu de Landévennec, saint Gwenolé les mettait en garde, mais ils n’écoutaient pas ses admonestations. Aussi Dieu décida-t-il de livrer la ville à Satan.
   Selon cette histoire, le démon s’introduisit dans le palais du roi Gradlon sous l’apparence d’un beau jeune homme, et réussit à séduire Ahès ou Dahud. Dans la nuit qui suivit, il obtint qu’elle allât chercher les clés  gardées par son père.
   La marée était haute lorsque les « portes d’amont » furent ouvertes. Les eaux s’engouffrèrent par les portes et déferlèrent dans les rues de la cité. La subite irruption des flots prit de surprise les habitants, pour la plupart dans le sommeil.
   Dieu permit que le roi fût réveillé quelques instants plus tôt par saint Gwenolé. Il sauta sur son cheval et, plaçant sa fille en croupe, il s’enfuit précipitamment en compagnie du saint moine. Mais tandis que celui-ci filait comme le vent, la monture de Gradlon, alourdie par le poids de sa fille pécheresse, s’essoufflait rapidement. Et les flots déjà rejoignaient les attardés.
  Gwenolé ordonna alors au roi de se séparer de sa fille ; le souverain refusa ; l’océan vint frapper les sabots de la bête. Le saint renouvela son ordre ; cette fois, Gradlon obéit, et à l’instant même son cheval bondit, libéré, tandis que les vagues ralentirent leur course et que les deux hommes pouvaient atteindre la terre ferme. Derrière eux, la mer recouvrait tout ; même les toits et les plus hauts monuments de la ville d’Ys.

   Cependant, la cité n’est qu’engloutie : elle n’a pas été détruite. Quand la mer est calme, on dit que des pêcheurs de Douarnenez en ont bien des fois entendu sonner les cloches, sous la mer. De temps en temps, ils repêchent de curieux objets qui en viennent[1].
  Quant au roi Gradlon, il se serait s’installé à Quimper, faisant de cette ville la nouvelle capitale du royaume.

[1] Cf. Guide de la Bretagne mystérieuse, Les guides noirs, éd. Tchou Princesse, 1978, Douarnenez, pp. 222 s.
cet article continue…
 
Gabriel J. Wilson, rédacteur et photographe, ancien collaborateur de l’agence de presse ABIM et de la revue Catolicismo, est chercheur en France depuis une quinzaine d’années.