"Non
loin du palais présidentiel où se déroulait l'investiture du nouvel
exécutif, plusieurs milliers de personnes manifestaient contre la
participation du FPÖ au gouvernement, rassemblées derrière des
banderoles proclamant «Les nazis dehors» ou «Mort au fascisme». Ce type
d'analogie historique a-t-elle un sens?
Rassembler 5500 personnes au
centre de Vienne, capitale d'1,8 million d'habitants, derrière des
drapeaux rouges et des banderoles d'antifas proclamant «No pasaran» ne
signifie pas, en dépit de la complaisance des caméras de télévision, que
les Autrichiens s'insurgent contre leur nouveau gouvernement.
En démocratie, la légitimité provient des élections et du jeu
constitutionnel. Je rappelle simplement que les conservateurs de l'ÖVP
ont obtenu 31 % des voix aux élections législatives du 15 octobre
dernier, et le FPÖ presque 26 % des voix. Après que Sebastian Kurz a été
chargé de former le gouvernement par le président de la République,
Alexander van der Bellen, un homme issu des Verts, les négociations en
vue de la formation d'un cabinet se sont déroulées sur des enjeux
publiquement affichés, de manière paritaire, selon les formes
habituelles en Autriche. C'est donc dans le parfait respect des lois et
de la Constitution autrichiennes que le gouvernement de Sebastian Kurz a
été investi. Je rappelle encore que les sociaux-démocrates du
SPÖ ont gouverné avec le FPÖ de 1983 à 1986, et gouvernent encore
aujourd'hui avec lui dans deux diètes régionales, en Haute-Autriche et
dans le Burgenland. En Autriche, encore une fois, le FPÖ n'est
nullement classé à l'extrême droite, quoi qu'en pensent les médias
français. La réalité politique est là, et non dans l'antifascisme
d'opérette de quelques centaines d'étudiants et de bobos viennois.
Heinz-Christian Strache, le leader du FPÖ et désormais
vice-chancelier, aurait tout de même été proche des néonazis dans sa
jeunesse?
Le néonazisme est interdit en
Autriche, pays qui possède une des législations les plus sévères
d'Europe en matière de répression du néonazisme et du négationnisme.
Donc Strache n'a pas été proche des néonazis. Adolescent, il a
peut-être été d'extrême droite, mais juge-t-on un homme de 48 ans sur
les positions qu'il défendait à 18 ans? En France, nous avons eu au
cours des dernières décennies un certain nombre de hauts responsables
politiques et de ministres qui, dans leur jeunesse, ont été membres
d'Occident ou à l'inverse de mouvements trotskistes: fallait-il les
enfermer dans cette étiquette. Depuis qu'il a pris la tête du FPÖ, en
2005, et réunifié les deux partis populistes après la mort de Haider, en
2008, Heinz-Christian Strache a plutôt fait un sans-faute, rejetant les
ambiguïtés dont aimait jouer Haider quant au national-socialisme,
condamnant l'antisémitisme, se rapprochant d'Israël. En
Autriche, même ses adversaires peinent à pointer ses «dérapages», sauf à
considérer que la critique du fondamentalisme islamique soit un
dérapage. Cela dit, Strache est à son tour au pied du mur. A
part son mandat de député et la direction de son parti, il n'a jamais
exercé de responsabilité politique effective autre que le ministère de
la parole. Lui aussi va devoir prouver qu'il est capable de passer du
discours à l'acte. [...]
Le rapprochement entre les conservateurs et le FPÖ en Autriche est-il symptomatique d'une droitisation en Europe?
Je ne sais pas si le terme de
«droitisation» est le bon, mais il est certain que, face à un certain
nombre de défis qui sont posés à l'Europe, à toute l'Europe, la nouvelle
coalition gouvernementale autrichienne veut répondre à des attentes de l'opinion en matière de sécurité nationale et de contrôle des flux migratoires.
Kurz fait profession de foi européenne, et prendra personnellement en
charge les questions européennes, enlevées au ministère des Affaires
étrangères. Critique sur la politique migratoire de l'Union européenne,
et de l'Allemagne d'Angela Merkel en particulier, le nouveau chancelier d'Autriche partage la volonté des pays du groupe de Visegrád
(Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) de contrôler
strictement leurs frontières au nom de leur souveraineté nationale. Au
centre de l'Europe, c'est une inflexion majeure. [...]"
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