par Gerard Dussouy
En effet, l’Europe est désormais le premier continent d’accueil des migrants internationaux (34 %), suivie par l’Asie (28 %), l’Amérique du Nord (23 %) l’Afrique (9 %) et enfin l’Amérique Latine-Caraïbes (4 %). L’Allemagne, à elle seule concentre 5 % des migrants internationaux (468 800 entrées en 2014 contre 259 800 en France). Seuls les États-Unis (20 %) en accueillent plus. Les principaux pays d’émigration sont l’Inde (16 millions), le Mexique (12 millions), la Russie (11 millions) et la Chine (10 millions), en 2015 (Bloom, 2016).
L’une des plus importantes migrations intercontinentales de l’histoire récente s’est produite en 2015, avec l’exode de plus d’un million de Syriens vers l’Europe. Depuis, bien que d’une amplitude un peu moindre, le phénomène des migrations depuis l’Afrique et le Moyen-Orient à travers la Méditerranée crée des zones de tension aux points de passage entre les deux rives de cette mer, surtout en Italie, en Gréce et dans les Balkans, et maintenant en Espagne.
Or, ces vagues migratoires qui affectent l’Europe sont probablement les signes avant-coureurs de grands mouvements de population, tant la conjoncture de la démographie mondiale paraît devoir se compliquer. La Terre portera près de 10 milliards d’habitants en 2050, contre 7,5 milliards en 2017, et entre 11 et 12 milliards en 2100. L’effet d’inertie de la croissance passée (c’est-à-dire l’existence d’une forte proportion de jeunes adultes dans la population mondiale) et le maintien de la fécondité à un niveau élevé en Afrique sub-saharienne expliquent cela. Questions : la croissance économique sera-t-elle à la hauteur ? Pourra-t-elle garantir un niveau de vie décent à tous les hommes, quand on sait que des économistes, dont le Français Daniel Cohen, envisagent l’entrée probable de l’économie mondiale dans une phase stationnaire de longue durée (Cohen, 2016) ? Le maintien des niveaux de vie des pays avancés est-il compatible avec une concurrence internationale des travailleurs de plus en plus exacerbée ? Pessimiste, l’ethnologue Lévi-Strauss considérait que 3 milliards d’individus était la charge maximale que pouvait supporter Gaïa pour que les hommes s’y trouvent bien !
La croissance très inégale de la population du monde, selon les régions et les continents, depuis le milieu du 20e siècle, engendre des déséquilibres qui se précisent, et qui s’expriment, à la fois, en nombre et par âge. Et c’est au niveau de l’Afrique, et dans une moindre mesure de l’Inde que le nœud gordien d’une démographie incontrôlée ou mal régulée apparaît le plus complexe à défaire. Nul doute que la croissance de la population africaine est un défi pour l’Afrique elle-même, mais aussi pour la planète et particulièrement pour l’Europe, car on voit mal comment le développement économique et alimentaire du continent africain pourra suivre la croissance des besoins. Quant à l’Inde, qui a le mérite de faire partie des économies émergentes, son surplus de population risque cependant d’être un frein, mais, surtout, d’être mal perçu en Asie.
La carte par anamorphose est une « carte quantitative » qui met en relief un facteur donné. Les superficies représentées sont proportionnelles, ici, à la population des différents États. L’anamorphose déforme le réel mais permet la mise en perspective d’un de ses éléments cruciaux.
Sans tomber dans les fantasmes (que la carte par anamorphose peut susciter), Il est tout à fait réaliste de penser que les déséquilibres répertoriés provoqueront des mouvements migratoires de très grande ampleur. Du niveau, peut-être, des migrations européennes du 19e siècle, qui ont radicalement changé le peuplement de l’Amérique du Nord. Et puis, sans en être la cause directe, les disparités démographiques ont souvent favorisé les guerres dans le passé. Il faudra de nombreux miracles économiques pour écarter les risques de guerre.
L’impact géopolitique imprévisible du réchauffement climatique.
Le réchauffement climatique, qui s’est ralenti entre 1996 et 2014 pour repartir à la hausse depuis, semble inéluctable. On ne refera pas ici le débat légitime des experts, et l’on partira de l’hypothèse de ceux qui lui accordent une cause anthropique. Compte tenu, alors, de la faiblesse des mesures adoptées, à ce jour, pour en ralentir le rythme, la question principale qui se pose aux hommes et aux sociétés est, ni plus ni moins, que celle de l’adaptation aux circonstances. En effet, la force du phénomène (cf. les degrés de température moyenne en plus, selon les latitudes) dictera sa loi, et il s’agira de s’en accommoder, parfois en recherchant des stratégies de survie.
Sur le plan géopolitique les conséquences seront multiples. L’agriculture des latitudes élevées profitera de la montée des températures. Mais, partout ailleurs, celle-ci va faire baisser les rendements moyens mondiaux de cultures comme le riz (moins 3,2 % pour un degré Celsius de hausse), le blé (moins 6 %), le maïs (moins 7,4 %). Il va de soi que les tensions ou les pénuries alimentaires qui naîtront de la baisse des rendements pourront déstabiliser de nombreux états.
L’irrégularité de la pluviométrie et la raréfaction de la ressource en eau, ici, mais les inondations catastrophiques et les décalages saisonniers des cultures, ailleurs, sont aussi des causes possibles de dérives politiques, tandis qu’un peu partout de nouveaux risques sanitaires vont surgir. Les situations les plus critiques seront celles créées par la conjugaison de la pression démographique et de la nouvelle contrainte climatique. Ce sont elles qui pourraient déclencher de grands mouvements belligènes de population, tels que l’histoire en a le secret.
Enfin, un changement géopolitique des plus prévisibles est l’ouverture de plus en plus grande de l’océan Arctique au commerce maritime international, mais aussi aux flottes militaires, et la meilleure accessibilité des ressources des zones polaires.
Conclusion
L’idée de ce bref article est de montrer, par la preuve des cartes, l’existence de dynamiques planétaires qui font que l’histoire n’est pas finie. Ces dernières incitent à avancer l’hypothèse d’une géopolitique post-occidentale, dont les problématiques sont de vrais nœuds gordiens pour le devenir des jeunes générations. Il serait temps qu’en Europe, on en prenne conscience.
Bibliographie
BLOOM, D.E., « Bouleversement démographique. Le monde va devoir affronter la croissance démographique, le vieillissement, les migrations et l’urbanisation », Finance et développement, mars 2016.
COHEN, D., Le monde est clos et le désir infini, Paris, Albin Michel, 2015
DUSSOUY, G. Quelle géopolitique au 21e siècle ? Bruxelles, Complexe, 2001.
DUSSOUY, G. Les théories géopolitiques, Paris, L’Harmattan, 2006.
DUSSOUY, G. Fonder un État européen, Blois, Tatamis, 2013.
PANDA, J. P, China’s « New Multilateralism » and the Rise of BRIC. A Realist Interpretation of a « Multipolar » World Order, Institute for Security and Development Policy, Stockholm, 2011.
Source