C’était il y a un an. Toute la gauche jacailleuse et écrivailleuse, les politologues et sociologues, les journaleux à prétentions intellectuelles, surjouaient l’affolement. Le Brexit, l’élection de Trump, la présidentielle autrichienne où les deux grands partis de gouvernement, sociaux-démocrates et conservateurs, n’avaient réuni ensemble que 22 % des voix : la « vague populiste » triomphait et allait tout emporter. Marine Le Pen peut être élue présidente de la République, si, si, on vous l’assure. En face, surtout parmi les rescapés de ce qu’on appelait jadis la Nouvelle Droite, certains faisaient chorus. Dans un livre superficiel au point d’en être gênant, Alain de Benoist célébrait « le moment populiste ». « Année après année, jubilait-il, le mouvement s’accélère ».
LES IMPOSTEURS DU POPULISME
Las, depuis un an, ce sont les échecs qui se sont accumulés. Le système a partout repris la main. La présidentielle française a vu l’effondrement politique et personnel du marinisme et l’élection, en la personne d’Emmanuel Macron, d’une figure ostentatoire des élites mondialistes. Le Parti conservateur autrichien n’a eu qu’à se doter d’un nouveau chef de file, jeune, souriant et sans cravate, pour arriver largement en tête aux dernières élections ; comme les sociaux-démocrates, de leur côté, ont été dopés par le vote immigré, les populistes de la FPÖ ont même manqué la deuxième place. Surtout, Donald Trump a renié son programme de campagne. Il avait promis d’expulser les clandestins par millions : on s’achemine de plus en plus clairement vers une amnistie massive, tout au plus adoucie par quelques mesures cosmétiques de renforcement des frontières. Ce que le lobby immigrationniste n’avait pu faire sous Obama est en passe de s’accomplir sous Trump. Nous ne saurions, nous autres Français, nous étonner de ce paradoxe : nous l’avons vécu avec Sarkozy, élu en parlant de racaille, de kärcher et d’identité nationale, et dont la politique fut ce que l’on sait.
À chacune de ces déroutes et de ces trahisons, il est des causes individuelles. Sarkozy passant de sa Cécilia à sa Carla, Marine Le Pen entre son gourou et son concubin, Trump dominé par sa fille et son gendre Kushner : autant de situations particulières, encore que, même à ce niveau, on puisse relever certaines similitudes. Mais elles trahissent un fait général, à savoir la médiocrité, pour ne pas dire davantage, des dirigeants populistes. Le populisme est par excellence le créneau politique des charlatans. C’est qu’il est avant tout, aujourd’hui, un style de communication. Des candidats de tout bord s’évertuent à « faire peuple », « proche des gens », se font photographier en bras de chemise ou avec un casque de chantier, exhibent sur les plateaux de télévision des émotions “sincères” méticuleusement répétées avec des escouades de communicants surpayés. Laurent Wauquiez, grand bourgeois parisien hyper-diplômé, est en ce moment un exemple désopilant de cette comédie.
Parmi les « populistes de droite » — ceux qui parlent d’immigration et d’Islam, en bravant un peu, dans des limites bien circonscrites, le politiquement correct —, certains, tels Trump, Sarkozy ou Marine Le Pen, sont très réellement grossiers et incultes, ne sachant rien, ne lisant jamais : ils jouent leur propre rôle. Mais cette vacuité intellectuelle et morale comporte aussi une complète absence, ne disons pas même de convictions, mais de repères politiques. Elle les livre à toutes les influences. Juste assez malins, le temps d’une élection — je parle de Sarkozy et de Trump —, pour comprendre qu’une ligne de droite populiste leur fera gagner des voix, ils ne sont pas capables de s’y tenir une fois élus : il leur y faudrait une fermeté presque héroïque, ou alors une espèce d’âpreté révolutionnaire, et où les puiseraient-ils ?
On peut, bien entendu, parler d’immigration, et se faire entendre, sans recourir à la rhétorique populiste. Enoch Powell, après son discours des fleuves de sang en 1968, reçut plus de cent mille lettres de félicitations, et les dockers de Londres se mirent en grève pour le soutenir. Powell s’habillait comme un gentleman, parlait comme un gentleman, et son prestige dans les milieux populaires venait précisément de ce que, sans rien renier de ce qu’il était, cet homme d’une immense culture savait donner forme à ce qu’ils éprouvaient. Jean-Marie Le Pen, à l’époque où personne ne parlait encore de populisme, fit du Front National un grand parti ouvrier en émaillant ses discours d’imparfaits du subjonctif et de citations latines.
Il est vrai que le niveau culturel moyen, il y a cinquante ou même trente ans, était autre chose que ce qu’il est aujourd’hui. Le fait est que la critique de l’immigration, du moins celle qui est relayée dans les gros médias et obtient un impact électoral, est devenue le monopole des politiciens populistes, c’est- à-dire de gens qui sont, par définition, des imposteurs : dans ce qu’ils disent, dans la manière dont ils le disent, ou dans les deux à la fois. Et à ces professionnels de l’abus de confiance, le bon peuple, hélas, apporte sa confiance.
LE SUICIDE DES PEUPLES
C’est pour Alain de Benoist un axiome que « le peuple est parfaitement compétent pour distinguer ce qui est politiquement bon et politiquement mauvais, ce qui satisfait ses aspirations et ce qui les déçoit ». L’auteur qui, comme chacun sait, n’a rien à voir avec « l’extrême droite », se borne à signaler que celle-ci, de Joseph de Maistre à Maurras, poussa la méchanceté jusqu’à rejeter la démocratie. Rien n’est pourtant plus évidemment vrai que ce qu’écrivait Maistre en 1796, dans ses Considérations sur la France : « Le peuple craint, diton ; le peuple veut, le peuple ne consentira jamais ; il ne convient pas au peuple, etc. Quelle pitié ! le peuple n’est pour rien dans les révolutions, ou du moins il n’y entre que comme instrument passif […]. Le peuple, si la monarchie se rétablit, n’en décrétera pas plus le rétablissement qu’il n’en décréta la destruction, ou l’établissement du gouvernement révolutionnaire ». Aucun de nos changements de régime depuis 1789 n’a été le résultat d’un vote populaire : tout au plus le peuple fut-il appelé à ratifier le fait accompli, ce qu’il ne manqua jamais de faire. L’ex-Nouvelle Droite, qui est devenue gaulliste en même temps qu’elle est devenue démocrate, donne volontiers De Gaulle en modèle de populisme. Oui, vous avez bien lu, De Gaulle, celui qui répétait : « Les Français sont des veaux ». Est-ce donc, désormais, « le peuple » qui l’a ramené au pouvoir en 1958 ? On s’était mis dans la tête que c’était un coup d’État militaire doublé d’un joli petit complot.
On voudrait pouvoir croire qu’un peuple, à l’heure ultime, quand il voit devant lui le choix entre la vie et la mort, est capable d’un accès de lucidité et d’énergie qui, en démocratie, s’exprimerait dans les urnes. L’expérience, hélas, donne tout lieu d’en douter. Il est des peuples qui se suicident. Paul Bourget le soulignait dès 1909, au sommet de l’entreprise anti-religieuse de la Troisième République : « Notre langue est, comme notre race, pénétrée, pétrie de catholicisme. Nous enlever cette religion de nos origines et de nos dix siècles d’histoire, c’est proprement nous dénaturer. Besogne meurtrière à laquelle il semble parfois que notre pays se voue, dans des accès d’une sorte de psychose collective. Ces véritables impulsions au suicide, — car certaines erreurs, adoptées par la majorité, équivalent à la mort volontaire, — se traduisent par bien des signes. » Il arrive même que le suicide soit physique. En 1992, aux dernières élections de l’Afrique du Sud blanche, plus des deux tiers des votants se prononcèrent pour la fin de l’apartheid, c’est-à-dire pour leur propre génocide. F. W. de Klerk eut ce commentaire triomphant qui était en même temps un effroyable aveu : « L’électorat blanc s’est élevé au-dessus de lui-même ». Il s’est élevé au-dessus de lui-même… Il s’est aboli, auto-génocidé, condamné à disparaître de la face de la terre. Les 82 % de Français qui, en 2002, plébiscitèrent Chirac contre Le Pen, firent un choix du même ordre. On dira que ces votes étaient biaisés, tant était flagrante la disproportion des moyens en faveur du pouvoir en place, que les électeurs furent trompés quant aux véritables enjeux, manipulés par une gigantesque propagande. Mais il ne s’agit pas de savoir ce que pourraient être des élections dans un monde idéal. Il s’agit du suffrage universel tel qu’il s’exerce hic et nunc, dans les sociétés occidentales, où l’argent et les médias ont le pouvoir que l’on sait. Prétendre que, dans ces conditions, le peuple — au sens politique, le peuple comme populus ou démos — est « parfaitement compétent pour distinguer ce qui est politiquement bon et politiquement mauvais », c’est par trop se moquer du monde. Est-il besoin d’ajouter que le corps électoral comprend une proportion toujours croissante d’allogènes, lesquels, dans leur écrasante majorité, pratiquent le vote ethnique, en faveur des candidats les plus immigrationnistes et islamophiles ? Dans à peu près toutes les métropoles d’Europe occidentale, il est d’ores et déjà impossible à un parti de droite populiste de l’emporter, tant la substitution de population est avancée. Si l’espoir en un sursaut salvateur du suffrage universel était déjà illusoire au siècle dernier, qu’est-il aujourd’hui ?
SAUVER LA RACE ?
Faute de pouvoir compter sur le peuple comme sujet politique, peut-on du moins s’appuyer sur le peuple au sens social, le peuple comme plebs, qui constitue la principale clientèle des partis populistes ? C’est lui, d’après les études de sociologie électorale, qui a assuré le Brexit et fait l’élection de Trump, lui aussi qui a permis à Marine Le Pen d’entrer malgré tout à l’Assemblée nationale, avec une poignée de fidèles. Subissant de plein fouet l’invasion, les couches populaires indigènes sont certes mieux immunisées que d’autres contre l’euphorie de « l’enrichissement » ou la moraline de « l’accueil des réfugiés qui fuient la guerre et la misère ». Mais leur détresse même en fait des proies faciles pour les vautours du populisme de calcul politicien et de rente électorale. Alain de Benoist relève, après beaucoup d’autres, le mépris de classe des intellectuels qui dénigrent le vote populiste comme celui des moins diplômés : « on pourrait tout aussi bien considérer que les moins éduqués sont aussi les moins conditionnés par l’idéologie dominante ».
C’est vrai dans une certaine mesure, en tant que tout vaut toujours mieux que la demi-instruction. Il ne faudrait pourtant pas verser dans un rousseauisme de caricature, sur le thème du peuple gardé dans sa vertu par son heureuse ignorance. Si l’inculture garantissait l’indépendance, le Système n’aurait pas organisé, comme il le fait méthodiquement depuis tant d’années, la déculturation générale. La vérité est que l’école n’est qu’un vecteur parmi d’autres de la propagande immigrationniste, flagellatrice et métissolâtre : la télévision, la publicité, le spectacle sportif, répandent tout aussi sûrement le poison. Les milieux populaires vont moins à l’université mais consomment plus de télé-réalité : en fait de décervellement, l’une vaut bien l’autre.
Le peuple a longtemps eu, pour parler comme Pascal, des « opinions saines », fûtce pour de mauvaises raisons (« encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête. Car il pense que la vérité est où elle n’est pas »). Voici encore quelques décennies, les enquêtes faisaient apparaître, sur des sujets révélateurs comme l’homosexualité ou la peine de mort, un très net écart entre les moins diplômés et les autres. C’est beaucoup moins vrai aujourd’hui : on constate, surtout chez les plus jeunes, un conformisme croissant, d’un bout à l’autre de l’échelle sociale — je ne parle évidemment que des indigènes. Sur la question même de l’immigration, les gens modestes ont intériorisé les interdits de la nouvelle bien-pensance : ils s’autocensurent, demandent d’avance pardon quand ils osent se plaindre des conséquences les plus immédiatement odieuses de l’afflux allogène (« je ne suis pas raciste »). Pire, il suffit de prendre les transports en commun dans n’importe quelle ville d’Europe occidentale pour constater les progrès de l’abrutissement et de la miscégénation chez ce qui reste d’autochtones : ce ne sont partout que spécimens de ce qu’Evola appelait l’antirace. Les discours, les programmes, le personnel même des partis populistes re- flètent tout cela.
On trouve, à l’entrée “Peuple” du Dictionnaire politique et critique de Maurras, un curieux article, paru dans l’Action française en 1910, sur l’affaire des matelots du Moulouya. Ceux-ci s’étaient mis en grève pour exiger le renvoi de chauffeurs somalis, recrutés sur des salaires de misère pour servir sur leur bateau. La presse radicale-socialiste avait attaqué ces grévistes, coupables de « ne vouloir pas supporter de nègres ni d’Arabes parmi eux. Parfaitement ! Cent vingt ans après la Révolution française, certains dictateurs de la CGT se trouvent offensés qu’un Somali puisse être chauffeur d’un navire à côté d’un Provençal ou d’un Breton ». Maurras prend hautement la défense des matelots dont la réaction est « un mouvement de fierté nationale que l’on peut appeler très justement aristocratique ». Ce sont les anti-grévistes qu’il fustige : « Un travailleur français n’a pas le droit de se sentir chez lui sur un vaisseau de France. […] Il ne lui est même pas permis de trouver qu’un nègre sent mauvais. […] Nous sommes et devons être serfs de Cosmopolis ».
À en croire Alain de Benoist, la caractéristique du populisme est de mêler trois acceptions du mot “peuple” : le peuple politique, le peuple plebs — on a vu ce qu’il fallait penser de l’un et de l’autre —, et le « peuple défini par son histoire et sa culture (ethnos) ». Comme si le peuple racial, le peuple au sens de Volk n’était qu’une affaire de culture ! Et quelle culture, aujourd’hui qu’il n’y a plus de culture, ou que tout est culture, ce qui revient au même ? La conscience, ou du moins l’instinct racial, voilà ce qui était autrefois l’honneur du peuple et dont la propagande du Système travaille si furieusement à effacer les vestiges. Voilà la dernière étincelle de vie qu’il faudrait sauver, ranimer, faire grandir. Or ce peuple-là, c’est justement celui que le populisme a choisi d’ignorer. Il y a, d’un point de vue anti-démocratique, bien des critiques à faire au fascisme. Mais que dire du populisme, fascisme sans chef et sans doctrine, qui est aussi un fascisme sans race ?
Flavien BLANCHON
Source : Rivarol n°3309 du 13/12/2017
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