En ces temps où l’on voit
des mythes partout (le dernier étant celui du « mythe » Johnny Halliday)
et que les mots perdent leur sens, Jean-Loïc Le Quellec et Bernard
Sergent nous offrent un Dictionnaire critique de mythologie, pour
un prix modique (39 euros). Cet ouvrage est impressionnant à plusieurs
égards. Premièrement, il s’agit d’une somme de XIX + 1554 pages en
papier bible, les pages étant divisées en deux colonnes ; deuxièmement,
toutes les entrées ont été rédigées par les deux auteurs. L’ouvrage en
comprend près de 1400 , concernant plus de 1300 peuples. Enfin, ces
notices sont à jour sur le plan bibliographique… Cette somme représente
un travail de plus d’une décennie, sans cesse réactualisé. Il s’agit
d’un exploit lorsqu’on connaît la difficulté pour un chercheur de rester
à jour. Les auteurs ont une brillante carrière scientifique : Jean-Loïc
Le Quellec est anthropologue et un préhistorien, directeur de recherche
à l’Institut des Mondes Africains du CNRS. Il travaille à la fois sur
les peintures rupestres, en particulier du Sahara et sur la préhistoire
des mythes ; Bernard Sergent est un historien, indo-européaniste et
mythologue. Il préside depuis de longues années la Société de mythologie
française. Avec cet ouvrage, nos auteurs sont donc en territoire connu.
Chaque entrée est
accompagnée d’une riche bibliographie. L’ouvrage se décompose de la
façon suivante : « Introduction » (pp. IX-XIV), « Conventions » (pp.
XV-XVI), « Abréviations usuelles » (XVII-XVIII), « Remerciements » (p.
XIX), « Notices alphabétiques » (1-1364), « Bibliographie » (pp.
1365-1540), qui ne regroupe que les ouvrages utilisés pour la rédaction
des notices (une bibliographie plus qu’impressionnante d’ailleurs),
« Liste des entrées par domaines » (pp. 1541-1554), qui présente
différences polices : en gras, les auteurs ; en italique, les concepts,
en romains les grands mythes, facilitant une recherche précise. La
bibliographie générale est complétée par des références complémentaires,
qui suivent les biographies des mythologues.
Contrairement aux autres
dictionnaires de mythologies, nos auteurs nous offrent un livre
novateur, sans égal dans le monde (en sens, ce livre est une première
mondiale) : il existe de nombreux dictionnaires consacrés aux dieux et
aux mythes d’un secteur géographique déterminé (Grèce, Rome, Égypte
ancienne, monde celtique, Scandinavie, Chine, Inde, etc.) ; il existe
également des encyclopédies de mythologies et d’histoire des religions,
mais jamais ayant l’approche de celui-ci. Il s’agit d’un tableau
d’ensemble de la science mythologique qui s’organise autour de trois
axes : les mythes, les mythologues (avec des notices
bio-bibliographiques) et les concepts.
L’« Introduction » est
passionnante car elle présente et explique les motivations des auteurs.
Surtout, elle présente l’état des lieux de la recherche mythologique
aujourd’hui, en France, comme dans le reste du monde. Contrairement aux
autres ouvrages sur les mythes, ce Dictionnaire n’a pas d’entrées « géographiques
ou ethniques », comme l’écrivent les auteurs dans leur introduction. Il
propose aussi de se pencher sur le folklore, les contes et les
croyances, souvent méprisés. Cet ouvrage n’est donc pas un
« dictionnaire de mythologie » ou des « mythologies ». Il n’a pas
également d’entrées consacrées aux dieux et aux héros de la mythologie gréco-latine, ni à « leurs
homologues égyptiens, aztèques, celtiques, germaniques ou
babyloniens ». Par contre, il donne une large place aux thèmes
mythiques, « choisis pour leur large répartition, qui recouvre en
général plusieurs continents » : « déluge », « serpent »,
« origine de la mort », « naissance miraculeuse », « hommes volants »,
« circoncision », « résurrection », « sexe des arbres »,
« hermaphrodite », « chaudron inépuisable », « dragon », « corbeau »,
etc.
Par exemple, l’entrée
« Androgyne » est présentée dans ses différentes époques et ses
différentes aires de formulations (Mésopotamie anciennes, Iran, Grèce,
Asie, Afrique, Océanie-Indonésie, Amérique, accompagnée, à chaque fois,
d’une bibliographie). Cette approche comparatiste est à la fois
passionnante pour le curieux et pour le scientifique. Surtout, elle
offre une nouvelle vision de la mythologie, avec les entrées sur les
concepts, associés aux mythes (temps, histoire, langue, toponymie,
paysage…) ou élaborés par la recherche mythologique, tels que ceux de
« héros », « coracomorphose », « âges du monde », « inversion »,
« fertilité», « adjuvant », « agresseur », « donateur », etc. À chaque
fois, ces concepts sont accompagnés d’exemples, permettant leur
compréhension.
Autre point fort de l’ouvrage (mais il y en a tant…) : les notices bio-bliographiques des « grands mythologues » qui ont participé à « la scientification, somme toute récente, de la mythologie » :
Georges Dumézil, Claude Lévi-Strauss, Vladimir Propp, Stith Thompson,
Antti Amatus Aarne, Algirdas Greimas, Carl von Sydow, Jean-Pierre
Vernant, Germaine Dieterlen, Alexander Haggerty Krappe, Mircea Eliade,
Marcel Griaule, Georges Devereux, et tant d’autres. Ces pionniers sont
replacés dans leur contexte historique et scientifique. Ces entrées
comprennent également une évaluation critique de ces auteurs. Ainsi,
Eliade, dont les recherches sont marquées par l’ésotérisme antimoderne
de René Guénon, est qualifié de « philosophe et romancier ». Les auteurs
reviennent sur son mysticisme antichrétien et son militantisme
politique au sein de la Garde de fer de l’extrémiste de droite Corneliu
Codreanu. Chaque notice est suivie d’une bibliographie de l’auteur, sa
bibliographie posthume et sa filmographie.
Si cet ouvrage est très
érudit, et parfois ardu, il est compréhensible par le non-spécialiste,
qui sera aidé par les nombreux renvois d’une note à l’autre. Il s’agit
également d’un précieux outil de travail pour les étudiants et les
chercheurs. Ce travail est une somme que tout amateur de mythes et de
mythologies se doit d’avoir.
Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent, Dictionnaire critique de mythologie, Paris, CNRS Éditions, 2017, 1554 p.