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vendredi 22 décembre 2017

Peut-on se passer du passé simple ?

On n’enseigne plus guère le passé simple à l’école. Trop compliqué, archaïque, voire élitiste ! À la rigueur, les troisièmes personnes du singulier et du pluriel. C’est comme le subjonctif imparfait, qui a pratiquement disparu depuis que l’on entend moins Jean-Marie Le Pen à la télévision. Le subjonctif ? On s’en balance. L’important n’est-il pas qu’on se comprenne ?

Le mal est plus pernicieux qu’il n’y paraît. Une langue est d’autant plus riche qu’elle permet d’exprimer sa pensée avec plus de justesse. Et une pensée est d’autant plus pauvre qu’elle dispose d’un vocabulaire sommaire, d’une morphologie réduite et d’une syntaxe minimale.
Méconnaître le passé simple, ne pas l’enseigner, c’est limiter l’accès aux grands textes littéraires. Sans passé simple, on ne peut comprendre la poésie de ces vers de Racine dans Phèdre : « Ariane, ma sœur, de quel amour blessée, / Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! » Pourquoi parler ainsi ? Il aurait dû écrire : « Vous êtes clamsée parce qu’un mec vous a lâchée ! » Mais on sait qu’aujourd’hui, pour beaucoup, la langue de Racine est devenue du chinois.
Cherchez sur Internet des lettres de poilus pendant la guerre de 14-18 : nos aïeux connaissaient le passé simple et l’utilisaient couramment. Voici le premier exemple sur lequel je suis tombé : « Nos voisins d’en face tinrent mieux leur parole que nous. Pas un coup de fusil. On put travailler aux tranchées, aménager les abris comme si on avait été dans la prairie Sainte-Marie. Le lendemain, ils purent s’apercevoir que ce n’était plus Noël, l’artillerie leur envoya quelques obus bien sentis en plein dans leur tranchée. »
Eh oui ! Malgré la guerre, dans leurs tranchées, ils employaient le passé simple. 
 Qu’on ne dise pas que c’est un temps trop difficile à apprendre ! Certes, nous sortons de décennies de pédagogie où il est mal vu – parfois même par l’inspection – d’en demander trop aux enfants. La littérature de jeunesse, les articles de presse, les publicités remplacent les grands textes, dont certains sont tout à fait à leur portée. J’entends des partisans de la pédagogie nouvelle faire « Pouah ! » à l’idée de transmettre ce qu’ils appellent une littérature d’« héritiers ».
Pas étonnant qu’ils n’apprécient guère le nouveau ministre, qui offrit à des élèves de CM2 un recueil des Fables de La Fontaine ! Quel réactionnaire !
Rien de plus facile, pourtant, que d’apprendre à des élèves de tous niveaux les emplois, voire les subtilités, du passé simple. On explique souvent que, contrairement à l’imparfait, qui exprime la durée ou la répétition, le passé simple a une valeur ponctuelle. Citez-leur ce vers de Victor Hugo, décrivant la fuite de Caïn, poursuivi par sa conscience : « Il marcha trente jours, il marcha trente nuits. » Ils comprendront aisément que le passé simple peut aussi exprimer la durée et seront tout étonnés de cette découverte.
Le passé simple participe de la richesse de la langue française. Oui, on peut s’en passer et se contenter de ce qui est strictement utile pour communiquer. « L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines », écrivait Théophile Gautier, qui dénonçait, déjà au XIXe siècle, les excès de l’utilitarisme.

Faire disparaître l’usage du passé simple de l’enseignement, c’est appauvrir volontairement l’expression de la pensée et, donc, la pensée elle-même. Sans doute peut-on vivre sans passé simple, à condition d’accepter que notre patrimoine linguistique se détricote. On cède sur l’orthographe, on cède sur le subjonctif, on cède sur le passé simple et, à la fin, il ne reste plus rien !

Philippe Kerlouan

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