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mercredi 20 décembre 2017

L'extrême droite au pouvoir en Autriche: pourquoi l'Europe est muette

Catherine Gouëset

L'Union européenne a à peine réagi à la formation d'une coalition entre la droite et l'extrême droite à Vienne. Explications.

Il a fallu deux jours avant que Paris ne communique officiellement sur le sujet. "Le nouveau chancelier a, à de nombreuses reprises, affirmé son attachement aux valeurs européennes et au projet européen, ce que le programme de son gouvernement reprend. C'est bien dans cet esprit que nous voulons engager le dialogue avec son gouvernement", a répondu le porte-parole du Quai d'Orsay, lors de la réunion de presse quotidienne. Cette réaction de la France au retour de l'extrême droite au pouvoir en Autriche illustre bien le changement en Europe en deux décennies  
Rien à voir avec l'émotion lorsque l'extrême droite a été associée au gouvernement du chancelier Wolfgang Schussel en 2000. Les -alors 14- partenaires européens de l'Autriche avaient alors décidé de suspendre leurs relations bilatérales avec Vienne, de limiter le rôle de leurs ambassadeurs et de ne pas soutenir les candidats autrichiens à des fonctions dans les organisations internationales.  

Le FPÖ n'a pas changé, l'Europe si

Ce n'est pas l'évolution du parti populiste qui explique ce changement. Le FPÖ reste un parti de droite populiste xénophobe, gratifié de deux ministères cruciaux, l'Intérieur et les Affaires étrangères. C'est l'Europe elle-même qui a changé.  
"En 2000, les sanctions ont échoué, et les Européens en ont pris conscience, souligne Jean-Yves Camus, spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe*. Elles n'ont fait que renforcer le sentiment de victimisation des Autrichiens, alors que l'UE n'avait pas réagi à la formation, en Italie en 1994, d'un gouvernement de coalition de Silvio Berlusconi avec la Ligue du Nord et l'ex-MSI, devenu Alliance nationale". 
"L'Union européenne a sans doute aussi pris acte, poursuit le politologue, que les libertés fondamentales n'avaient pas reculé en Autriche sous la coalition du chancelier Schussel avec le FPÖ de Jorg Haider". Le parti de droite populiste n'avait pas appliqué la totalité de son programme, ce qu'il avait d'ailleurs payé dans les urnes quelques années plus tard.  

Une marge d'action européenne "très faible"

Surtout, entre-temps, l'Europe élargie à 28 membres a vu apparaître les "démocraties illibérales" en son sein: Pologne, Hongrie... Plusieurs pays de l'ancien bloc soviétique (République tchèque, Slovaquie...) suivent la même route. "Le Gouvernement ÖVP-FPÖ sera plus modéré que ceux de Hongrie et de Pologne, note, sur Twitter, le spécialiste néerlandais de l'extrême droite européenne Cas Mudde. Et pas très différent des gouvernements au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni".  
Avant même que la nouvelle coalition soit aux manettes à Vienne, l'impuissance de l'Europe est en outre déjà à l'oeuvre: "L'UE peine à sanctionner la Pologne, qui a concrètement mis à mal l'indépendance de la Justice et la liberté des médias", constate de son côté Christian Lequesne, spécialiste des institutions européennes au CERI Sciences-Po. Parvenir à la privation du droit de vote d'un pays suppose de passer par trois étapes, explique l'expert: un avis de la Commission européenne, d'abord, suivi d'un accord aux quatre cinquièmes des chefs de la diplomatie, et enfin d'une décision unanime du Conseil européen. On sait d'ores et déjà que la Hongrie s'y opposera. "Cela illustre la très faible marge d'action de l'UE face aux partis non démocratiques parvenus au pouvoir via des élections démocratiques", complète le politologue.  

Montée en puissance des idées de l'extrême droite dans toute l'Europe

Plus grave, l'Europe n'est pas confrontée qu'à l'essor des formations d'extrême droite. Elle voit aussi les idées de cette droite radicale essaimer dans les autres formations. En Autriche, Sebastian a fait siennes les thématiques anti-immigration et anti-islam de son futur partenaire.  
Aux Pays-Bas, la droite a certes barré la route au populiste Geert Wilders, au printemps dernier, mais elle a aussi repris une partie de ses idées. En France, sous l'influence de Nicolas Sarkozy, ou, plus récemment de Laurent Wauquiez, la droite a également adopté certaines thématiques du Front national pour tenter d'attirer ses électeurs.  
Cette stratégie est-elle la solution pour barrer la route à l'extrémiste? L'expert Cas Mudde en doute: "Plus vous parlez de l'immigration et de l'islam, plus vous donnez de l'importance à ce sujet, explique-t-il au Financial Times. "Il faut prendre en compte l'attente des citoyens européens sur ces questions, abonde Jean-Yves Camus, mais pas en apportant la même réponse que les partis d'extrême droite. "Surtout, les gens adeptes d'une société fermée préfèrent presque toujours l'original à la copie", complète Christian Lequesne.  

L'Autriche bientôt à la présidence de l'UE

L'Europe sera-t-elle récompensée par sa mansuétude envers la nouvelle coalition au pouvoir en Autriche? La question est d'autant plus importante que le pays prendra la présidence tournante de l'UE au second trimestre 2018. 
Contrairement à ses positions antérieures, le FPÖ autrichien ne parle plus de revenir sur l'adhésion de son pays à l'UE. "Il veut faire son marché dans l'UE, ce qui est bien plus gênant", observe Jean-Yves Camus. Sebastian Kurz a en effet décrit sa coalition comme celle de "deux partis qui veulent activement façonner la politique européenne", a relevé Politico.  
Vienne pourrait ainsi s'opposer à la politique européenne actuelle sur plusieurs questions essentielles dont celle des migrants: "Tusk a raison quand il dit que les quotas obligatoires de réfugiés dans l'UE ne fonctionnent pas", a déclaré le chancelier Kurz, vendredi. "Je vais pousser à changer cette politique de réfugiés dysfonctionnelle." L'Autriche a déjà prévu d'organiser un sommet pour "résoudre la question de l'immigration quand elle assurera la présidence de l'UE, selon l'agence Bloomberg
Autre inquiétude en Europe: l'attitude de la nouvelle coalition vis-à-vis de la Russie. Après l'invasion de la Crimée en 2014, le parti de Heinz-Christian Strache s'était prononcé contre les sanctions imposées à Moscou. Aujourd'hui, le patron du FPÖ déclare qu'il ne s'opposera pas aux décisions prises au niveau européen: "le droit de l'UE est en vigueur à 100%, nous nous battrons pour nos intérêts, pour nos opinions, dans l'UE, mais nous respecterons les décisions." 

De quoi rassurer les Européens? Leur atonie donne surtout l'impression que face à la montée du populisme, les 27 se contentent surtout de croiser les doigts. 

* Chercheur à l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) 

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