
Poster EZLN, source inconnue.
L’Observatoire des radicalités politiques publie une nouvelle note de Guillaume Origoni :
Il y a quelques mois, nous étions
contactés par une chaîne de télévision nationale au sujet des ZAD et de
leurs occupants, les zadistes. Nous tentions alors de transmettre des
concepts d’histoire, des idées politiques utiles à une meilleure
approche du cadre référentiel des militants qui peuplent les Zones
d’aménagement différé, qu’ils ont renommées Zones à défendre. Cet
affrontement sémantique et sémiologique nous semblait convenir pour
introduire les notions d’anarchisme libertaire, d’autonomie, de
communisme des conseils et de radicalité politique. Nous fûmes
interrompus rapidement par l’étonnement que voulait nous faire partager
la journaliste : « Nous y sommes allés et rendez-vous compte, certains
d’entre eux boivent de l’essence ! ». Cette phrase est révélatrice du
traitement que les médias font des ZAD, ainsi que de la représentation
populaire sur laquelle elle prend racine : ce serait là un rassemblement
de marginaux dont les modes de vie confineraient au tribalisme. Ces
représentations relèvent du folklore et font obstacle à l’approche
dépassionnée nécessaire à un traitement plus rigoureux.
L’application d’une méthodologie adéquate
pour comprendre ce que sont les ZAD semble d’autant plus importante au
moment où le gouvernement doit se prononcer d’ici janvier prochain sur
les modalités de l’évacuation des personnes présentes sur la ZAD de
Notre-Dame-des-Landes dans la région nantaise.
C’est dans cette optique que nous
proposons d’étudier quels sont les problèmes soulevés par la
multiplication des ZAD en termes d’ordre public tout en tentant une
approche des corpus fondateurs référents pour les zadistes. Enfin, nous
verrons à quels enjeux se heurte le travail des services de police face à
la détermination et la multiplication des militants et la
méconnaissance partielle que nous avons sur l’ultra-gauche en général et
sur les ZAD en particulier.
L’ordre public face au désordre politique
Les Zones d’aménagement différé (ZAD)
ont été créées par le législateur afin que les collectivités locales
puissent faire demande d’un droit de préemption à l’État, de tout ou
partie d’un territoire, urbain ou rural, pour que les terrains objets
d’un projet économique ou industriel ne soient pas sujets à des hausses
intempestives de prix.
C’est sur certains de ces territoires que la contestation liée à la légitimité des dits projets[1]s’est
développée et que le renversement sémantique a conduit à changer la
signification de l’acronyme ZAD en Zone à défendre. Les plus
emblématiques en France sont : Notre-Dame-des-Landes dans la région
nantaise, Sivens dans le Tarn, ou encore le site de Bure en Haute-Marne[2]. Il existe d’autres ZAD aussi bien en France qu’à l’étranger.
Ces Zones d’aménagement différé, devenues
Zones à défendre, constituent une préoccupation majeure tant pour les
collectivités locales, qui y voient une atteinte au développement
économique et social des territoires dont elles assurent partiellement
l’administration et la gouvernance, que pour l’État, voyant dans les ZAD
à la fois la contestation de son autorité légitime et une problématique
majeure en termes de maintien de l’ordre.
Les mandats de Nicolas Sarkozy et
François Hollande ont fait face aux gestions des différentes crises
ponctuant les épisodes contestataires, parfois violents, qui se sont
déroulés dans ou aux abords des ZAD. On se souviendra que ces
affrontements ont généré la mort d’un jeune militant, Rémi Fraisse, sur la ZAD de Sivens le 26 octobre 2014.
Le gouvernement d’Édouard Philippe semble
à son tour inquiet de la charge qui lui incombe quant à la prochaine
évacuation des militants restés présents à Notre-Dame-des-Landes, malgré
le résultat de la consultation locale qui a dégagé une majorité
favorable à l’extension de l’aéroport de Nantes.
On l’aura compris, du point de vue de
l’exercice de la force publique, les ZAD sont des territoires qu’il
convient de reconquérir car l’occupation dont ils font l’objet relève de
l’atteinte à la propriété privée, mais aussi parce qu’elles agissent
par ailleurs comme un révélateur de sa faiblesse ou, tout du moins, de
son illégitimité.
À la différence de ce que furent les
« Zones d’autonomie temporaire » (en France comme partout ailleurs on
utilise l’acronyme anglais TAZ, expression qui renvoie également au
lexique festif des psychotropes) théorisées au cours des années 1990 par
l’écrivain ou le collectif d’auteurs libertaires Hakim Bey dans un
ouvrage[3] du même nom, les ZAD s’inscrivent dans une logique de lutte enracinée dans la durée.
Là où la constitution de Zones
d’autonomie temporaire avaient pour but de faire la démonstration qu’une
pensée autonomiste d’inspiration anarchiste pouvait aboutir à
l’éclosion d’happenings politiques et culturels échappant aux contrôles
étatiques (les premières raves, par exemple, étaient pratiquées dans cet
esprit) avant leur autodissolution ; les ZAD assurent une fonction de
territoire forteresse au service d’un projet politique et social qui
dépasse la contestation attenante à son aménagement futur.
Nous comprenons alors que les
problématiques auxquelles sera prochainement confronté le président de
la République ne se limitent pas au retour à l’ordre. Les enjeux qui se
nichent au cœur de ces territoires forteresse sont d’ordres politiques,
symboliques, sociaux et historiques.
Quel que soit le résultat de l’opération
de maintien de l’ordre – qui reste dans les ZAD un exercice délicat –,
l’organisation des contestations que les ZAD permettent ne disparaîtront
pas. En d’autres termes : s’il est possible et même probable de
reconquérir le territoire occupé, il sera plus difficile de contrer la
pérennité d’un mouvement porté par une mouvance dont les expériences
politiques se perfectionnent et s’affinent à mesure que les projets
d’aménagement se multiplient en France en Europe et dans le monde. Les
zadistes constituent le collectif le plus structuré culturellement et
opérationnellement de la mouvance dite de l’ultra-gauche.