Rédigé par Philippe Maxence
Avec un livre s’intitulant L’Église dans la tourmente,
on croit entrer dans l’un de ces nombreux essais qui paraissent
aujourd’hui pour donner l’opinion de leurs auteurs sur la situation
actuelle de l’institution ecclésiale. Le nom de l’auteur n’atténue pas
cette impression. Intellectuel italien engagé, Roberto de Mattei dirige
plusieurs associations et publications catholiques qui n’hésitent pas
entrer dans la lutte pour défendre une vision traditionnelle de
l’Église. Comme écrivain, il est aussi l’auteur de plusieurs essais qui
s’inscrivent dans la même veine.
Mais Roberto de Mattei est aussi un
historien, qui a enseigné à l’Université européenne de Rome et à
l’université de Cassino. Par ailleurs, celui qui avait colonnes ouvertes
à l’Osservatore Romano du temps de Benoît XVI, a également
occupé des responsabilités officielles dans la société civile, comme
vice-président de l’équivalent de notre CNRS en Italie et comme
conseiller du gouvernement italien pour les questions internationales
entre 2002 et 2005.
L’Église dans la tourmente, s’il
n’est pas sans rapport avec la situation actuelle, propose d’abord et
avant tout un condensé de l’histoire de l’Église pendant le premier
millénaire. Des persécutions aux croisades, Roberto de Mattei retrace à
grands traits la vie des premiers chrétiens, l’efflorescence des
martyrs, la lutte contre les hérésies, la naissance du monachisme,
l’effondrement de l’empire romain, la conversion des nations et la
naissance de l’Europe chrétienne.
Ce livre est en fait issu des causeries
qu’il donna entre janvier 2011 et avril 2012 au micro de la radio
catholique italienne, Radio Maria. Il ne s’agit donc pas d’une étude
scientifique, mais d’une présentation des éléments essentiels à
connaître sur cette Église du premier millénaire qui nous semble si loin
et, qui pourtant, n’est pas sans rapport avec notre situation. De ce
fait, le propos est volontairement synthétique, didactique et lisible
par tous. À sa manière, et sans aucune connotation péjorative, L’Église dans la tourmente constitue une bonne apologétique, mais une apologétique ad intra, destiné d’abord aux baptisés qui veulent être confortés dans leur vie de chrétien.
Il se trouve, en effet, que souvent les
questions historiques viennent déstabiliser les croyants dans leurs
certitudes. Souvent, celles-ci reposent sur des bases instables. Au
début de son chapitre consacré au monachisme, Roberto de Mattei
s’interroge par exemple sur la remise en cause de la vision
constantinienne de l’Église, refrain sans cesse reprit depuis plus de
cinquante ans, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église.
Par sa reconnaissance par Constantin et par son installation dans le
paysage officiel de l’époque, L’Église aurait tout simplement perdu de
sa sève intérieure et renié le Christ. Bien qu’une telle vision fasse fi
un peu rapidement de l’inscription (on n’ose dire de l’incarnation) de
l’Église dans le temps, Mattei souligne plus simplement que c’est à
cette époque que le monachisme éclot et se répand. Loin de disparaître,
la sève et l’exigence spirituelle ont, au contraire, trouver un autre
moyen d’expression, une radicalité, permise par cette période de paix
vis-à-vis de l’Église.
Petit précis d’histoire de l’Église, L’Église dans la tourmente
s’inscrit en raison des dates de rédaction des textes dans le cadre du
pontificat de Benoît XVI. Ce dernier est largement cité tant il a
lui-même exploré dans ses audiences les grandes figures du christianisme
antique et des saints. On notera particulièrement cet extrait d’un
discours aux cardinaux en mai 2012, à propos de l’appellation
traditionnelle d’Église militante distincte de l’Église souffrante et de
l’Église triomphante, lesquelles ne forment pourtant qu’une seule
Église :
« Aujourd’hui, déclarait Benoît XVI, l’expression ecclesia militans
est un peu passée de mode, mais en réalité, nous pouvons toujours mieux
comprendre qu'elle est vraie, qu’elle porte en elle une vérité. Nous
voyons que le mal veut dominer le monde et qu’il faut combattre le mal.
Nous voyons qu’il le fait de bien des manières, cruelles, à travers
diverses formes de violence, mais aussi caché sous les traits du bien,
détruisant ainsi les fondements moraux de la société. Saint Augustin a
dit que toute l’histoire est un combat entre deux amours : l’amour de
soi jusqu’au mépris de Dieu ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi,
dans le martyre. »
À sa manière, ce petit essai entre dans
cette perspective. Livre d’histoire, c’est aussi un livre d’espérance.
D’une espérance surnaturelle, habitée aussi par la foi et la charité.
Mattei écrit ainsi : « Nous ne pouvons pas sauver l’Église, mais
nous pouvons l’aimer et la servir, en imitant l’exemple de tous ceux
qui, dans le cours de l’histoire, lui ont donné leur vie. Ceux qui
prétendent sauver l’Église veulent édifier une Église selon leur opinion
personnelle, différente de celle de Jésus-Christ. » C’est l’Église
des Apôtres, des martyrs, des docteurs et des saints. Même ceux qui ne
partagent pas certaines options de l’auteur peuvent trouver dans cet
ouvrage des motifs d’aimer et de servir l’Église.
L’Église dans la tourmente, Roberto de Mattei
200 pages, 18 €