Rédigé par Jean-Baptiste Nouailhac, directeur du Cours Clovis, propos recueillis par Adélaïde Pouchol
Alors que Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation, a annoncé début mars la fermeture à la rentrée prochaine de 200 à 300 classes en zone rurale, les jeunes de la "France périphérique" semblent toujours plus abandonnés à leur sort. Au Cours Clovis, dans l'Aisne, une équipe de jeunes professeurs a décidé de se mettre au service de ceux qui, habitant hors des grandes villes ou des banlieues, ont comme disparu du paysage médiatico-politique.
Entretien avec Jean-Baptiste Nouailhac, directeur du Cours Clovis à La Fère (Aisne), collège-pilote de la fondation Espérance Ruralités
Propos recueillis par Adélaïde Pouchol
Avec Hervé Catala, vous êtes co-fondateur de la Fondation Espérance Ruralités qui a vu le jour en mars 2017 sous l’égide de la Fondation pour l’École. Quels sont ses objectifs et quels sont les besoins spécifiques des zones rurales ?
Notre mission est de développer un modèle
de collège-lycée adapté aux jeunes des zones rurales, ce que Christophe
Guilluy appelle la France périphérique, c'est-à-dire ces territoires en
dehors des métropoles et des banlieues qui les entourent, des
territoires qui partagent une même situation sur les plans scolaire,
culturel et social. La pédagogie Espérance Ruralités vise deux
principaux objectifs, le premier étant de redonner confiance en eux à
ces jeunes. Il y a plusieurs causes à l'origine de ce mal-être,
notamment une perte des repères ou des situations familiales difficiles,
mais aussi le fait qu'ils vivent sur des territoires qui n'existent pas
sur les plans culturels et médiatiques. En pratique, toutes les
références culturelles de ces gamins sont des références urbaines,
citadines, ne serait-ce que par la musique qu'ils écoutent. Ils sont
donc renvoyés en permanence à une forme d'exclusion.
Le deuxième objectif est de leur
transmettre les savoirs fondamentaux. Si l'on regarde les chiffres, neuf
des dix départements les plus touchés par l'illettrisme sont des
départements de zones rurales et parmi eux, l'Aisne caracole en tête
avec 18 % de jeunes qui savent à peine lire.
En quoi ces difficultés que vous pointez seraient-elles différentes de celles auxquelles fait face la Fondation Espérance Banlieues par exemple ?
Sur le plan de l'acquisition des savoirs
fondamentaux, les difficultés sont effectivement les mêmes, par contre,
sur le plan culturel, notre problème n'est pas tant de transmettre les
codes culturels français à nos élèves que de les valoriser dans ce
qu’ils sont pour qu’ils n’aient plus honte de venir des zones rurales,
de leur redonner confiance en eux. C'est dans cette optique, par
exemple, que nous nous attachons à leur faire découvrir leur territoire,
que nous les vouvoyons ou que nous leur faisons faire des exercices
d'éloquence. Les élèves évoluent dans un cadre assez inhabituel pour eux
: ils portent l'uniforme, les téléphones sont interdits au Cours...
Mais ils s'y font très bien. D'ailleurs, quand quelqu'un d'extérieur au
Cours arrive et ne vouvoie pas, ils ne se gênent pas pour rappeler
comment cela fonctionne chez nous !
Racontez-nous l'histoire des débuts de la Fondation et plus particulièrement du Cours Clovis ?
Le Cours Clovis est né finalement assez
vite après la création de la Fondation Espérance Ruralités, parce que
nous avons pu obtenir en mai dernier l'accord de l'ancien supermarché
dans lequel nous nous sommes installés. Nous avons alors organisé une
réunion de présentation qui a rassemblé quelque 70 personnes, et, dans
la foulée, nous avons fait les entretiens d'inscription et avons ouvert
le Cours à la rentrée avec douze élèves. Aujourd'hui, ils sont quinze,
pour les classes de 6e, 5e et 4e. 80 % des élèves que nous avons
accueillis étaient victimes de harcèlement ou en décrochage scolaire et
il est clair que l'objectif que nous nous étions fixé est atteint
puisque, en termes sociologiques, nous touchons des familles en grande
difficulté sociale. Seulement trois semaines après la rentrée, des
enfants qui partaient à l'école avec la boule au ventre, complètement
renfermés sur eux-mêmes, se remettaient à parler, redevenaient
serviables... Les parents n'en reviennent pas et inutile de dire que
cela favorise un climat de confiance entre eux et nous. Nous travaillons
aussi en bonne intelligence avec les assistantes sociales, qui nous ont
d'ailleurs envoyés certains des élèves qui sont aujourd'hui au Cours.
Comment avez-vous choisi le nom du Cours Clovis ?
Comme nous sommes dans l'Aisne, nous
avions choisi trois noms, soumis ensuite au choix des élèves, et
emblématiques de la région. Il y avait Pierre Aubert, le premier inscrit
sur le monument aux morts de La Fère, Quentin de Latour, un peintre de
la région, ainsi que Clovis, qu'on ne présente plus et qui avait fait de
Soissons sa capitale. Les élèves ont voté et c'est Clovis qui l'a
remporté ! Je m'en réjouis car je crois qu'on ne peut grandir sans
racines. Si on ne sait pas d'où l’on vient, on ne peut aller nulle part.
Comment caractériser la pédagogie de Cours Clovis ?
Sur le plan proprement pédagogique et pour
répondre à l'objectif de transmissions des savoirs fondamentaux, nous
faisons de la remédiation en lecture (avec la méthode Boscher), en
grammaire (avec la méthode Nuyts) et en mathématiques (avec la méthode
de Singapour). Nous suivons le programme officiel, ne serait-ce que pour
préparer les élèves au brevet, mais en insistant sur les matières
fondamentales et avec une approche qui soit la plus pédagogique
possible, avec un enseignement chronologique de l'histoire, par exemple.
Les professeurs du Cours sont tous jeunes, issus pour la plupart de
l'enseignement privé ou en reconversion mais nous insistons beaucoup sur
le fait qu'ils sont aussi des éducateurs, ce qui se traduit par une
présence très importante, notamment dans la cour de récréation, pendant
les repas que nous prenons avec eux ou les services que nous encadrons,
au moment aussi de notre sortie hebdomadaire du vendredi. C'est une
proximité sans familiarité qui permet de redonner confiance dans
l'adulte et de créer un cadre propice à l'apprentissage.
En quoi consistent ces sorties du vendredi ?
Ces sorties peuvent être un grand jeu, la
visite d'une maison de retraite pour que les élèves jouent avec les
personnes âgées, une bataille de boule de neige, la visite d'une
exploitation agricole... ou un atelier avec les élèves pour tirer les
dalles de béton de l'école ! L'objectif est de permettre aux jeunes de
respirer un peu – je crois qu'il n'y a pas beaucoup d'écoles en France
où l'on arrive à faire bosser les élèves le vendredi après-midi – mais
aussi de valoriser d'autres formes d'intelligence, de favoriser la
cohésion, de responsabiliser les élèves et de faire valoir certaines
qualités qui ne sont pas forcément visibles en classe.
Comment financez-vous le Cours ?
Les parents paient en moyenne 50 € par
élève et par mois mais cela ne couvre évidemment pas la totalité des
frais, nous comptons donc énormément sur les dons des particuliers et
des entreprises. Le fonctionnement du Cours représente 300 000 € pour un
an. C'est toute la difficulté d'un collège : qu'il y ait cinq ou 50
élèves, il faut de toutes façons engager un certain nombre de
professeurs pour les différentes matières. C’est un gros investissement
de départ ! Pour nous aider à y faire face, il est possible de faire un
don en envoyant un chèque à l’ordre de « Fondation Espérance Ruralités »
à la Fondation Espérance Ruralités, 25, rue Sainte Isaure, 75018 Paris.
Il est également possible de faire un don en ligne sur notre site
internet : www.esperanceruralites.org.
Si vos lecteurs cherchent un effort de Carême, qu’ils n’hésitent pas, nous avons besoin d’eux !
Comment voyez-vous l'avenir pour le Cours Clovis et, plus largement, pour la Fondation Espérance Ruralités ?
On envisage le lycée. On veut se donner le
temps d'être plus solide avant de se lancer, mais nous commencerons à
nous poser la question à la fin de l'année. Il y a déjà des personnes
qui nous contactent de partout en France pour monter des écoles mais il
nous faut prendre un peu de recul.
Y a-t-il une anecdote, un moment qui vous a marqué, que vous aimeriez nous raconter ?
L'un de nos élèves a eu une enfance
particulièrement compliquée. La famille d’accueil dans laquelle il a été
placé à l’âge de 2 mois a finalement pu l’adopter il y a quelques
semaines et le changer de collège pour le mettre chez nous. Cet élève
avait des difficultés énormes en matière de motricité fine mais, une
semaine après son entrée à l'école, sa mère a reçu un coup de fil de
l'orthophoniste qui lui demandait si elle avait emmené son enfant à
Lourdes... Ses problèmes de motricité étaient réglés !