On parle beaucoup de dédiabolisation du FN depuis sept ans. Cette expression consacre l’esprit d’une diabolisation initiale, acceptons-en l’augure. Mais il est moins fréquent de s’interroger sur le fait suivant : la dédiabolisation n’aurait-elle pas été réalisée par les responsables du Front, voici plus de 30 ans ? Et si Jean-Marie Le Pen et Jean-Pierre Stirbois, disparu depuis 30 ans cette année, n’avaient-ils pas été les pionniers in concreto de cette fameuse dédiabolisation ? Retour vers le passé…
Il est de bon ton d’indiquer -et de respecter, en matière politique, une espèce de frontière temporelle au Front national (FN) qui correspond à l’élection au poste de président du mouvement de Marine Le Pen, lors du congrès de Tours en janvier 2011. Admettons-en l’augure, puisqu’il s’agit d’une croyance médiatique, c’est-à-dire d’une certitude : avant 2011, le mouvement national était représenté par une figure diabolique et, par la grâce de 68 % des adhérents frontistes, la dédiabolisation eut lieu, la fille cadette d’un des fondateurs du FN, Jean-Marie Le Pen, en 1972, l’emportant largement sur le professeur d’université, Bruno Gollnish.
Il est probablement nécessaire, préalablement à toute hypothèse, de définir la dédiabolisation, c’est-à-dire à la fois, l’insertion du mouvement national dans le système électoral de la Ve République (avec des unions électorales politiques compte-tenu du système électoral, uninominal à deux tours lors des scrutins législatifs) et l’attractivité de ce même mouvement à l’égard de représentants de la société civile, voire d’élus déçus par d’autres partis, bref la capacité de rassembler. Cette capacité doit donc se comprendre, à la fois à l’extérieur, c’est-à-dire auprès d’autres mouvements et à l’intérieur, c’est-à-dire en mesurant sa capacité de rassemblement sur son propre programme.
On pourrait donc, à partir de ce double fondement, penser, a contrario, que le FN fondé et dirigé par Jean-Marie Le Pen, présentait deux défauts structurels indépassables, vouant le parti national à un inéluctable échec :
- l’incapacité de porter un projet susceptible d’emporter une unité entre plusieurs mouvements, y compris sur un dénominateur modeste ;
- l’impossibilité d’attirer des personnalités, des élus, des cadres de la société civile, visant à accroître la visibilité du mouvement tout en lui conférant une légitimité supérieure.
Je n’évoquerai pas ici les causes de cette double impossibilité, peut-être faudrait-il les chercher dans le nom du parti, son logo, son programme, l’identité de ses fondateurs, le verbe de son leader breton… Là n’est pas le propos, ni le sujet, qui se limitera, ici et maintenant, aux conséquences de la diabolisation supposée, qui aurait donc pris fin en janvier 2011.
Au lieu de fonder notre propos sur le bilan de sept années de gouvernance de Marine Le Pen puisqu’il s’agit, pour nos médias, d’un fait acquis qui se résume dans l’assertion suivante : la fille Le Pen a dédiabolisé le parti mais il subsiste des « risques de rechute », permettant ainsi au quatrième pouvoir, celui de la presse, d’émettre des réserves (importantes) à la veille de chaque élection, prétextant un message posté sur un réseau social qui ne serait pas en phase avec le « politiquement correct » dominant, nous nous bornerons à porter notre propos sur l’avant Marine Le Pen.
Venons-en au fond de notre double propos :
Concernant la propension à proposer et à assumer l’unité entre plusieurs mouvements, y compris le FN, cette réalité existe depuis plus d’un tiers de siècle… En effet, dès le premier tour des élections municipales de 1983, des listes d’union des droites se mettaient en place à travers la France. La plus emblématique, car liée à de bons résultats du FN lors des cantonales de 1982, fut celle de la commune de Dreux. Dans cette sous-préfecture de l’Eure-et-Loir, déjà largement touchée par l’insécurité et l’immigration massive, une liste d’union pour battre la municipalité d’Union de la gauche se présente aux suffrages des électeurs. Le leader d’alors du mouvement néo-gaulliste, le Rassemblement pour la République (RPR), René-Jean Fontanille, avocat drouais et conseiller général depuis 1982 (grâce au report des voix frontistes), devient la tête de liste d’une union où figurent les représentants du FN, dont son secrétaire général d’alors, Jean-Pierre Stirbois. Cette liste obtint 33 % au premier tour et ne sera battue, au second tour, que de … huit voix face à la maire sortante socialiste. Grâce, notamment, à une colistière FN, l’élection fut annulée pour de multiples irrégularités constatées dans les bureaux de vote de la ville. Ainsi, la même année, en septembre (les 4 et 11), c’est cette fois-ci au second tour (il n’y a pas eu, cette fois-ci, d’union des droites dès le premier tour) que la droite drouaise et le FN forment une liste d’union et les 17 % obtenus par la liste emmenée par Jean-Pierre Stirbois au premier tour de scrutin permirent l’élection d’un maire gaulliste avec plus de 55 % au second tour. L’union entre la droite et le FN avait fonctionné (quatre membres du FN, dont son secrétaire général, furent nommés maires-adjoints) et surtout, elle avait prouvé, ainsi, son utilité électorale. Bien sûr, nous y reviendrons largement cette année à Synthèse nationale, puisque Jean-Pierre Stirbois nous a quittés voici 30 ans, cette union, dès le premier tour en mars 1983 et au second tour en septembre 1983, ne fut pas si simple, notamment dans les négociations avec les états-majors parisiens… mais Dreux, ville passée à gauche en 1977, rejoint le camp de la droite unie six ans après, reléguant une gauche sectaire à une parenthèse. Ce mois de septembre 1983 est une date-fétiche pour ce que l’on appelait encore à l’époque la droite nationale, sociale et populaire, cette dernière avait éclaté « le plafond de verre » (terme totalement inconnu à l’époque d’ailleurs). Alors que l’on donnait cette famille politique définitivement exclue de la vie politique française, Jean-Pierre Stirbois lui permettait de renouer avec la victoire. Certes, cette victoire était celle de l’union des droites, et pas celle du FN seul, mais cette union n’aurait pas pu exister sans le score de la liste FN et l’activité sur le terrain que le couple Stirbois avait mis en place depuis 1978.
Au-delà de cette victoire, au-delà des hommes, nous avons vu
Au lieu de fonder notre propos sur le bilan de sept années de gouvernance de Marine Le Pen puisqu’il s’agit, pour nos médias, d’un fait acquis qui se résume dans l’assertion suivante : la fille Le Pen a dédiabolisé le parti mais il subsiste des « risques de rechute », permettant ainsi au quatrième pouvoir, celui de la presse, d’émettre des réserves (importantes) à la veille de chaque élection, prétextant un message posté sur un réseau social qui ne serait pas en phase avec le « politiquement correct » dominant, nous nous bornerons à porter notre propos sur l’avant Marine Le Pen.
Venons-en au fond de notre double propos :
Concernant la propension à proposer et à assumer l’unité entre plusieurs mouvements, y compris le FN, cette réalité existe depuis plus d’un tiers de siècle… En effet, dès le premier tour des élections municipales de 1983, des listes d’union des droites se mettaient en place à travers la France. La plus emblématique, car liée à de bons résultats du FN lors des cantonales de 1982, fut celle de la commune de Dreux. Dans cette sous-préfecture de l’Eure-et-Loir, déjà largement touchée par l’insécurité et l’immigration massive, une liste d’union pour battre la municipalité d’Union de la gauche se présente aux suffrages des électeurs. Le leader d’alors du mouvement néo-gaulliste, le Rassemblement pour la République (RPR), René-Jean Fontanille, avocat drouais et conseiller général depuis 1982 (grâce au report des voix frontistes), devient la tête de liste d’une union où figurent les représentants du FN, dont son secrétaire général d’alors, Jean-Pierre Stirbois. Cette liste obtint 33 % au premier tour et ne sera battue, au second tour, que de … huit voix face à la maire sortante socialiste. Grâce, notamment, à une colistière FN, l’élection fut annulée pour de multiples irrégularités constatées dans les bureaux de vote de la ville. Ainsi, la même année, en septembre (les 4 et 11), c’est cette fois-ci au second tour (il n’y a pas eu, cette fois-ci, d’union des droites dès le premier tour) que la droite drouaise et le FN forment une liste d’union et les 17 % obtenus par la liste emmenée par Jean-Pierre Stirbois au premier tour de scrutin permirent l’élection d’un maire gaulliste avec plus de 55 % au second tour. L’union entre la droite et le FN avait fonctionné (quatre membres du FN, dont son secrétaire général, furent nommés maires-adjoints) et surtout, elle avait prouvé, ainsi, son utilité électorale. Bien sûr, nous y reviendrons largement cette année à Synthèse nationale, puisque Jean-Pierre Stirbois nous a quittés voici 30 ans, cette union, dès le premier tour en mars 1983 et au second tour en septembre 1983, ne fut pas si simple, notamment dans les négociations avec les états-majors parisiens… mais Dreux, ville passée à gauche en 1977, rejoint le camp de la droite unie six ans après, reléguant une gauche sectaire à une parenthèse. Ce mois de septembre 1983 est une date-fétiche pour ce que l’on appelait encore à l’époque la droite nationale, sociale et populaire, cette dernière avait éclaté « le plafond de verre » (terme totalement inconnu à l’époque d’ailleurs). Alors que l’on donnait cette famille politique définitivement exclue de la vie politique française, Jean-Pierre Stirbois lui permettait de renouer avec la victoire. Certes, cette victoire était celle de l’union des droites, et pas celle du FN seul, mais cette union n’aurait pas pu exister sans le score de la liste FN et l’activité sur le terrain que le couple Stirbois avait mis en place depuis 1978.
Au-delà de cette victoire, au-delà des hommes, nous avons vu, cette année, que le FN était en capacité de signer un accord avec un tiers parti, en l’espèce celui de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France (DLF). Cette union d’entre les deux tours de la dernière présidentielle vit les médias s’offusquer, tout en reconnaissant, pour la première fois, le désenclavement du FN, en capacité de passer un accord électoral. Ceci était probablement le fruit de la dédiabolisation, comme si les programmes du FN et de DLF étaient considérablement distincts.
Or, dès 1986, le FN avait obtenu du bureau politique d’un des plus anciens partis français, fondé en 1949, le Centre national des indépendants et paysans (CNIP), un accord permettant à certains de ses membres (et non des moindres) de figurer sur les listes parrainées par le FN, appelées Rassemblement national (RN). Ainsi, le secrétaire général adjoint du CNIP, Yvon Briant mais aussi un des propres adjoints de Jacques Chirac à la mairie de Paris, Edouard Frédéric-Dupont, deviennent, en mars 1986, des députés du Rassemblement national-FN.
Ainsi, dès les débuts de sa percée électorale au sein de l’opinion publique française, le FN avait, a priori, les capacités de négocier des listes d’union et des partenariats électoraux.
Concernant le second point, celui d’attirer des personnalités dites « représentatives » soit de la société civile, soit du personnel politique, il y a également fort longtemps que Jean-Marie Le Pen avait pris conscience de cette nécessité, permettant une meilleure visibilité auprès d’électeurs venant de différents horizons et susceptibles de modifier leur choix électoral initial. Or, le FN est passé de l’inexistence électorale au début des années 1980 à 11 % en 1984, puis très rapidement, plus de 14 % lors de la présidentielle de 1988.
Pour cela, la présence du FN lors des deuxièmes élections européennes fut déterminante. Aux premières élections européennes, en 1979, le FN était absent, laissant un faible score (1,3 %) au parti concurrent d’alors, le Parti des forces nouvelles (PFN) dont la liste était emmené par l’ancien candidat à la première élection présidentielle en décembre 1965, l’avocat Jean-Louis Tixier Vignancour.
1984 permit ainsi, grâce notamment aux scores obtenus à Dreux (voir ci-dessus), au FN d’attirer des personnalités politiques et civiles. Les élections législatives de 1986, qui permirent la constitution d’un groupe politique de 35 élus à l’Assemblée nationale confirmèrent cette capacité d’attraction du mouvement national.
Citons simplement quelques personnalités comme Michel de Camaret, ancien ambassadeur, décoré à la Libération de la croix de guerre, de la croix du combattant volontaire de la Résistance, de la médaille de la Résistance française et de l'ordre de la Libération, Olivier Lefèvre d’Ormesson, fils du diplomate Wladimir d'Ormesson et élu député européen en 1979 sur la liste de Simone Veil, le radiothérapeute François Bachelot, président de la chambre des professions libérales des Hauts-de-Seine, ou bien encore, en 1986, Edouard Frédéric-Dupont, le plus ancien parlementaire à siéger au Palais-Bourbon, proche de Jacques Chirac à la mairie de Paris. Bien d’autres élus ou proches de la droite parlementaire de
l’époque, tant au niveau national que local, rejoindront le parti de Jean-Marie Le Pen, démontrant ainsi assez clairement la capacité d’attraction du FN.
Jean-Marie Le Pen, avec l’aide essentielle de Jean-Pierre Stirbois, avait réalisé dans les faits une dédiabolisation complète (si l’on considère bien évidemment qu’initialement, une diabolisation existait) : unité dans les urnes avec la droite (qui, à l’époque, refusait d’ailleurs cette appellation…) et pouvoir d’aimanter des personnalités issues de milieux différents.
Ces exemples ont trente ans, diront nos lecteurs. En tout cas, l’exemple de la dédiabolisation du FN a bien été mis en œuvre et a fonctionné. Il serait nécessaire, de part et d’autre, de s’en souvenir.
Franck Buleux
Franck Buleux est l'auteur de nombreux ouvrages et écrits parmi lesquels :
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