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samedi 28 avril 2018

Bernard Plouvier - Du despotisme éclairé à la Synarchie d’empire


Première partie : le despotisme éclairé et ses avatars modernes 

« Quant à moi, j’aime l’État plus que mon âme »
Niccolo Machiavel 


Qu’est-ce qui différencie le populisme du despotisme éclairé ? Le but ! Ce n’est pas le bien de la Nation qui est la cible visée par ce dernier système politique, mais la puissance et la grandeur de l’État. Machiavel, théoricien de ce type de gouvernement, pose en principe que le bon « Prince » dirige avec douceur quand il le peut, avec ruse le plus souvent, avec brutalité au besoin, mais toujours avec le souci de l’efficacité. 

Les despotes éclairés sont les dévots de la raison d’État, réagissant en idéalistes pragmatiques, qui estiment que la fin justifie et ennoblit les moyens. Tout ce qui est profitable ou simplement utile à l’État devient, ipso facto, licite. Le succès fait disparaître jusqu’au souvenir des crimes qui ont paru nécessaires à l’obtention du résultat. Est beau, juste et noble ce qui a réussi. C’est un peu trop vite confondre l’État et le Bien commun. L’État n’est jamais qu’un moyen… il n’y a pas que les adeptes du despotisme éclairé qui oublient cette notion. C’est, en principe, le bien de la Nation qu’un bon gouvernement doit rechercher : c’est la définition du populisme !
Les despotes éclairés du XVIIIe siècle - Frédéric II de Prusse, Joseph II, antépénultième empereur romain de langue germanique, Pierre le Grand au début du siècle et Catherine II de Russie à la fin, Gustave III de Suède, le marquis de Pombal au Portugal ou Robert Turgot - réalisèrent des expériences politiques fort rationnelles, où un monarque héréditaire (ou un grand ministre agissant en son nom) luttait contre les féodalités nobiliaires, judiciaires et cléricales, en s’appuyant sur la fraction la plus dynamique du peuple aux plans économique et intellectuel, dans le but de moderniser l’État et d’en accroître la puissance et le prestige, voire l’étendue. 

L’expression « despote éclairé » n’est pas « une création d’un historien allemand du XIXe siècle », comme l’a écrit un docte universitaire : sa sottise fut immédiatement reprise par ses confrères historiens. En réalité, on la trouve, dès 1758, sous la plume de l’ami de Diderot, Melchior von Grimm, dans sa Correspondance littéraire. On peut en faire remonter la préhistoire au cardinal de Richelieu, même si les historiens, recopiant les Mémoires de Frédéric II, en bornent l’ancienneté au règne personnel de Louis XIV, aidé de grands ministres (Colbert, Louvois et Vauban sont les plus connus) et de quelques littérateurs (‘’Molière’’, Boileau, Racine ou La Fontaine), utiles à la gloire de son règne. 

Dans ce système, le monarque (ou son substitut) s’appuie sur des hommes de talent qui ont réussi dans les affaires (manufacturiers, négociants et armateurs, grands administrateurs) ou qui sont des penseurs originaux (les physiocrates français, ou la trinité enluminée : Montesquieu, ‘’Voltaire’’ et Diderot ; ailleurs : les idées de Thomas Hobbes ou les écrits et la personne de Julien Onfroy de La Mettrie). Ces hommes sont moins des conseillers que des incitateurs, remerciés avec plus ou moins de chaleur une fois que le maître a remporté ses premiers succès, dont il ne veut partager la gloire avec personne. 

Affirmer que le despote éclairé s’appuie sur la bourgeoisie pour contrer la noblesse et le haut-clergé, c’est faire preuve d’une grande simplicité et d’un défaut de documentation : tous les monarques médiévaux ont utilisé ce moyen pour asseoir leur pouvoir personnel et s’opposer aux grands prédateurs féodaux. 

Certains appuis des monarques « éclairés » proviennent de milieu pauvre, de la caste nobiliaire ou du vivier clérical. Denis Diderot est issu du monde de l’artisanat peu aisé, ce qui ne l’empêche pas de conseiller Catherine II ; l’abbé Ferdinando Galiani et de nombreux aristocrates jouent un rôle de premier plan en Suède, en Autriche-Hongrie et surtout en Prusse et en Russie. 

Seuls les corps constitués (assemblées du clergé, cour des pairs et parlements) sont repoussés par les monarques réformateurs qui veulent substituer au système des castes privilégiées le service de l’État, comme cela existe, depuis le XVe siècle, à Florence. Une bureaucratie zélée remplace les hiérarques traditionnels, avantageusement et à meilleur coût. Partout, le mot d’ordre est de laïciser, de moderniser, d’améliorer dans toutes les activités : de l’agriculture au commerce et aux manufactures, aussi bien qu’en matière de justice, d’enseignement, d’hygiène publique et d’art militaire ou de navigation. On casse les féodalités et l’on accroît les rentrées fiscales. Quand c’est possible, on étend le territoire.
Le despotisme éclairé, c’est le culte de l’État, fort, centralisé, uniformisé, ce qui fâche les membres des minorités ethniques qui veulent à toute force « cultiver leur différence », et de l’État moderne appliquant les innovations techniques et ne repoussant pas les idées originales, ce qui irrite les réactionnaires. 

Le budget est maintenu en équilibre et la balance commerciale idéalement excédentaire, du moins en période de paix : c’est un héritage de Colbert. C’est ce qu’Antonio de Oliveira Salazar, à mi-chemin du populisme et du despotisme éclairé au XXe siècle, appelait « une politique nationale de vérité » : on règle ses dépenses sur ses recettes et l’on gère l’État comme le bon père de famille le fait (en principe) de son ménage. 

Le menu peuple est protégé des fantaisies des nobles et du clergé ; il devient leur égal face à la Justice. En revanche, il doit travailler, obéir aux lois et fournir toujours plus de soldats et de marins, sans grogner et, si possible, avec enthousiasme. La promotion sociale des sujets de haute valeur est assurée : ce type de gouvernement modère les conséquences de la stratification en castes (liées à la naissance) et en classes (liées au niveau de fortune). De ce fait, il instaure un certain degré de méritocratie, du moins pour ceux qui se plient en tous points au monarque, qui, pour se vouloir éclairé par les lumières de la raison, n’en reste pas moins un despote ombrageux. 

À la suite de Frédéric II, on a voulu définir ce régime par une phrase lapidaire autant que cynique : « Tout pour le peuple. Rien par le peuple » (et Mussolini l’a reprise à son compte). En réalité, la formulation exacte serait : « Tout pour l’État », le monarque en étant le premier serviteur. Hegel l’a fort bien compris et en a formulé la théorie, vers 1820. Dans le despotisme éclairé, le souverain veut améliorer les conditions de vie de la majorité de ses sujets (idéalement, celle de tous), mais il ne demande nullement l’avis du peuple. Tout au plus, les élites sont-elles consultées de loin en loin, lorsque le monarque le décide. 

L’armée n’intervient que pour défendre les frontières ou agrandir le territoire national : le despotisme éclairé n’a rien d’une dictature militaire. Même en Prusse, il existe beaucoup plus de fonctionnaires civils que d’officiers. 

Dans tous les cas, le despote éclairé ne sort pas du cadre de l’autocratie, de la monarchie absolue. De ce fait, les réformes sont abolies dès qu’au despote succède un monarque faible ou traditionnaliste, trop facilement ému par les jérémiades ou les menaces des grands féodaux et du haut-clergé. Le système ne persiste qu’en Prusse où, un demi-siècle après le Grand Frédéric, Bismarck puis Guillaume II transcendent son œuvre, en y adjoignant une protection sociale, bien avant l’action des réformistes du XXe siècle. 

Le despotisme éclairé est le système qui définit le moins mal le régime franquiste en Espagne qui ne fut pas une dictature populiste, ainsi que les expériences de divers Caudillos latino-américains durant le XIXe siècle : Simon Bolivar dans la fugace Grande-Colombie, Gabriel Moreno en Équateur, José Rodriguez de Francia au Paraguay, ou, au Mexique, le moderniste Porfirio Diaz, renversé par le Juif richissime et socialiste, vaniteux et entouré d’affairistes, Francisco Madero, associé puis ennemi de l’Indien raciste et sanguinaire Emiliano Zapata, qui rêvait d’en revenir au mode de vie paléolithique des chasseurs-cueilleurs, ou encore la tentative du dernier Shah d’Iran, Mohamed Reza, de moderniser son État et sa Nation, en dépit d’un fanatisme religieux omniprésent et qui réussit à balayer son régime. 

Les dictateurs « fous de dieu », qui furent si nombreux de la Renaissance du Quattrocento (Jérôme Savonarole) et de l’époque moderne (Oliver Cromwell) jusqu’à nos jours (les chefs d’État de l’islam djihadiste), sont généralement opposés aux riches (de nos jours : les grands capitalistes, les maîtres des multinationales) et aux rhéteurs ineptes des parlements, mais ce sont avant tout des théocrates hallucinés, des fanatiques, nullement des populistes, encore moins des individus éclairés par la raison. S’il leur arrive, inconstamment, d’entreprendre des réformes pour améliorer le sort de leur Nation, ce n’est nullement leur but premier : le triomphe de leur conception de la divinité est l’unique préoccupation de ces fous furieux. 

Les sanglantes dictatures marxistes furent très exactement calquées sur ce fanatisme d’essence religieuse. L’athéisme ne fait rien à l’affaire : les sanguinaires disciples de Marx et d’Engels, qui avaient tous leur herméneutique très personnelle des textes sacrés de l’utopie communiste, voulaient imposer le bonheur sur Terre aux élus, issus d’un prolétariat de fantaisie. L’absurde berquinade dégénéra en génocides, en dantesques règlements de comptes avec les « ennemis de classes » et les « déviationnistes ». L’Inquisition catholique, même celle du marrane Thomas de Torquemada, ne fut qu’amusette comparée aux ignominies des polices politiques de chaque « paradis des travailleurs ». 

À l’opposé, les « révolutionnaires-conservateurs » européens, au XXe siècle, ne furent que des réactionnaires, issus de milieux fortunés et/ou cultivés, haïssant la plèbe et reprochant au IIIe Reich sa politique de fusion des castes et des classes sociales : Oswald Spengler, Ernst Jünger, Ernst von Salomon, Julius Evola n’en finissent pas d’agonir « l’aspect prolétarien et même vulgaire du national-socialisme ». Ce sont des nostalgiques du despotisme éclairé, mais nullement des héritiers de la centralisation jacobine de 1792-94 : le jacobinisme fut, avant tout, la mise en tutelle de l’Éxécutif par le Législatif. 

Le mot d’ordre de ces esthètes a été donné en 1934 par l’un des précieux ridicules de la vie littéraire française, Abel Bonnard : « Une nation peut se sauver sans le secours d’un grand homme, elle ne le peut sans l’existence d’une élite ». C’est une phrase entièrement démentie par l’histoire des civilisations : tout système stable voit fleurir une élite d’administrateurs et de cadres, de scientifiques et de techniciens… quant à savoir si les purs intellectuels sont utiles à la Nation et à l’État, c’est une question qui risque de tourner à l’aporie. 

Au XXe siècle, en Ibérie et en Amérique latine, les néo-despotes militaires se sont limités à réprimer l’agit-prop. communiste, de façon d’ailleurs bien moins brutale que n’auraient agi les
marxistes s’ils étaient parvenus au Pouvoir. L’opinion publique, désinformée par des clowns fort malhonnêtes, en a fait des monstres, alors qu’ils sont parvenus à éviter à leurs peuples la barbarie marxiste 

D’une manière générale, les nombreuses dictatures antimarxistes du XXe siècle, dites contre-révolutionnaires, comme celle des colonels grecs durant les années 1970 ou celle des généraux et amiraux chiliens ayant mis fin au règne chaotique du fou furieux Salvator Allende, elles n’eurent rien de « populiste », étant l’expression de l’omnipotence du capitalisme cosmopolite, soutenu par la puissance de l’US-Army et de la ribambelle des services secrets des USA.

Deuxième partie : les despotes éclairés de la « Synarchie d’Empire » 

« La liberté doit céder le pas à l’efficacité » 

Jean Berthelot, secrétaire d’État aux Transports, 1940

Jamais les chefs d’entreprise, les hauts-fonctionnaires et les économistes de l’entourage de l’amiral de la Flotte François Darlan n’ont revendiqué cette appellation de synarques, venue des élucubrations d’un occultiste du XIXe siècle, relayées par divers journalistes parisiens, acquis à la collaboration intégrale avec le National-Socialisme antimarxiste. 

En 1886, l’obscur fonctionnaire du ministère de l’Intérieur Alexandre Saint-Yves (devenu marquis d’Alveydre par l’achat d’un titre en Italie) publie Mission de l’Inde en Europe…, où il décrit une oligarchie bienfaisante d’initiés à la « synarchie », conseillant discrètement les gouvernants d’Europe. Dans cette fantasmagorie, la « direction du monde » est le fait des « supérieurs inconnus », réfléchissant aux problèmes planétaires dans les vastes souterrains de l’Agarttha, quelque part dans l’Himalaya. Ces divagations connaissent une flambée de popularité chez les Fabian(s) de Grande-Bretagne avant la Grande Guerre, puis dans certains milieux parisiens et berlinois, durant les années 1920, où on les épice de projets de réformes sociales et de corporatisme. 

À la fin de l’hiver 1940-41, Ernst Achenbach de l’ambassade du Reich à Paris, opposé à l’entourage du maréchal Pétain qui s’est débarrassé de Pierre Laval en décembre 1940, mais également opposé à l’entourage de l’amiral Darlan, lance les rumeurs sur une « synarchie » de banquiers et d’affairistes, regroupés autour de la direction de la banque Worms, parce que quelques ex-employés de cette banque jouent un rôle dans les cabinets ministériels à Vichy. Ils sont accusés à la fois d’anglophilie, de germanophobie et d’état d’esprit ultraréactionnaire. 

La presse parisienne germanophile fait chorus et les ex-membres de l’OSAR (plus connue en 1937-38 sous le sobriquet journalistique de « La Cagoule ») dénoncent le « Mouvement synarchiste d’Empire », qu’ils présentent comme un « complot judéo-ploutocrate » ou un « complot national-capitaliste » (l’expression est de l’ex-néo-socialiste Marcel Déat, reconverti dans le National-Socialisme).
Depuis 1922, soit après l’échec de la tentative d’Alexandre Millerand d’imposer une République présidentielle sur le modèle des USA (dont rêvait le général Georges Boulanger, un demi-siècle plus tôt, et que réalisera le général de Gaulle), existe un groupement informel d’hommes issus pour la plupart de l’École Polytechnique et animé par Jean Coutrot (suicidé en mai 1941) puis par Jacques Barnaud, où l’on réfléchit à la nécessaire modernisation de l’économie et des institutions de la France, dans une optique de « Révolution par le haut », ce qui définit le despotisme éclairé. 
Ces profonds penseurs estiment que ce système devrait être appliqué à l’ensemble des Nations européennes, dont les chefs seraient obligatoirement des technocrates. Ces élites, dépourvues d’idées racistes, pensent que les politiciens, autant que leurs veules électeurs, sont idiots, sectaires, amorphes et trop souvent corrompus. Qui étudie la IIIe République, de 1929 (l’année du retrait de Raymond Poincaré pour cause de maladie) à la raclée militaire du printemps de1940, peut difficilement leur donner tort.
C’est une conception continentale du progrès social et technique, couplée au mépris du capitalisme de spéculation, sans la moindre connotation raciste : c’est la reprise des postulats fondamentaux du traditionnel national-socialisme à la française, défini à la fin du XIXe siècle, singulièrement par Maurice Barrès, mais aussi par Charles Maurras, à ses débuts de journaliste politique. 

Au début de 1941, Jacques Benoist-Méchin met l’équipe de Barnaud (François Lehideux, le gendre de Louis Renault, les frères Jacques et Gabriel Le Roy Ladurie, Pierre Pucheu, Pierre Marion) en relations avec l’ambassadeur du Reich, Otto Abetz, qui reçoit Darlan à Paris juste avant que celui-ci ne modifie son gouvernement, le 25 février 1941. 

Le nouveau ministère Darlan est composé de techniciens de l’industrie et des finances, auxquels s’oppose le très réactionnaire général Maxime Weygand. Le très pragmatique Pierre Laval, revenu aux apparences du Pouvoir en avril 1942, conservera quelques-uns de ces spécialistes qui tentent de réformer le pays, au plus mauvais moment. 

L’équipe de technocrates qui forment l’ossature du 2e gouvernement Darlan impose le projet de Plan de développement en 1941-43, avec sa délégation générale : le projet sera repris à la libération. En 1929, ‘’Staline’’ avait lancé le 1er Plan quinquennal pour renforcer l’artillerie, l’aviation et les forces blindées de l’Armée Rouge. En 1933, le Reich a lancé son plan pour lutter contre le chômage, puis, en 1936, son Plan de 4 Ans pour diminuer les importations de matières stratégiques en cas de guerre.

L’idée de Plan d’équipement et d’infrastructures a été développée en décembre 1933 par le socialiste Henri de Man en Belgique et, en 1934, par l’un des chefs non marxistes de la CGT française : René Belin… et repoussé avec mépris par sa suffisance Léon Blum en 1936. Devenu ministre de la Production industrielle, fin juin 1940, Belin choisit Jacques Barnaud comme chef de cabinet. Ce dernier devient en 1941 le personnage-clé de la Délégation économique française auprès de l’Occupant. 

De la même façon, les technocrates, stimulés par le maréchal Pétain, créent en novembre 1941 la Fondation Carrel pour l’étude des problèmes humains, qui deviendra ensuite l’INED (Institut National d’Études Démographiques). On crée le Service National de la Statistique avec son école, ainsi qu’un un service de sondages d’opinion, l’Institut de la Conjoncture Économique, calqué sur celui très performant de Berlin. 

Avec une quarantaine d’années d’avance sur les politiciens à venir, les hommes de Darlan veulent décentraliser et régionaliser les administrations. La Loi du 19 avril 1941 sera reprise, pour nombre de détails et son esprit, en 1982, mais l’institution des préfets de région, mise en place le 19 avril 1941, est reprise dès janvier 1948 par le corps des préfets Igame. On unifie les polices et l’on crée une école nationale (décret du 23 avril 1941). Le statut des fonctionnaires civils, du 14 septembre 1941, sera repris par les IVe et Ve Républiques. Les octrois sont supprimés en 1943. On unifie, en 1942, les transports de Paris et de la grande banlieue. 

On crée un enseignement technique agricole et on repousse à 14 ans, au lieu de 12, la fin des études obligatoires. Les traitements des instituteurs sont augmentés à partir de 1942 et désormais, le baccalauréat est exigé pour devenir enseignant du primaire… tant pis pour la légende noire qui fait du « régime de Vichy » l’ennemi juré du corps des instituteurs ! On accroît la part d’éducation sportive des programmes scolaires du primaire et du secondaire. Tous les élèves, en fin de scolarité, doivent passer de 6 à 9 mois en Chantiers de Jeunesse pour se familiariser avec le travail manuel et la vie en groupe… les cadres de ces Chantiers, tant décriés, passeront pour une écrasante majorité dans les maquis, comme le feront massivement les Compagnons de France, un mouvement scout à vocation sociale, dissous en janvier 1944 par l’Occupant.
Assimiler le groupe hétérogène des fidèles du maréchal à des « collaborateurs » est littéralement se moquer du monde. Ce sont les journalistes, les politiciens de Paris et quelques technocrates qui sont attirés par le Reich, beaucoup moins par esprit de lucre que par l’effet de leur anticommunisme, une fois lancée Barbarossa, le 22 juin 1941, et par admiration des lois sociales, des réalisations économiques et techniques du Reich. 

Dans l’ensemble, les technocrates tentent de dépolitiser la fonction publique et d’en éloigner les sectaires du Grand-Orient. Ils luttent contre la corruption, par le corps des Commissaires du pouvoir, dissous l’automne de 1944, durant lequel les Libérateurs-Épurateurs reprennent la vieille tradition « ripoublicaine » : les politiciens casent les plus nuls de leurs protégés dans le corps des fonctionnaires et la secte maçonnique reprend toute sa vigueur comme ascenseur social pour sous-doués. De la même façon, on abandonne, à la Libération, l’organisation corporatiste de l’agriculture et du négoce des produits alimentaires, pour réintroduire des intermédiaires au comportement de parasites, qui redeviennent les fidèles soutiens des « politiciens de la gamelle ».
Ces technocrates n’étaient nullement des populistes, mais des adeptes du dirigisme d’une Nation par son élite, ce qui est la définition du despotisme éclairé. 



Texte tiré pour l’essentiel de Bernard Plouvier : Le populisme ou la véritable démocratie, 2017

Bernard Plouvier