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dimanche 1 avril 2018

Honneur et Fidélité : Le bataillon de Saint Patrick au service du Mexique

Auran Derien ♦
Universitaire.


Si les Irlandais fêtent la Saint Patrick le 17 mars, ils sont accompagnés, à travers le monde, par les hommages qu’ont mérité les Irlandais en luttant pour de justes causes.

Au Mexique notamment, des Irlandais ont combattu contre les agresseurs lors de la guerre de 1846-1848 qui s’est terminée par l’amputation de la moitié du territoire mexicain au profit de leur voisin du nord, les États-Unis.

Il convenait de rappeler cette geste car ce qui ne s’oublie pas peut renaître.

Invasion  et famine irlandaise

De manière unilatérale, le Texas avait été annexé par les américains du nord, ce qui provoquait des escarmouches permanentes car le Mexique n’avait pas reconnu ce vol. En 1846, les États-Unis décident d’employer la force et envahissent le Mexique. Deux armées se lancent à l’assaut. L’une, entrant par le nord-est, est commandée par le général Taylor. L’autre, par mer, a pour mission de s’emparer du port de Vera Cruz puis de marcher sur la ville de Mexico, comme l’avait fait Cortes. La direction en est assurée par le général Scott.
A la même époque, l’Angleterre génocidait les Irlandais victimes de la famine. Une erreur grossière, de la part des Irlandais, avait été de confier leur vie à la monoculture de la pomme de terre. 
Lorsqu’apparut le mildiou, toutes les récoltes furent détruites et la famine s’installa (1). L’Angleterre ne fit rien pour aider, bien au contraire ; elle expulsait de leurs maisons et de leurs terres tous ceux qui ne pouvaient plus s’acquitter des redevances. A peu près un million d’autochtones moururent de faim, et quasi deux millions s’expatrièrent, tant au Canada qu’aux États-Unis.

Une population arrivait, à laquelle les USA promettait revenu et nationalité si les hommes s’engageaient dans leur armée. Cependant, les Irlandais ainsi que de nombreux autres européens qui abandonnaient leurs pays soumis aux transformations de la révolution industrielle, ainsi qu’à une certaine augmentation de population, comprirent très vite que les financiers qui dirigeaient les USA n’avaient rien à envier, en matière de racisme, d’exploitation et de mauvais traitements de toutes sortes aux Anglais dont ils avaient eu à souffrir en Europe. Ainsi, beaucoup découvrirent qu’ils avaient plus de point commun avec les Mexicains qu’avec les gringos. Ils s’engagèrent tout d’abord dans la légion étrangère mexicaine qui offrait un revenu et des terres une fois le service accompli, puis constituèrent, sous la direction de John O’Reilly le bataillon de Saint Patrick qui comptera jusqu’à deux compagnies, soit 300 hommes.

Trois actions d’éclat : Monterrey – La Angostura – Churubusco

En souvenir des soldats irlandais et de leur chef John Riley

Le bataillon participa avec éclat à la défense de la ville de Monterrey, dans l’État de Nuevo Leon. Puis, le 23 février 1847, il s’illustra lors de la bataille de Angostura au sud de la ville de Saltillo dans l’état voisin de Coahuila. De nombreux soldats du bataillon furent décorés de la croix de guerre et reçurent des promotions. Cependant, comme à chaque bataille dirigée par le général mexicain Santa Anna, celui-ci abandonnait le terrain aux américains. On sait aujourd’hui (2) que Santa Anna était sous l’influence de loges maçonniques et recevait de l’argent pour obéir aux intérêts américains.

Pendant ce temps, fin mars 1847, l’armée du général Scott avait débarqué à Vera Cruz et marchait vers la ville de México. Scott rencontra l’armée de Santa Anna à Cerro Gordo le 18 avril 1847, et ce dernier se retira malgré les faits d’armes du bataillon de Saint Patrick.

L’Ultime bataille à laquelle participeront les Irlandais eut lieu dans les faubourgs de Mexico, à Churubusco. Le bataillon fut divisé en deux groupes, dont l’un dût se replier dans le couvent fortifié. L’attaque des États-Unis se déroula le 20 août 1847 et, dans le couvent, ils se battirent jusqu’à ne plus posséder de munitions. Les soldats du bataillon furent tués ou fait prisonnier, sauf quelques-uns qui se replièrent sur la ville de Mexico qui se rendit le 13 septembre 1847 lorsque le drapeau américain flotta sur le château de Chapultepec.

L’armée de Scott ne fit que 85 prisonniers du bataillon. 72 furent accusés de désertion et 50 furent pendus. Comme le chef O’Reilly, ainsi que d’autres Irlandais et Européens en général avaient quitté l’armée américaine, en faveur des Mexicains, avant le début du conflit, on les marqua au fer rouge d’un D (déserteur) sur la figure ou la hanche.

Après la paix entre les deux pays, les survivants reformeront un groupe militaire au service du Mexique durant un an. Puis ils se dispersèrent. Quelques-uns repartirent pour l’Irlande, la plupart restèrent au Mexique qui leur donna une terre et une modeste pension. Ils se fondirent dans la population. Pour le Mexique, depuis cette époque, il est clair que le bataillon a lutté pour la justice. Certains historiens affirment qu’il y eut quasi 9.000 soldats US qui abandonnèrent l’armée américaine pendant le conflit mais seul le bataillon de Saint Patrick fut sanctionné par des pendaisons.

Les héros ne meurent jamais

Plaque en l’honneur des morts du bataillon de Saint Patrick

Des plaques commémoratives marquent le souvenir de ces héros. Dans la ville de Mexico, elles se trouvent dans le quartier de San Angel où se déroula une première série de pendaisons, au couvent de Churubusco ainsi qu’au palais où se tient l’assemblée législative. Des rues portent leur nom et une ville côtière se nomme San Patricio dans l’État de Jalisco. En 1999, un film fut tourné par Hollywood sur le bataillon ( one man’s heros ). Le gouvernement mexicain a aussi offert une statue au peuple d’Irlande, en reconnaissance pour le courage, l’honneur et le sacrifice qui caractérisa le bataillon de Saint Patrick. La statue est érigée à Clifden, village natal de O’Reilly, et chaque année le 12 septembre le drapeau mexicai est hissé.

L’écrivain mexicain Carlos Fuentes, décédé en 2012, avait fait allusion à cette guerre d’agression  en 1997 à Madrid. On lui laissera le dernier mot : «Il y a 150 ans, les États-Unis entraient à Mexico et occupaient la moitié de notre territoire. Aujourd’hui, Mexico et d’autres pays d’Amérique latine pénètrent de manière pacifique au sud des États-Unis et arrivent jusqu’au nord, jusqu’à Chicago et les grands lacs. La reconquête silencieuse est un phénomène enrichissant qui changera tant les USA que l’Amérique latine et contribuera à rappeler à l’Amérique anglo-saxonne l’existence d’autres cultures et à la libérer de son provincialisme tout-puissant».

(1) Il est conseillé de lire sur ce sujet le roman de Liam O´Flaherty : Famine.
(2) Lire en particulier, l’œuvre de Salvador Borrego : America peligra. Première édition, Mexico, 1964, puis nombreuses rééditions.

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