Par Philippe DELBAUVRE
Une réponse sur facebook à un thuriféraire du capitalisme qui considère que la politique économique de la présidence sarközyste ne fut pas assez capitaliste... Son identité a été masquée et n'apparaît dans le texte que sous la forme (***).
Si j’ai commencé dans ma longue réponse en précisant
que ce qui pouvait être écrit sur ce fil n’aurait pas de répercussions
nationales, c’était en vue, sachant votre caractère connu suite à la lecture de
nombre de vos messages, de dépassionner le débat. Vous n’avez pas compris et
avez sombré dans la subjectivité et l’idéologie, conformément à votre caractère
impulsif. Plus grave, le relatif anonymat, puisque nos échanges n’auront pas de
publicité nationale, vous conduit à ne pas vous modérer, vous l’écrivez vous
même. Pas difficile de constater qu’avec un tel état d’esprit, l’Etat est pour
vous nécessaire afin que vous soyez le plus souvent surveillé, de façon à ce
que vous ne vous laissiez aller à vos penchants naturels. Voilà qui remet en
cause dès l’origine les faveurs que vous accordez à la loi naturelle :
relisez la critique de la raison pratique.
Vous qualifiez mon long message de « tartines ».
Le terme est bien évidemment péjoratif et subjectif. On en revient à l’absence
d’objectivité qui caractérise une position idéologique dont il sera question
par la suite. Il n’a pas échappé au lectorat le pourquoi de l’utilisation de ce
terme ; vous eussiez du faire silence, cela vous eut évité d’apparaître
comme embarrassé. Quant au refus de répondre en détail au motif de l’emploi du
temps de ministre qui serait celui de (***), il a probablement fait
sourire le lectorat qui n’a pas du s’interroger très longtemps sur le motif de
cette fuite.
Vous écrivez dans une réponse à (identité masquée) que la
France contemporaine est gauchiste : comment voulez vous que le lectorat
prenne au sérieux (***) ? Est-il vraiment nécessaire d’argumenter
sachant que vous-même, vous vous tirez une balle dans le pied aux yeux de tous ?
Vous me rappelez une femme qui se réclamait du bouddhisme et qui de manière
contradictoire disposait d’une conception nietzschéenne de la vie. Je lui
envoyais donc un texte rappelant les fondamentaux de cette sagesse orientale qu’elle
ne trouva pas « rigolo » (je cite). S’il est une plaie dans le monde
contemporain c’est par exemple justement ce choix de donner aux mots des sens
qu’ils n’ont pas ; ainsi vous pour le gauchisme, ainsi les gauchistes
(cette fois ci stricto sensu) fustigeant un fascisme sarkozyste qui, bien
entendu, n’existe pas. Et « gauchisme » et « fascisme » ne
sont pas ici utilisés de façon objective : bêtise des uns et des autres…
Vous avez écrit que le capitalisme n’était pas une
idéologie alors que le communisme l’était. Vous omettez que vous vous présentez
comme zélateur du capitalisme et que vous êtes vous-même idéologue : j’y
reviendrai. On peut appeler idéologie une doctrine qui fait la part belle aux
idées et ce quelles que soient leurs conséquences sur le réel. Rappelons que
philosophiquement, ce n’est pas le matérialisme mais le réalisme qui s’oppose à
l’idéalisme.
Vous trouvez moyen de disposer d’une double
inspiration politique : d’une part le gauchisme et de l’autre le
communisme. Je vais développer par la suite.
Votre perception de mai 68 est celle qui prévalait à
l’époque dans les milieux gouvernementaux ; c’était de bonne guerre et l’on
peut comprendre le pouvoir de l’époque d’avoir cherché à susciter la peur en
raison d’un coup d’état à venir issu des rangs communistes. La manœuvre a assez
bien fonctionné et même les classes moyennes inférieures ont suivi. Vous nous
voyez surpris, vous qui vous réclamez de la jeunesse et du refus de la sénilité,
de continuer à interpréter ce que l’on a coutume d’appeler les événements de
mai, à l’aide d’une théorie construite ex nihilo à des fins politiciennes et
qui de surcroît a bientôt trente cinq ans, ce qui ne vous rajeunit pas. Cela d’autant
plus que depuis cette époque, de nombreuses études ont été publiées qui
renouvellent considérablement l’idée que l’on se faisait à l’origine du
phénomène. Aujourd’hui, on considère que mai 68 constitue un des fondements de
notre postmodernité nationale qui ne verra vraiment le jour que dans le cadre
de la seconde partie des années soixante dix. On sait la détestation du
gaullisme chez les manifestants de 68 ; on minimise la haine que portaient
ces mêmes hommes au Pcf. Rien de bien surprenant puisque les deux structures
étaient paternalistes, dirigistes, autoritaires. De surcroît, ces deux
mouvements trouvaient leur légitimité suite à la libération, période bien
lointaine pour un manifestant de 68. C’est donc une opposition à l’autorité
dont le corollaire en matière d’économie n’est autre que le capitalisme qui se
fait jour à l’époque. Peut-on imaginer d’ailleurs dans un pays communiste en
1968 la libre utilisation des stupéfiants ? Peut-on imaginer de même une
opposition au service militaire ou une apologie de l’antimilitarisme telles qu’elles
existèrent chez les soixante-huitards ? A quoi fait référence l’autogestion
si ce n’est au refus de l’Etat à une époque une le secteur nationalisé dispose
encore d’autant d’importance ? Et certains de mal comprendre la
trajectoire effectuée depuis 68 des acteurs de l’époque. Ce n’est pas pourtant
bien difficile à élucider… Dans les faits, le gauchisme des années soixante ne
pouvait conduire qu’au libertarisme des décennies à venir. Je me souviens d’une
expression issue de la pensée de l’époque : « Veuillez laisser l’Etat
dans les wc où vous l’avez trouvé en entrant » ; après avoir lu la
prose de (***), on ne doute pas qu’il eut signé la phrase, lui qui
fustige la mainmise de l’Etat aujourd’hui alors qu’il était beaucoup plus
massif à l’époque. Le subjectivisme de (***) se trouvait déjà contenu
dans les interprétations toutes personnelles que faisaient les gauchistes d’alors
des écrits communistes, au grand dam des orthodoxes marxistes pour qui la
doctrine du grand Karl est unique parce que scientifique et n’a donc nullement
besoin d’être interprétée.
La parenté entre capitalisme et communisme est, si l’on
veut s’y consacrer, flagrante même si de prime abord elle apparaît paradoxale.
Je ne prétends nullement être exhaustif puisque la problématique mériterait un –
gros – ouvrage.
N’oublions pas d’abord que Karl Marx n’avait de
cesse de répéter que le communisme était – tout comme le capitalisme – un économisme.
Il n’est qu’à lire « Le capital » pour ceux qui viendraient à douter.
Aussi bien Karl Marx que les penseurs capitalistes réifient l’homme en l’étudiant
majoritairement comme agent économique. Bien évidemment, cette prise de
position intellectuelle traduit une rupture dans la pensée européenne :
que l’on se souvienne de Socrate indifférent aux marchandises exposées devant
lui dans un marché, d’Aristote fustigeant la rémunération des prêts, des
inquiétudes aussi bien de Saint Augustin que de Saint Thomas d’Aquin. Ne
constate t-on pas aujourd’hui une omniprésence de l’économie dans les media,
cela justement aux dépens de la pensée qui n’a probablement jamais été aussi
pauvre ? Ne qualifions t-on pas la pensée actuelle de pensée molle (je
cite) tout en s’en vantant ?
Si le communisme a incarné la fin d’une certaine
forme de pensée souveraine (n’oublions pas que pour Marx le temps n’était plus
à la pensée mais à l’action), on ne doit pas oublier que cette théorie est
issue de la matrice du capitalisme. En effet, quand bien même les idées de Marx
pouvaient sembler intéressantes à certains intellectuels de l’époque, cela n’explique
pas son succès auprès des masses. Il va de soi que si le capitalisme n’avait
pas au XIX ème siècle commit tant d’infamies poussant au travail infantil ou
aux salaires de misère, le communisme n’eut pas bénéficié du même succès :
l’un a engendré l’autre et on retrouve le lien.
Je me souviens qu’il y a une trentaine d’années j’avais
parce anticommuniste, cela en raison de l’existence du pacte de Varsovie,
placardé une carte du monde dont j’avais feutré en rouge les pays communistes ;
le résultat était assez inquiétant au milieu des années quatre-vingt. On sait
que le communisme avait une vocation planétaire et se trouvait, par conséquent,
être impérialiste. On constate que, malgré la disparition du communisme, le
capitalisme, que cela soit par l’intermédiaire des armes ou économiquement,
fait de même. Rien de bien surprenant : pourquoi un entrepreneur s’arrêterait-il
à l’échelle départementale alors que le segment national l’attend ? Et
pourquoi s’arrêtait-il à l’échelle nationale ? Le capitalisme a donc
naturellement une vocation totalisante. Cela est-il si surprenant sachant que
chaque acteur à vocation à faire disparaître la concurrence ? Pratiqué à l’échelle
planétaire, le capitalisme tendrait à devenir monolithique : point de
différences avec le communisme au final. Il n’est qu’à voir la façon avec
laquelle les vendeurs traitent leurs producteurs pour imaginer le destin dans
un univers exclusivement capitaliste donc en situation finale de monopole.
Toujours au sujet des années quatre-vingt, je me
souviens des discussions avec des militants communistes. A bout d’arguments permettant
d’expliquer l’échec des pays frappés de l’étoile rouge, ils finissaient
toujours par me ressortir alors la même idée : les pays communistes ont
échoué parce qu’ils n’étaient pas communistes ou ne l’étaient pas assez :
voilà un raisonnement que l’on trouve aussi chez les capitalistes tel Mitt
Rooney fustigeant le socialisme d’Obama ou tels des doctrinaires libéraux nous
expliquant que la présidence de Sarkozy n’est pas allé assez suffisamment loin
dans la libéralisation ; c’est le point de vue de (***) ; les
communistes utilisent la même corde…
Il y a chez Karl Marx une idée de loi naturelle à
laquelle fait d’ailleurs référence (***). Cette idée qu’à l’état de
nature le capitalisme se fait naturellement jour. L’idée existait déjà chez
Karl Marx et était dénommée communisme primitif. Que cela soit vrai ou non, on
constate que dans chacun des deux cas tous les apports de la civilisation sont
niés au profit de la défense de l’idéologie des uns et des autres.
Les communistes voient fascistes et capitalistes
partout. Notre personnalité fait de même avec socialistes et communistes. Avec
comme point commun dans les deux cas que les personnes incriminées n’existent le
plus souvent pas.
Le communiste n’a pas de nationalité ; le
capitaliste non plus puisqu’il est mu par son intérêt personnel que cela soit
favorable ou non à son pays d’origine.
Sthakanov, héros communiste ou capitaliste ? De
manière plus générale, le productivisme, théorie communiste ou capitaliste ?
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de mettre un
signe d’égalité entre communisme et capitalisme, puisque les deux structures sont
distinctes. Pour autant, ce qui me semblait intéressant était de montrer que le
capitalisme n’était pas l’exact opposé du communisme comme on a tendance à nous
le faire accroire ; il existe trop de points de convergence susnommés pour
qu’on cesse de vanter le libéralisme comme juste milieu entre
national-socialisme et communisme, nous plaçant ainsi devant la résignation,
condamné que nous serions à accepter les fondements de la société contemporaine
ainsi que ses développements. Si l’Union Soviétique communiste et les Etats
Unis capitalistes fustigèrent après guerre le national-socialisme, force est de
constater que document à l’appui, ils furent nombreux les cadres ss à être
recyclés dans un camp comme dans l’autre. Des usines d’armement allemand qui
construisaient donc du matériel permettant de tuer des soldats américains ne
furent jamais bombardées durant toute la seconde guerre mondiale parce que
justement elles fonctionnaient avec des capitaux américains ; ainsi que le
faisait justement remarquer Karl Marx, la morale de l’économie politique
consiste à faire l’économie de la morale. Et en matière d’absence de morale, il
est bon de rappeler la faillite du communisme sachant que pour cette idéologie
l’idée même de morale est bourgeoise et que, en vertu de la prose hegelienne
caricaturée, l’histoire trace son sillon, indifférente du nombre de morts
présents en son sein.
Pour un Français d’aujourd’hui, fidèle aux idéaux
gréco-romain, ni le communisme, ni le capitalisme ne peuvent être des ambitions
légitimes. Ne peut satisfaire aux exigences éthiques que la modération des
anciens, sublimée par la quête du Vrai, du Bien, du Beau.