Le malaise français
C’est au moment où les signes d’une
renaissance de la « droite » se manifestent de plus en plus
ostensiblement, et donc qu'apparaît de plus en plus tangible
l’éventualité d’une inversion du cours des choses politiques, pour la
première fois depuis les années 60, dans le champ politicien, mais aussi
dans cette terre désertée depuis très longtemps par les faiseurs
d’opinion conservateurs, les questions sociétales, religieuses,
civilisationnelles, que le doute, la méfiance et la prudence s’imposent
le plus. Un 68 à l’envers, vraiment ?
Il ne s’agit pas de juger
les bonnes intentions des manifestants « pour tous », des défenseurs
véhéments de l’ « identité française », de ses « traditions », des
contempteurs du « totalitarisme » islamiste et de tous ceux qui pensent
transformer la réalité par le militantisme, les élections ou toutes
autres formes d’interventions qui étaient, il y a peu, le monopole de la
gauche. L’ironie de l’histoire, avec ou sans majuscule, c’est que la
« droite », c’est-à-dire les partisans des valeurs traditionnelles, se
décident enfin à pratiquer l’agit prop., à organiser des manifestations
bruyantes, et donc à abandonner la posture digne et discrète de la
majorité silencieuse, à publier force brûlots, qui se vendent très bien,
à toucher même les classes populaires, au moment où, non seulement, il
n’y a plus ni droite ni gauche, mais il n’est pas sûr non plus qu’il y
ait encore des traditions, ni même que la nation représente encore autre
chose, pour nos compatriotes, qu’une sorte de syndicat susceptible de
leur octroyer une protection minimum contre l’agressivité du libéralisme
mondialiste, ce qui ne manquerait pas, du reste, d’un sens certain du
discernement. Au fond, la France n’a-t-elle jamais été qu’un contrat,
par le truchement de l’Etat, entre membres égaux, dont la Révolution de
1789 ne fit que sacraliser une existence longtemps virtuelle ?
Notre
nation a le privilège, glorieux ou douteux, d’avoir fait peser sur la
conscience des Français, sinon même leur cœur, un destin universel. Des
Croisades à la Révolution, de la Foi à la Liberté, notre peuple a cru
porter la flamme des vertus antiques et modernes. La France n’est pas
seulement une synthèse entre ethnies variées, elle est aussi une
conjonction historique, la coïncidence en un point géographique des
forces du passé et de l’avenir. De là notre orgueil, et parfois notre
générosité, notre fatuité et notre bêtise idéologique. Seuls, dans les
temps modernes, la Russie et les Etats-Unis ont accédé à cette lubie, à
la longue, destructrice. Au fond, l’Empire romain est mort de s’être
trop dilaté, et d’avoir héroïquement défendu, derrière son limes, les
trésors de la « civilisation ».
De là notre souffrance. Il est
plus aisé d’être suédois, et de parler, sans barguigner, l’anglais comme
une langue maternelle. Seuls ceux qui devinent encore, par-delà la
médiocrité ambiante et l’avilissement inéluctable de notre vie
politique, ce qu’a pu être la grandeur, à l’époque romane, durant le
Grand Siècle, à l’ombre des armées napoléonienne, ou même dans les
tranchées sanglantes de la boucherie héroïque de 14-18, peuvent
éprouver, en plus du désespoir que suscite la vision des ruines
actuelles, un sentiment profond de honte mêlé de nostalgie. Il n’y a
guère que les amnésiques, les sots ou les libéraux pour se satisfaire
d’une indifférence plate et minable. Est français celui qui se sent en
deuil.
Toutefois, la politique ressemble quelque peu à cet
apologue bouddhiste, qui présente un aveugle-né tâtant pour la première
fois un éléphant, et prétendant, à mesure qu’il en parcourt le corps,
qu’il est soit une corde, soit un arbre, soit un mur épais… Tout n’y est
que perceptions multisensorielles, évanescentes, kaléidoscopiques, et
délires d’opinions. C'est le règne de l’affectivité, de la subjectivité,
de la relativité et de l’erreur, si la raison ne corrige pas les
distorsions de l’image. Comme Pascal l’écrivait, c’est le triomphe de
l’imagination.
De l’imagination, donc de la tromperie.
On
pourrait s’arrêter sur les astuces et stratagèmes ficelés par les vieux
routiers de la politique, leurs clins d’œil, leurs phrases
microscopiques, leurs petits-grands appels à l’opinion, leurs cris
vertueux, leur jeu enfin de tartufards enfarinés, histrions des plateaux
et des estrades, auteurs de scenari aussi apprêtés et attendus que les
vieilles farces et la quincaillerie hollywoodienne. Dans voxnr, les
dangers d’une alliance avec ces goupils ont maintes fois été soulignés,
et il est inutile d’y revenir. Disons brièvement que des libéraux
mondialistes comme eux, et c’est la même situation à gauche, ont autant
de rapport avec les « valeurs », qu’un poisson avec les sommets de
l’Himalaya.
J’ai bien conscience de l’impuissance de la parole.
Déjà, Cassandre… Du reste, l’action présente beaucoup plus de charme et
de vertiges que la prudence et la patience, ou encore plus sûrement que
l’abstention. Certains de mes amis considèrent même l’action comme une
voie, quelle qu’en soit l’efficience. Non seulement parce qu’il n’est
pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, et c’est sans doute là une
éthique héroïque et admirable, mais parce qu’aussi, en soi, l’action est
une manière de prier, d’entrer en harmonie avec les forces supra
humaines, l’énergie intemporelle qui régit l’univers et le fait se
mouvoir. L’action peut donc être contemplation, à sa façon.
Cela
est bel et bon, à condition de le savoir. Il n’est pas sûr que l’on
agisse vraiment. Il est même certain que l’on réagit plutôt, ce qui est
une manière comme une autre d’être régi, dirigé par les événements et la
logique du monde. Or, ce monde est maintenant profondément libéral,
libertaire-libéral, narcissique, matérialiste, hallucinogène et
déréalisé. Il est un jeu de miroirs déformants renvoyant à l’infini des
simulacres d’eux-mêmes, c’est-à-dire de vides en perspective, comme à la
fin de La Dame de Shanghai, d’Orson Welles. Et l’on sait que ce chef
d’œuvre ne se termine pas par un happy end. Autrement dit, il faut se
demander si les objectifs poursuivis par les actions politiques menées
ne relèvent pas profondément, et sournoisement, d’une dialectique
finalement libérale. Au fond, libertariens et évangélistes américains,
chez lesquels certains leaders « conservateurs » de la droite française
vont chercher conseils et subsides, nous ont habitués à une rhétorique
des valeurs qui se concilie très bien avec le marché et le mondialisme.
Regardons l’Amérique, et voyons-y notre avenir. Il n’est pas si nocif
pour le système qu’il existe encore des suprématistes blancs, des
adversaires de l’IVG, des chrétiens aussi fanatiques que les salafistes,
des puritains et des donneurs de leçons, au même titre que des rapeurs,
des identitaires blacks, des végétariens, des homos militants, des
brûleurs de drapeau national, ou des ermites.
Et le danger est
sans doute plus grand que ce défaut de perspective porteur de duperies
et de déceptions, de mensonges et de ridicules, lorsque la politique
sombre dans la boue de l’infra humain. Là aussi, sur voxnr, nous avons
eu le triste privilège de disserter sur l’ânerie crapularde et
misérablement populacière de sites comme fdesouche, Riposte laïque, et
bien d’autres, qui font leurs courses dans les égouts où se déversent
faits divers, sexe, violence, saouleries, vomis et crachats, du Zola pur
jus, à croire qu’ils y reconnaissent leur propre portrait, et s’y
vautrent avec une délectation de cochons imbibés de pinard. On ne
saurait seulement lire cette prose de dernier homme sans en être
soi-même souillé et avili.
Sans attendre forcément la fin du kali
yuga, ce qui risque de prendre encore quelques dizaines de milliers
d’années, pour le moins, et ne rejetant pas l’idée suprêmement
esthétique de mourir sur une barricade ou attaché à un poteau
d’exécution (mais soyons modeste !), je m’en tiens aux leçons d’une
sagesse profonde de mes maîtres René Guénon et Julius Evola, que mon ami
Alexandre Douguine a l’honneur, comme moi, de suivre. Aussi m’en
tiens-je à ces principes : il existe des races de l’âme et de l’esprit,
et tout ce qui a un rapport avec la notion de races biologiques n’est
que la manifestation d’une involution et d’une décadence qui portent les
hommes vers le bas. Les civilisations, si elles sont différentes, ne
sont pas à évaluer hiérarchiquement. Le problème immigré, qui a miné,
avec d’autres facteurs dont il faudrait peut-être parfois rappeler
l’existence, comme tout ce qui est relié au mouvement des Lumières, et
même beaucoup plus loin, bref, à l’Occident, n’est qu’une manifestation,
parmi d’autres, de la liquéfaction sociétale de notre civilisation.
L’immigré, quoi que puissent en penser certains, ressemblent plus, par
ses aspirations et son mode d’existence, à un souchien américanisé, qu’à
un être de sa propre communauté, mais impliqué dans un rapport sérieux
et profond avec la Tradition. Il existe, comme je l’ai plusieurs fois
répété, plus de ressemblance entre un Français pieux et un grillot
malien qu’entre le premier et un bouffeur de hamburger blond aux yeux
bleus, fanatique de films américains pour ados et de sous musique
décadente. La substitution de populations s’effectue peut-être
horizontalement, par une immigration massive, qui a moins à voir avec
une conquista islamiste qu’avec le désir tout humain de mieux bouffer,
mais elle s’est produite beaucoup plus sûrement dans le temps, par une
métamorphose profonde du peuple français, par un changement radical de
sa nature, de sa mentalité, de ses habitudes, de ses aspirations, de ses
désirs. Il s’est endormi en juin 40, croyant continuer à être la France
ancestrale, et il s’est réveillé américain, sans trop s’en rendre
compte.
Et c’est la tragédie de l’Occident, ce trou noir qui a
tout avalé, cet abysse de sens, ce malaise invivable beaucoup plus cruel
que la perspective d’un appauvrissement inéluctable. Nous aimerions
arrêter le temps pour nous retrouver, quand nous sommes liés
indéfectiblement à cette fatalité temporelle, ce mouvement vers le
mieux-être, le progrès, le moderne, qui est devenu la chair de notre
chair, l’essence même de l’Occident. Il faudrait nous nier nous-mêmes
pour parvenir à être nous-mêmes. Il faudrait sans doute aussi d’autres
hommes que ceux qui s’agitent actuellement dans ce théâtre d’ombres
peuplant les écrans de télévision. Une autre substitution de population,
en quelque sorte.
Editorial de Voxnr en date du 25 mars