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jeudi 24 septembre 2009

Entretien avec Christian Bouchet




interrogé par Alexandre Latsa


Christian Bouchet bonjour et merci de répondre à mes questions. Tout d’abord, pourriez-vous vous « présenter » de façon synthétique ?


Je suis enseignant de profession et, dans le même temps, je suis aussi journaliste - à la fois sur le net et dans des organes de la presse traditionnelle - ainsi qu’écrivain et éditeur. Comme je ne dédaigne pas non plus le militantisme politique de terrain, je vous laisse imaginer à quel point mes journées sont bien remplies… Je suis de ceux qui disent : « Les 35 heures je suis pour, mais pas tous les jours ! »


Vous avez eu un parcours varié au sein de la « mouvance nationale » française et européenne, comment le résumeriez-vous aujourd’hui avec un peu de recul ?


En réalité, mon parcours n’a pas été si varié que cela. Bien au contraire, j’ai tendance à penser qu’il se caractérise par une grande constance. Je suis entré en politique durant le second semestre 1969. J’avais à l’époque 14 ans et demi. Après un court passage dans les milieux monarchistes, dû à mon origine familiale, je me suis rattaché à un courant que je n’ai jamais quitté depuis : celui du nationalisme-révolutionnaire. Il s’en est suivi presque trente ans d’activisme politique, comme militant d’abord puis comme cadre dirigeant, dans des groupuscules dont le nombre d’adhérents a varié, selon les périodes, entre quelques dizaines et quelques centaines.
Alors que j’ai sacrifié beaucoup de choses à cet engagement groupusculaire, je n’ai jamais réellement cru à ses chances de réussite politique.
On peut donc se demander pourquoi j’ai persisté…
C’est tout simplement parce que si je ne croyais pas à la réussite organisationnelle, j’étais en revanche convaincu – et je le suis toujours – par la justesse des idées et par leur influence possible. Ainsi, je me retrouve assez bien dans cette citation de Gilles Martinet, qui a passé, pour sa part, une partie de sa vie dans des groupuscules de la gauche dure : « Je n’ai jamais cru à l’avenir des petites organisations se situant en marge des grandes formations historiques. Et pourtant, j’ai participé moi-même à la constitution et à la direction de plusieurs de celles-ci. C’est que je croyais que leur existence et que leur combat pouvaient entraîner des changements au sein des grands partis. »
Ce rôle les NR français l’ont joué au sein du mouvement national. En plus de lui fournir quelques cadres de très haut niveau, il ont servi de laboratoire idéologique et de passeurs d’idées. C’est ce qu’a très bien vu Nicolas Lebourg, un universitaire hostile mais honnête, qui, dans sa thèse Les nationalistes-révolutionnaires en mouvements (1962-2002), écrit (p. 704) : « Au sein même du système politique concurrentiel, les groupuscules trouvent leur importance en leur travail de “veilleur” et de fournisseur de concepts et d’éléments discursifs aux structures populistes qui ont, quant à elles, accès à l’espace médiatique. Si on y regarde bien, les nationalistes-révolutionnaires ont donné trois idées au Front national : l’anti-immigration, l’anti-américanisme, l’anti-sionisme, et l’ont ainsi armé lexico-idéologiquement. »
Mais pour jouer ce rôle de formateur de cadres, de laboratoire idéologique et de passeur d’idées, encore faut-il avoir une structure, une presse, des activistes, etc. C’est ce qui a justifié les constructions groupusculaires auxquelles j’ai participé et c’est ce qui justifie toujours mon combat.

Récemment sont apparues, dans la scène politique et au sein des partis, de nouvelles lignes de fractures : atlantisme/continentalisme, sionisme/anti-sionisme, mondialisme/anti-mondialisme, libéralisme/anti-libéralisme, etc. Elles touchent tous les partis politiques y compris la mouvance nationale à un point tel qu’il est difficile de s’y retrouver. Quelles sont pour vous aujourd’hui les principales, et quelles sont celles que vous prônez ?


Ces lignes de fractures sont, du moins pour ce qui est de la mouvance nationale française, beaucoup plus anciennes qu’on ne le croit et on les retrouve déjà clairement dans les années 1950/1960. Il me semble que la situation est la même, à des niveaux différents, pour les autres forces politiques françaises, à l’exclusion sans doute des communistes.
Cela étant, ce qui est sans doute nouveau et plus prometteur, c’est que des recompositions, dans l’immédiat fort timides cependant, se produisent et qu’elles se font en fonction de ces lignes de fracture et non pas en fonction du schéma gauche-droite. C’est ce, qu’en d’autres temps, j’avais défini comme les « nouvelles convergences » et qu’un Thierry Meyssan a très bien décrit en faisant part de sa surprise quand il les a découvertes : « Lorsque j’ai publié L’Effroyable imposture, je m’attendais à des réactions selon le clivage droite-gauche, parce que j’avais toujours vécu avec. Je me suis rendu compte qu’une autre ligne de partage apparaissait, que j’avais des amis et des adversaires dans tous les camps. » A cette occasion, Thierry Meyssan précisait : « Je pense que nous devons tous nous repositionner en fonction de la question principale, celle de la souveraineté des peuples face à l’impérialisme. ». C’est une opinion que je partage et qui contient la réponse à votre question, soit en clair que les lignes de fracture principales se structurent autour de l’opposition continentalisme/atlantisme, anti-sionisme/sionisme, anti-libéralisme/société marchande, etc.


On a souvent l’impression que le FN n’était qu’une bouée pour une grande majorité d’électeurs frustrés, qu’il faisait tout le temps le grand écart (absence de programme économique clair, prises de positions géopolitiques contradictoires, etc..) mais qu’il était maintenu soudé et en position de force par son président, Jean Marie Le Pen. Comment envisagez-vous l’après Le Pen ? Êtes vous gollnischien ou mariniste ?


Je me garderais bien de me définir par rapport à une personne quelconque… Si j’ai fait un choix, et celui-ci est clair et notoire, il a été non pas lié à une sympathie humaine particulière mais à une réflexion idéologique et stratégique sur la nécessité de développer en France un mouvement national populaire et sur la personnalité la plus apte à l’incarner.
Pour me résumer, je reprendrais à mon compte les termes d’une tribune libre d’Alain de Benoist publiée sur le site voxnr.com peu de temps après les dernières législatives : « Le Front national paraît avoir mis du temps à comprendre que la culture de ses électeurs n’était pas forcément la même que celle de ses militants. L’avenir du FN dépendra de sa capacité à comprendre que son “ électorat naturel ” n’est pas le peuple de droite, mais le peuple d’en-bas. L’alternative n’est pas pour lui de s’enfermer dans le bunker des “ purs et durs ” ou, au contraire, de chercher à se “ banaliser ” ou à se “ dédiaboliser ”. L’alternative à laquelle il se trouve confronté aujourd’hui de manière aiguë est toujours la même : vouloir encore incarner la “ droite de la droite ” ou se radicaliser dans la défense des couches populaires pour représenter le peuple de France dans sa diversité. »
Mon combat et celui de mes amis est là : à l’intérieur ou à l’extérieur du FN contribuer a ce qu’il devienne, selon les termes d’Alain de Benoist, « une force de transformation sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au statut social et professionnel précaire et au capital culturel inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus. » Qu’il devienne en clair le véritable « parti du peuple de France ».
Quand je lis dans une déclaration de Marine Le Pen à 20 minutes « Je ne me sens pas à l’aise dans les quartiers bourgeois. Je suis plus à l’aise dans les quartiers populaires », quand je vois le FN axer sa campagne contre l’immigration sur les aspects économiques et sociaux de celle-ci ou organiser une manifestation devant le siège des patrons-voyous de la Fédération nationale de l’industrie hôtelière, quand je vois les excellents résultats obtenus à Hénin-Beaumont, je me dis que si nous n’avons pas encore gagné, il se pourrait bien que nous en prenions le chemin.


L’étiquette souverainiste a-t-elle pour vous un quelconque sens à l’heure de la mondialisation, où l’on assiste dans le monde à une sorte de renaissance des grands espaces en Asie (Chine, Inde), dans le monde musulman (Turquie, union panafricaine), en Eurasie (Russie), en Amérique du sud (Brésil, Venezuela). La France a-t-elle une chance de survivre (démographiquement, culturellement, économiquement) sans l’Europe ?


Si par souverainisme on entend « la France seule » et une politique étrangère d’enfermement obsidional réduite à la défense du pré-carré, ce terme n’a pour moi aucun sens. Il en a en revanche, s’il recouvre une volonté de redonner à la France les moyens d’avoir une politique étrangère et économique indépendante et de pouvoir agir tant pour recréer l’indispensable axe Paris-Berlin-Moscou, que pour structurer une Europe active et indépendante.
Disons, pour résumer à l’extrême, que la politique étrangère que je souhaite à la France correspond mille fois plus à celle que mena Dominique de Villepin qu’à celle que défend Philippe de Villiers.


Paradoxalement alors que l’on assiste à cette renaissance des grands espaces, l’Europe semble incapable d’unité politique, tant les dissensions semblent fortes entre « vieille Europe » (continentale ?) et « nouvelle Europe » (atlantiste ?), comment l’expliquez-vous ?


Sans aucun doute par l’influence et l’action du « parti américain ».


Dans les années 1960, Jean Thiriart parlait des « centaines de petits Quisling » qui agissaient en Europe de l’Ouest. Il y en a maintenant des milliers à l’œuvre en Europe orientale…
De plus, il y en a aussi beaucoup chez nous, et à des postes dirigeants. Il y aurait beaucoup à dire par exemple sur les structures du type French American Foundation – il en existe des similaires dans presque tous les pays – qui sélectionnent parmi les élites locales ceux qu’il faut séduire. Actuellement, en France, ce type de think tanks s’intéresse de très près aux meilleurs jeunes éléments issus des communautés immigrées pour préparer l’avenir et les gagner à la cause du Grand Occident.


La France vient de faire le choix de réintégrer le commandement armé de l’OTAN. Pourtant au même moment, l’administration Sarkozy semble jouer l’adoucissement avec la Russie. En gros Nicolas Sarkozy joue sur les deux tableaux. Dans le même temps, des voix se font entendre (mouvances d’extrême gauche, divers intellectuels gaullistes…) pour que la France intègre l’Organisation de la coopération de Shanghai. Quelle est votre opinion à ce sujet et comment jugez-vous ce grand écart du président Français ?


Il n’est pas exclu que notre président se laisse emporter par une volonté d’exister par lui-même en politique étrangère. Il est suffisamment égocentrique pour le faire et ceci pourrait expliquer cela. Toutefois, il sait que la laisse est courte et ses dissidences sont toujours très contrôlées et balisées…
Pour ce qui est d’une intégration de la France à l’Organisation de la coopération de Shanghai, dans l’état actuel des choses, même si l’idée est sympathique, elle me semble relever de l’utopie.
A l’heure de la crise financière, tout le monde s’accorde à dire, enfin, que « peut être » la globalisation libérale à « échoué », et que le modèle Occidental pour l’humanité n’est peut être pas le « meilleur ». D’après vous d’où viendront les nouveaux modèles civilisationnels et économiques ?
D’où viendront-ils ? Je ne sais. Sans doute seront-ils multiples et adaptés aux zones civilisationnelles. La finance islamique, qu’il est de bon ton de dénoncer dans la mouvance nationale, est sans doute un exemple d’alternative économique intéressante.
Quant à nous, notre courant ne manque pas d’idées. Dans un texte récent intitulé « Le solidarisme comme alternative à la crise », Emmanuel Leroy a proposé une troisième voie économique dont je vous invite à lire le développement ici (http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EkVplZpkEFUySZGCbr.shtml) puisque je ne suis pas de taille à concevoir une argumentation supérieure à la sienne


Vous êtes très présent sur la scène géopolitique et notamment auprès du mouvement Eurasien d’Alexandre Douguine (dont le programme politique généralement peu connu est détaillé sur ce blog). Pouvez nous nous en parler ? Y a-t-il une volonté de la part de nationalistes révolutionnaires comme vous de créer des structures eurasistes en Europe ?


Il existe en Europe occidentale des cercles eurasistes au moins au Portugal, en Italie, en Allemagne et en France. Le site evrazia.info est mis régulièrement à jour dans quatorze langues dont huit sont parlées en Europe de l’Ouest. L’an passé, lors des « Journées de la dissidence » qui regroupent traditionnellement tous les ans, au mois de novembre, les cadres NR européens à Madrid, Dimitri Kutzenov, qui est d’une certaine mesure l’ambassadeur du Mouvement international eurasiste avait fait le voyage de Moscou pour s’entretenir avec nous.
Vous pouvez en conclure qu’il y a bien une volonté d’organiser une nébuleuse eurasiste « à l’Ouest ». Cela étant, nous n’avons pas d’ambitions strictement politiques, nous nous contentons de répandre des idées, de les faire connaître… Parfois avec un succès indéniable : la revue Eurasia, qui a des éditions en langue italienne et française, publie des textes d’universitaires et de géopoliticiens reconnus qui ne craignent pas de s’afficher dans nos colonnes.


Le projet eurasien vous semble-t-il compatible avec le projet paneuropéen de nombre de nationalistes d’Europe ?


Si vous faîtes allusion aux projets du type de ceux élaborés par Guillaume Faye ou par les proches de Pierre Vial, je vous répondrais bien sûr non. Il est d’ailleurs piquant que ceux-ci, qui rêvent à une grande Europe blanche, écrivent eux-mêmes qu’« il est malheureusement possible que l’Eurasie soit un concept plus réaliste dans l’immédiat que celui d’Eurosibérie que nous soutenons. » (Terre et peuple n° 37, 2008.
En revanche, l’eurasisme qu’Alexandre Douguine développe actuellement en Russie, et qui est pour partie redevable à Ernst Niekisch et à Jean Thiriart, est parfaitement compatible avec le paneuropéisme nationaliste-révolutionnaire.
Pour la petite histoire, il semble même être, aux yeux de certains hiérarques du Front national, compatible avec le nationalisme français. Du moins dans l’esprit de Jean-Marie Le Pen qui, lors de la convention d’Arras du FN du 15 mars dernier, a déclaré : « Nous voulons une Europe puissante, indépendante et respectée englobant les nations du continent boréal de Brest à Vladivostok. (…) Cette Europe-là, elle va, comme disait le Général de Gaulle, de l'Atlantique à l'Oural, et même jusqu’à Vladivostok, dessinant l’arc septentrional de nos solidarités culturelles et de nos intérêts communs. (…) Cette Europe enrichie des cultures grecques et latines, magnifiée par le christianisme, sublimée par la Renaissance, cette Europe transmise de génération en génération jusqu’à nous et nos enfants, elle englobe bien sûr l’immense Russie. La France, l’Allemagne, l’Italie, nous avons tous besoin des gigantesques ressources en énergies fossiles de la Sibérie. La Russie, quant à elle, qui est entrée depuis longtemps dans la nuit glaciale de l’hiver démographique, a besoin d’hommes, d’ingénieurs, d’ouvriers, de colons, pour aménager l’espace sibérien et contenir l’expansion démographique naturelle de la Chine. La grande Europe continentale a, incontestablement, la taille critique pour contrebalancer la superpuissance américaine, et contribuer à l’équilibre des forces qui est le meilleur garant de la paix mondiale. »


Pour les Français et les Européens, les grandes inquiétudes du futur sont le plausible leadership économique Chinois et l’explosion démographique des populations musulmanes, notamment à l’intérieur de l’Europe. Comment estimez-vous compatible/incompatible ces deux éléments ?


Je ne suis pas convaincu que telles soient réellement les grandes inquiétudes des Français et des Européens. Du moins des simples citoyens. Il me semble que, selon la classe sociale à laquelle ils appartiennent et en suivant, d’une certain mesure, la pyramide de Maslow, ceux-ci s’inquiètent pour les uns des risques de chômage, de l’insécurité, de leur paupérisation, pour les autres des OGM, du réchauffement climatique, voire de la montée de l’antisémitisme…
S’inquiéter de problèmes géopolitiques ou démographiques n’est pas une attitude commune ni courante.
Cela étant, il faut différencier deux choses : un « péril jaune » tant économique que démographique, qui est réel, et auquel il faut apporter des réponses géopolitiques qui justifient les thèses eurasistes et un éventuel péril démographique musulman qui lui me semble relever d’un problème mal posé.
Vous me parlez en effet de « l’explosion démographique des populations musulmanes, notamment à l’intérieur de l’Europe ». Dois-je en conclure que la seule explosion démographique du tiers-monde qui vous préoccupe soit celle des musulmans ? De même, dois-je conclure que la seule immigration – car tel est le véritable problème – qui vous chagrine soit celle des mahométans ?
Je suis convaincu que non, mais votre question, par sa formulation même, montre que vous avez inconsciemment subis l’influence des lobbies qui nous désignent qui nous devons aimer et qui nous devons haïr.
Maintenant soyons sérieux, qu’il y ait un problème d’explosion démographique dans les pays du tiers-monde, je suis d’accord même s’il faudrait mettre quelques bémols à cette analyse. Qu’il y ait un problème d’immigration en Occident, je le suis aussi.
Mais à mes yeux, tout d’abord, l’ennemi ce n’est pas l’immigré, c’est celui qui le fait venir, c’est ce patronat qui délocalise ainsi à domicile et qui se sert des travailleurs qu’il importe pour maintenir un chômage élevé et donc des salaires bas. Ensuite, il n’y a pas pour moi d’immigration non-européenne qui soit pire ou qui soit meilleure du fait de la religion. Un musulman marocain en tant qu’immigré vaut un tamoul hindouiste ou un ivoirien catholique. Nos amis espagnols qui connaissent une importante immigration de sud-américains catholiques ne font guère de différence en terme de nuisance entre celle-ci et l’immigration maghrébine musulmane… Or, la manœuvre de nos ennemis, de ceux justement qui font venir les immigrés, c’est de nous en désigner certains comme mauvais pour que nous trouvions les autres meilleurs, donc acceptables…


Alain Soral ou vous (entre autres) donnez l’impression de jouer à fond la carte « arabo-musulmane », par exemple vous êtes notamment régulièrement présents dans les manifestations pro Palestiniennes, E&R jouant la carte de la « mixité » bleu-blanc-rouge, etc. Ces « terrains » étaient pourtant jusqu’alors réservés à l’extrême gauche.


Sur les positions d’Alain Soral et de ses partisans, dont je ne suis pas, je peux difficilement vous répondre. La seule chose que je peux vous dire est que mon agenda et le leur sont notablement différents.
En ce qui me concerne, je soutiens effectivement la résistance palestinienne et j’appelle régulièrement ceux qui me suivent à faire de même, y compris en participant à d’éventuelles manifestions ou actions organisées par d’autres que nous. Je suis surpris que cela semble être quelque chose de nouveau à vos yeux, puisque Jean Thiriart, Maurice Bardèche, François Duprat et bien d’autres s’y sont déjà engagés dès le milieu des années 1960, à une époque où l’extrême gauche était bien timide sur ce point. Il faut se rappeler, qu’en France, une des toutes premières associations de solidarité avec la Palestine a été le Rassemblement pour la libération de la Palestine créé en 1967 par François Duprat. De même, il est important d’insister sur le fait que le premier européen tombé dans les rangs de la résistance palestinienne, Roger Coudroy, n’était pas une membre de la gauche radicale, bien au contraire, c’était un des nôtres puisqu’il avait milité à Jeune Europe avant de rejoindre les commando naissants de l’OPL.
A titre tout à fait personnel, j’ajouterais que mon engagement en faveur de la Palestine ne date pas d’hier. En effet, le tout premier article que j’ai donné à la presse nationaliste-révolutionnaire, à la fin des années 1970, fut un article de soutien au FPLP.


Est-ce que ce soutien est tactique ? Est-ce par antiaméricanisme et/ou antisionisme ?


Mon soutien, comme celui de mes amis, est légitimé par deux arguments.
Tout d’abord par une révolte, bien naturelle, contre une injustice faite à tout un peuple à qui on a volé sa terre. Ensuite par un souhait d’être libres chez nous de nos choix de politique extérieure et intérieure.
Je m’explique. La création puis la survie de l’entité sioniste n’a été rendue possible que par le soutien des pays occidentaux. Pour obtenir celui-ci, les sionistes ont du développer des lobbies, plus ou moins importants et plus ou moins actifs, afin de faire pression sur les gouvernements et les hommes politiques. En France, tout particulièrement, ce lobby n’a jamais cessé d’agir afin que notre pays modifie sa politique étrangère, non pas dans notre intérêt mais dans un sens favorable à l’État d’Israël. Par ailleurs, à la fois pour inquiéter les juifs de France et les pousser ainsi à faire leur Alyah, et pour mettre en mauvaise posture notre gouvernement et l’obliger à « faire des gestes positifs », il n’a cessé de crier au loup afin de faire croire à un péril antisémite. Dans cette manœuvre, il a désigné un bouc émissaire particulier, le mouvement national dans son ensemble, quelle que soit d’ailleurs sa position réelle vis-à-vis d’Israël, et ce faisant, il a largement contribué à sa démonisation et à sa marginalisation politique.
Combattre l’entité sioniste et son lobby c’est donc, à mes yeux, revendiquer le droit pour la France d’avoir la politique étrangère qui convient à ses intérêts et pour les Français le droit de voter pour qui ils l’entendent et non pas uniquement pour ceux que le CRIF désigne comme cacher.


Ne serait-il pas préférable d’adopter une ligne « ni keffieh, ni kippa » ?


Alain de Benoist nous a récemment démontré la stupidité d’une telle thèse. Interrogé sur la neutralité dans le conflit palestino-sioniste que suppose cette ligne il a répondu : « Carl Schmitt nous l’a rappelé : s’affirmer neutre, c’est encore prendre position. Quand il y a un agressé et un agresseur, la neutralité d’un tiers profite objectivement à ceux qui agressent. Dominique de Villepin le disait très justement : l’équidistance est impossible à tenir lorsque l’on est en présence d’un conflit asymétrique. Or, c’est précisément ce type de conflits qui se développe aujourd’hui un peu partout. (…) Dans l’idée que ce qui se passe à Gaza « ne nous concerne pas », je vois surtout, plus profondément, la marque lamentable, pathétique, de ce que l’on appelle en philosophie la métaphysique de la subjectivité, ou de façon plus familière le nombrilisme tribal. L’individualisme consiste à ne s’intéresser qu’à soi-même, et à se désintéresser des autres. Le nombrilisme tribal élargit le « je » en « nous », mais en conservant le même raisonnement : le moi collectif est à la fois le bien absolu et le seul critère de vérité. (…) Il fut une époque où l’on trouvait conforme à l’honneur de se battre pour une cause noble et juste, même lorsqu’elle n’était pas la nôtre. On jugeait également honorable d’être activement solidaire des populations martyrisées et de ceux qui résistaient à l’oppression. Avec le nombrilisme tribal, cette époque s’achève. On s’oriente vraiment vers le degré zéro de la réflexion. » Je n’ai rien à ajouter à cette brillante analyse que je partage totalement.


Seriez-vous de ceux qui pensent que le nationalisme français ne se régénérera que par l’immigration, même de non Européens ?


Non, je ne le pense absolument pas.
Il n’est, cependant, pas exclu que certains descendants d’immigrés deviennent des nationalistes français et participent ainsi au mouvement national. Il y en a déjà un certain nombre. Mais je crains quand même qu’un tel phénomène reste marginal. Il me semble que le sentiment nationaliste des « français de branche » a plus de chance de se manifester dans un rattachement plus ou moins fantasmé à la terre ou à la culture de leurs ancêtres. Je ne serais donc pas surpris si le phénomène d’apparition de partis ethniques ou religieux à connotation nationaliste auquel on assiste déjà en France - avec le Parti des musulmans de France, le Parti antisioniste, le Mouvement des indigènes de la république ou le Mouvement des damnés de l’impérialisme – prenait dans les années à venir une certaine ampleur.
Cela étant dit, l’idée de régénération des idées que l’on pourrait qualifier comme étant celles de la « droite des valeurs » par l’immigration a été brillamment défendue par Gilbert Comte, dans le numéro du printemps 2006 du magazine Eléments : « Quand à la droite, mes propos sonnent sans doute à ses oreilles comme du chinois ou du bambara. Aux familles bourgeoises apeurées qu’elle rassemble parfois électoralement, je souhaite seulement d’avoir encore assez d’énergie pour produire des “grands frères” sourcilleux comme il faut l’être sur l’honneur, à commencer par celui des filles. L’immigration a transplanté aux périphéries de nos villes des peuples restés encore très traditionnels. Ils y subissent depuis trente ans l’agression d’une modernisme destructeur sous toutes ses formes, à commencer par la permissivité et la domination de l’argent. Si la droite clabaudeuse avait été autre chose que ce qu’elle est, c’est-à-dire un ramassis de petits bourgeois bruyants mais apeurés, c’est là qu’elle aurait envoyé des missionnaires, afin d’y lever des secours. Mais il lui aurait fallu une audace qu’elle n’imagine même pas dans ses ronrons de nonagénaires. » C’est une idée que l’on retrouve chez Alain Soral, évoquée en ces termes : « La culture musulmane ne produit pas des délinquants drogués et suicidaires, mais des hommes élevés dans des valeurs. Des valeurs de dignité et de respect qui ressemblent beaucoup, finalement, à celles qu’on inculquait aux hommes de France, et à moi-même, avant la déferlante du néo-matriarcat à l’américaine importé par mai 68. »


Des mouvements régionalistes et identitaires se développent en Italie, et également en France. Ces mouvements comme les Identitaires (en France) ou la Ligue du Nord (en Italie) prônent une identité à triple échelle : régionale, nationale et Européenne, et sont farouchement opposées au jacobinisme républicain, quelle est votre opinion sur ces mouvements ?


Vous auriez aussi pu citer le Vlaams Belang, la Plate-forme pour la Catalogne ou des groupes plus marginaux comme Alsace d’abord ou Adsav en Bretagne…
Mon opinion à leur sujet est bien entendu négative. Comment pourrait-il en être autrement ?
Bien sur, défendre les identités locales est un engagement louable avec lequel nous sommes tous d’accord. Mais il y a aussi un risque d’hétérotélie, de dérive perverse, qui, au final, peut aboutir à favoriser la landerisation de l’Europe et son affaiblissement. Et, c’est, malheureusement, dans cette optique qu’agissent les divers groupes identitaires actifs au niveau européen.
Leur l’Europe aux cents drapeaux c’est une Europe aux cents Kossovo…
C’est une Europe où toute solidarité disparaît, où l’on arrive à des prises de position odieuses et grotesque comme celle de ce dirigeant identitaire breton qui déclarait récemment qu’en Bretagne, il ne voyait pas de différence entre un immigré poitevin et un immigré africain !
C’est aussi une Europe encore plus divisée qu’elle ne l’est actuellement, donc dont les composantes les plus faibles sont encore plus manipulables, et en définitive c’est une Europe totalement impuissante. Une Europe que l’on pourrait comparer à l’Allemagne d’après le traité de Westphalie, divisée en 350 États, qui pendant plus de 200 ans regarda l’Histoire être écrite par d’autres.
Quand je vois que ceux qui prônent ce démembrement de notre pays et de l’Europe osent dans le même temps au mépris de toute réalité géopolitique faire campagne sur le thème de l’Europe puissance, je ne peux que m’interroger sur leur intelligence ou leur sincérité.
Vous citez le Kossovo, justement, le 24 mars dernier, c’était l’anniversaire des bombardements de 1999 sur la Serbie. Depuis un an, le Kosovo « serait » un état indépendant... Que vous inspire ces évènements ?
Que voulez-vous qu’ils m’inspirent d’autre que de la révolte ?
Cela étant, votre question me permet de revenir sur la précédente. Si la mouvance identitaire, en France, a beaucoup médiatisé les modestes actions caritatives qu’elle a menée en faveur des Serbes du Kossovo, elle s’est bien gardée de faire ressortir les contradictions idéologiques internes dans laquelle l’affaire kossovare la plaçait.
La question centrale ici, qui est rarement posée, est pourquoi l’indépendance du Kossovo est-elle inadmissible ? Est-ce parce qu’elle est la résultante d’une action des USA, par OTAN interposé, pour s’implanter un peu plus dans une région européenne géopolitiquement stratégique ? Ou est-ce parce que les Kossovars sont musulmans ?
Si pour moi, il est évident que la première réponse est la bonne, il est tout aussi évident que pour les Identaires de France, c’est la seconde qui est justifiée. Les Kossovars n’auraient pas été musulmans, ils auraient applaudi des deux mains la « libération d’un peuple défendant son identité », ce que n’ont pas manqué de faire d’ailleurs un certain nombre de mouvements identitaires en Belgique, en Bretagne et ailleurs, plus sensibles, pour une fois, aux thèses de Yann Fouéré qu’à celles de Guillaume Faye…

Pour finir, pouriez-vous conseiller 5 ouvrages clefs a lire, 5 sites/blogs a consulter ?


Cinq ouvrages c’est bien peu…
Julius Evola : Les Hommes au milieu des ruines et Révolte contre le monde moderne.
Alain de Benoist : Les Idées à l’endroit.
Alexandre Douguine : Le Prophète de l’eurasisme.
Jean Thiriart : L’Europe, un empire de 400 millions d’hommes.
Francis-Parker Yocker : Imperium.
Cela en fait six !


Quand aux sites là aussi c’est difficile : le portail Eurasia d’Alexandre Douguine, le Réseau Voltaire, Alterinfo, Géostratégie et Voxnr, sans oublier Dissonnances. Là aussi j’en suis à six…


Avez vous quelque chose à ajouter pour lecteurs du blog Dissonance ?


Seulement quelques citations à méditer… Charles Maurras : « En politique le désespoir est bêtise absolue », Johann Wolfgang Goethe : « Au commencement était l’action », Guillaume d'Orange : « Où il y a une volonté, il y a un chemin ».


source: Dissonnances :: http://alexandrelatsa.blogspot.com/