A
l’occasion de notre récente fête nationale, j’ai décidé de croire nos
médias grand public et nos hommes politiques. C’était pendant le feu
d’artifice. Il faisait bon sur la plage, l’océan offrait un miroir aux
fusées jetées en bouquet. Je me suis dit, c’est beau tout ça. Pour une
fois je sais à quoi l’on utilise nos impôts, ils ne se moquent pas de
nous, les dorées surtout, l’association des palmiers et des autres, et
même les grandes rouges. Je n’étais pas mécontent d’être allé voter,
j’étais presque fier de moi.
Le lendemain ça ne me passa pas. Je gardai de grands
yeux émerveillés. On dit, c’est notre argent qui part en fumée, mais le
bonheur, lui, ne passe pas avec le vent et la nuit. Au matin j’entendis
que beaucoup de nos grandes villes avaient résonné d’une joie
particulière. La victoire de l’équipe d’Algérie sur celle du Nigeria en
demie finale de coupe d’Afrique de football avait mis les populations
françaises nouvelles en état d’euphorie, selon mes confrères de la
presse et de l’audiovisuel. Il fut fait un grand usage de pétards,
fumigènes et feux de Bengale, et des jeunes plus exubérants que
d’autres, à bord de leur scooter ou de leur motocyclette, improvisaient
des concours de “wheeling”, des rodéos ou faisaient brûler la gomme de
leurs pneus, à Paris, Lyon et Marseille notamment. Dans la cité
phocéenne, vers la porte d’Aix, ils démolissaient méthodiquement les
abris-bus de la place. Alors que plusieurs feux de poubelles étaient
traités par les marins pompiers, les forces de l’ordre ont été
bombardées de projectiles, bouteilles et pierres notamment, à proximité
du bâtiment du conseil régional. Bref, la liesse populaire était bon
enfant. A telle enseigne que moins de 900 voitures furent brûlées cette
nuit-là, et que les 282 interpellations auxquelles s’étaient livrées nos
forces de l’ordre ne menèrent qu’à 249 gardes à vue.
Ce qui était amusant, d’un simple point de vue
sociologique, c’est l’extrême réactivité de nos populations nouvelles à
un événement qui non seulement ne concernait pas une équipe française
mais n’avait pas lieu sur le sol français, la phase finale de la coupe
d’Afrique des nations 2019 se tenant en Egypte. On notera que le quart
de finale qui avait permis la qualification des Fennecs, l’équipe
d’Algérie, avait pris place quelques jours plus tôt, le onze juillet, à
Suez, probablement en hommage à Jean-Marie Le Pen, et vu la victoire des
Fennecs sur les éléphants de Côte d’Ivoire. Cette remarquable présence
des pays francophones de l’ancien empire résulte d’une sorte de derby
entre l’AOF et le Maghreb, à en croire les supporters présents là-bas.
Ils étaient mille Algériens sur les trois mille spectateurs d’un stade
de Suez quasi-vide (contenance, 27000), mille spectateurs très
respectueux de la discipline mais très politisés. Ils étaient venus, à
en croire Karim, comédien, 30 ans, par « devoir national », mais aussi,
selon une jeune fille dont le Monde a rapporté les paroles, pour
« venger nos frères marocains et égyptiens qui ont été éliminés, on
représente les Arabes ». Et à la question du journaliste français qui
leur paraissait stupide, pourquoi sont-ils venus en Egypte pour
encourager l’équipe nationale, la gentille Aïda répondit : « Parce que
nous sommes des Algériens, c’est le drapeau, c’est comme ça ». Ce
sentiment inspire le respect. Les supporters qui agitent des drapeaux et
soutiennent les Fennecs entendent ainsi honorer leur patrie, l’Algérie.
Mon émerveillement n’a pas connu d’éclipse pour la
finale de la Coupe qui s’est tenue au Caire le vendredi dix-neuf
juillet. Une finale entièrement francophone, Algérie-Sénégal. J’ai pris
beaucoup de plaisir, d’un point de vue ethnographique, à constater que
les quotas de Subsahariens sont beaucoup plus restreints chez les
Fennecs que chez les Bleus. Quant au jeu lui-même, je n’y entends rien,
mais j’en crois derechef les médias, la fête a été belle, même si
quelques incidents l’ont légèrement assombrie au fil de la nuit. Encore
faut-il ne rien exagérer, comme nous y invitait un supporter des
Fennecs. Les incivilités et débordements ont été limités. On a fait du
quad sur les pelouses, on a dansé sur les capots, sur fond d’engins
pyrotechniques excluant généralement les cocktails molotov. On n’a
incendié qu’une station de métro, près de Lille, une seule boulangerie, à
Toulon, et attaqué qu’un seul lycée privé catholique, Saint-Rémi, à
Roubaix : encore n’a-t-il pas été pillé, grâce à l’arrivée de la police,
bien que le portail et la porte d’entrée aient étés forcés. Quant aux
relations avec la police, elles ont été dans l’ensemble très bonnes.
Sans doute quelques excités l’ont-elle agressée en criant « Nique ta
mère, fils de putes », mais c’est resté une minorité, et l’on a vu des
centaines de jeunes faire des selfies avec des CRS, ce qui n’aurait pas
été envisageable avec des gilets jaunes.
[…]
HANNIBAL.
Source : Rivarol n°3387 du 24 juillet 2019Jeune Nation