Lumen ad revelationem gentium ! « La lumière qui éclaire
les Nations », c'est le Christ, Notre Seigneur, qui est présenté, à
l'aube de sa vie terrestre, aux dignitaires du Temple de Jérusalem.
N'est-ce pas également cette liturgie antique, dédaignée ces
dernières décennies et par laquelle Dieu continue d'habiter parmi
nous et de régénérer les âmes à travers les siècles ? C'est, en tout
cas, cette clarté des rites les plus sacrés qui a récemment pu briller
sur les séminaristes parisiens à l'occasion de la fête de la
Présentation, le 2 février dernier. Ce jour-là, l'ensemble des
candidats au sacerdoce de la capitale a assisté à la messe
célébrée selon le mode traditionnel par le père abbé du Barroux en
l'église Saint-Louis-en-l'Île.
Le choix délibéré des séminaristes
Chaque année, les responsables du Grand Séminaire de Paris ont
l'habitude de proposer à leurs pupilles d'étudier un module
d'enseignement de leur choix. Peut-être cette pratique tire-t-elle ses
racines de méthodes éducatives datées, imprégnées de slogans
participatifs et démocratiques. À l'heure où la base tire des
conclusions sévères sur l'inanité des expérimentations malavisées
des aînés, cette pratique ne peut que faire éclore des thèmes
classiques, tranchant avec les inconséquences du passé.
Aussi, en 2018, les quatre-vingt séminaristes que compte
l'archidiocèse décidèrent-ils, à une majorité absolue des votes,
d'étudier la liturgie traditionnelle et le Motu Proprio
Summorum Pontificum.
Forcément, ce choix ne fut pas sans susciter l'inquiétude de
nombreux évêques qui devisèrent du sujet à l'occasion de la dernière
conférence épiscopale. Le monde traditionnel n'avait-il pas été
placé en quarantaine dans les années 1970 ? L'Église de France
devait-elle vraiment revenir sur ce qu'elle croyait avoir jadis
proscrit avec l'assentiment de Paul VI ? Certes, Benoît XVI avait,
semble-t-il, nuancé les interdictions en consentant à
l'établissement de quelques réserves. Mais, face à la pression des
aspirations, le mouvement avait emporté les idées toutes faites sur
son passage. De plus en plus de vocations s'étaient tournées vers
les instituts traditionnels et une grande partie des recrues, non
contentes de se voir imposer des restrictions par l'épiscopat,
avaient migré vers la communauté Saint-Martin, l'un des derniers
viviers dans lesquels puisent les diocèses confrontés à un cruel
défaut de prêtres. Par ce stratagème, ce sont finalement les
séminaristes qui imposent leur formation aux évêques démunis et non
le contraire. N'était-ce pas finalement le couronnement des
dispositions post-conciliaires désireuses de redonner la parole au
peuple de Dieu ?
Mais cette fois, il n'est plus question de mouvance tridentine ou
de ressortissants de la maison de formation d'Évron, mais bien de
séminaristes diocésains, cette sania pars que les évêques avaient
cru pouvoir préserver de l'aspiration dite intégriste. Alors que
pendant des années, les responsables de la formation sacerdotale
avaient clairement dissuadé le futur clergé d'approfondir le
missel traditionnel, c'est la nouvelle génération, celle de La
Manif Pour Tous, qui fait voler en éclat les torpeurs des anciens, ceux
de l'Après-68.
Des églises parisiennes résonnent aux échos de la liturgie tridentine

Rendez-vous
fut donc pris en l'église Saint-Eugène-Sainte-Cécile pour une journée
d'information avec deux professeurs chargés des âmes de ladite
paroisse, les abbés Marc Guelfucci et Éric Iborra, ainsi que
certains fidèles représentatifs. Des vêpres solennelles de
Saint-Ignace d'Antioche avec trois chapiers furent dignement
célébrées. Un demi-siècle après les avoir abandonnés dans la
précipitation, les séminaristes goûtaient à nouveau en corps
constitué à la magnificence de rites redécouverts avec respect et
piété. Ce qui semblait, au terme des interdictions, devoir être
l'apanage de quelques esprits curieux, en quête d'archéologisme,
paraissait devoir devenir un enseignement commun duquel nul futur
prêtre de notre temps n'allait pouvoir faire abstraction. En un
instant, des paroisses censées demeurer des sas de
décontamination et ensuite des réserves folkloriques étaient
devenues des laboratoires modèles pour une nouvelle
évangélisation.
Le lendemain, pour la fête de la Purification de Notre-Dame et
de la Présentation au Temple, tous les séminaristes de
l'archidiocèse étaient conviés en l'église Saint-Louis-en-l'Île pour une
messe chantée, célébrée par le père abbé du Barroux, dom Louis-Marie
de Geyer d'Orth. Il serait difficile de ne pas se remémorer à cet
instant son prédécesseur, dom Gérard Calvet, célébrant sous la
voûte voisine de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à la naissance et à
l'architecture si semblables, et qui, après avoir servi de temple à la
ferveur de générations de futurs prêtres, conserva dans les années
1970 le monopole de cette même liturgie, proscrite et ramassée dans
le caniveau d'une Église en proie aux innovations les plus
incongrues.
Si les quatre-vingt lévites avaient initialement désiré étudier le Motu Proprio
Summorum Pontificum,
il aurait été logique que le missel de 1962 fût célébré ce jour-là.
Finalement ce fut celui de 1965, en vertu sans doute des coutumes du
Barroux, sur le petit autel installé à la faveur des réformes et au
détriment du splendide maître-autel. Plusieurs autres anomalies
devaient également émailler la célébration de cette messe. Il était
enfin étonnant que, à l'occasion d'une journée marquant les
retrouvailles d'un clergé avec sa liturgie traditionnelle, le
prédicateur choisît pour seules références, au milieu d'un sermon
pourtant de bonne tenue, sa jeunesse,
Lumen Gentium, et
Jean-Paul II, comme pour se dédouaner d'un trop plein de
traditionalisme, alors que tant de modèles s'imposaient sur le thème
qui réunissait cet aréopage ecclésiastique.
Un jeune clergé aguerri à la Tradition liturgique

Finalement,
ces pincettes ont dû plutôt faire sourire les séminaristes qui
connaissent les différends internes à l'Église de France. L'influence
du monde traditionnel, l'impact du pèlerinage de Chartres, la
diffusion du missel tridentin depuis dix ans expliquent le fait que
ces derniers ont davantage retrouvé la liturgie plus qu'ils ne
l'ont découverte et apportent les raisons du choix qu'ils ont posé
cette année. Même si les novateurs n'ont jadis reculé devant aucun
effort pour retenir et ménager des générations dont le
progressisme actait la rupture doctrinale, les recrues du clergé
parisien paraissent finalement plus proches des Scouts d'Europe ou de
Saint-Jean-de-Passy que de la Jeunesse ouvrière chrétienne ou de
Saint-Merry…
En réalité, c'est la piété, la dévotion et la bonne volonté
manifeste des séminaristes qui ont brillé au cours de ces
cérémonies. L'époque où leurs prédécesseurs aspiraient à innover,
à recourir à des instruments musicaux peu conformes, à faire de la
liturgie ce que le cardinal Ratzinger appelait un « show », paraît
quelque peu révolue. Le service d'autel assuré par les candidats
au sacerdoce était parfait, ils étaient revêtus de belles aubes
blanches unies avec amicts et cordons. Un petit chœur a parfaitement
chanté une des pièces du propre à la communion. La messe des Anges a
retenti avec un bel ensemble sous les voûtes, accompagnée par un
organiste qui connaît son métier. Et s'il fallait que la
participation fût active, elle le fut puisque les participants
connaissaient manifestement bien le rite ou, du moins, l'avaient
bien étudié. Ils savaient quand se tenir debout ou à genoux. Ils ont,
par exemple, génuflecté à l'unisson, non seulement au
Et incarnatus est mais aussi au
Et verbum caro factum est du dernier évangile. Cela ne s'improvise guère.
Ces deux journées sont sans doute assez symptomatiques de l'état
de l'Église de France. Tandis que partout les églises ferment et que
les nombreux prêtres formés avant le Concile disparaissent, leurs
jeunes successeurs, bien que leur nombre soit peu élevé, paraissent
de plus en plus affranchis de l'esprit d'innovation qui voulait faire
table rase des traditions. Sans doute, en bien des endroits, la
formation doctrinale de ces jeunes lévites reste-t-elle marquée par
les idées qui ont foisonné au cours de ce demi-siècle. Le temps
propice sera long pour faire renaître une Église centrée sur l'idéal
missionnaire, à partir des cendres d'une utopie obnubilée par les
idées de dialogue et de compromis. Mais l'exemple présent montre
aussi la rapidité des changements. Qui, il y a vingt ans, et même
dix ans, aurait pu imaginer que l'ensemble des séminaristes
parisiens puisse assister de façon officielle à la messe
traditionnelle pour mieux l'étudier ?
Côme de Prévigny