Rédigé par Caroline Roux, propos recueillis par Odon de Cacqueray le dans Culture de Vie / Contreculture de mort
Alliance VITA est une
association créée en 1993 à l'occasion des premières lois de bioéthique.
Elle remplit deux missions : aider tous ceux qui sont confrontés aux
épreuves de la vie ainsi que sensibiliser à la protection de la vie
humaine, le public et les acteurs des diférents niveaux politiques.
C'est dans le cadre de cette deuxième mission que l'association a
organisé pendant trois jours, du 17 au 19 avril, à Paris, un showroom
privé, afin de dénoncer les dérives présentes et à venir autour du
marché de la procréation artificielle. Nous avons rencontre Caroline
Roux, délégué générale adjointe et directrice de VITA International, à la fin de ces trois jours, afin de dresser un bilan de l'action et un état des lieux de la situation en France.
Vous avez mis en place pendant trois jours à Paris un showroom privé sur le modèle de ce que les agences du marché de la procréation peuvent proposer. Quels étaient les objectifs de votre showroom ?
Cette boutique avait pour but de montrer,
d’une manière symbolique, vers où on risque d’aller en matière de
procréation. Les techniques de procréation artificielles posent en
elles-mêmes des questions éthiques majeures. Légaliser l’assistance
médicale à la procréation hors indication médicale, ce serait une
rupture. Beaucoup nous disent que ça ne changera rien. En réalité, ce
serait basculer dans la fabrication d’enfants.

Dans le cas de la PMA pour « toutes les
femmes », les enfants seraient délibérément privés de père, et les
hommes réduits à des fournisseur de gamètes. Puis, Inéluctablement, des
hommes demanderont à « procréer seuls », en revendiquant la gestation
par autrui et le recours à de mères porteuses…
Plus globalement, cette initiative vise à
prévenir le basculement de notre société dans un marché qui fait de
l’être humain un produit, une marchandise qu’on fabrique sur commande,
qu’on sélectionne et qu’on trie, qu’on achète et qu’on jette. Car en
effet, derrière ces techniques de procréation, un engrenage a déjà
commencé. Se profile une explosion de la sélection, par le diagnostic
prénatal et, spécialement par le diagnostic préimplantatoire (DPI). Le
professeur Jacques Testart prédisait que dans l’avenir plus personne ne
voudrait avoir des enfants de façon naturelle, parce que l’on voudra
vérifier la qualité de l’enfant à naître.
Ce futur devient de plus en plus
crédible. Certains revendiquent d’ailleurs, dans les Etats généraux de
la bioéthique, la généralisation des tests préconceptionnels pour
vérifier la qualité génétique des membres du couple et procéder à des
fécondations in vitro pour sélectionner les embryons indemnes de risques
de maladie. C’est déjà possible actuellement pour des personnes
susceptibles de transmettre des maladies génétiques héréditaires.
Face aux souffrances réelles des personnes, célibataires ou en couple, qui ont un profond désir d’enfants, comment réagissez-vous ?
Dans notre service d’écoute SOS Bébé, nous accompagnons des personnes confrontées à l’infertilité ou qui ont un désir d’enfants.
Nous constatons que la procréation
artificielle est souvent l’unique solution proposée aux couples sans
autre alternative. Je suis particulièrement marquée par les couples à
qui l’on propose des inséminations ou des fécondations in vitro (FIV)
avec donneur. En plus de la souffrance du conjoint touché par la
stérilité qui nécessite un accompagnement particulier, s’ajoute la
perspective que ce dernier n’ait pas de lien génétique avec l’enfant.
Les couples aimeraient en discuter, et souvent ils font face à
l’incompréhension du personnel médical face à leur refus ou leurs
hésitations.
Ce que nous partage les couples, c’est
leur désir profond que leur fertilité soit restaurée, pour procréer de
manière autonome. Une femme nous confiait récemment avoir fait un cycle
de PMA et finalement elle a été enceinte naturellement. Elle
s’interrogeait douloureusement : « j’ai eu un enfant naturellement,
je suis guérie, mais j’ai quatre embryons, que faire ? Quatre de plus,
je ne peux pas et je ne peux pas les détruire non plus… »
Cette situation est loin d’être exceptionnelle.
Des personnes peuvent être tentées mais
aussi se sentir fragilisées par ce que fait miroiter la technique. Il
arrive d’ailleurs que des femmes seules s’adressent à nous, se demandant
comment faire pour avoir un enfant, alors que l’horloge biologique a
tourné, vers 35-40 ans ou au-delà. C’est souvent l’occasion de vrais
échanges pour explorer la fécondité qu’elles peuvent exercer autrement.
Nous constatons la valeur protectrice de la loi quand elle pose des
limites.
À Alliance VITA, nous demandons,
et nous l’avions déjà demandé lors de la révision de la loi bioéthique
de 2011, que soient conduites des recherches sur les causes de
l’infertilité pour la prévenir. L’infertilité a explosé ces cinquante
dernières années, spécialement chez les hommes. On sait que les causes
peuvent être liées à nos modes de vie et à des questions
environnementales, avec les perturbateurs endocriniens notamment. Le
retard de la maternité est également une cause fréquente de recours à la
PMA. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) préconise de mieux
informer hommes et femmes sur les âges de la fertilité par des
campagnes ciblées, notamment auprès des jeunes et de favoriser les
conditions sociales de maternité plus jeunes qui permettent aux femmes
jeunes qui le souhaitent de concilier entrée dans la vie professionnelle
et maternité. Ces propositions vont dans le bon sens.
Concernant ces embryons congelés dont vous parlez plus haut, que faire ?
Nous sommes clairement dans une impasse.
En France, plus de 220 000 embryons sont congelés actuellement dont un
tiers ne fait plus l’objet de projet parental. Les couples sont
consultés annuellement, sur leur devenir. S’ils ne souhaitent pas
poursuivre de nouvelles grossesses, ils peuvent être détruits, donnés à
la recherche ou à un autre couple.
Alliance VITA s’est toujours
prononcé contre la congélation des embryons, nous avons demandé un
moratoire sur le sujet et de stopper la congélation. En réalité, il
s’agit d’une forme d’acharnement que l’on fait subir aux embryons
détenus congelés de façon inhumaine.
Pour revenir sur ce showroom, quel a été son impact, les premiers retours ?
Plusieurs articles sont parus dans la
presse : ils ont permis que le message soit diffusé largement. Pour
certains cela a été un électrochoc. 

Notre action a coïncidé avec la publication du livre de Blanche Streb, Bébés sur mesure - Le monde des meilleurs, une
synthèse importante de ce qui se fait déjà actuellement en matière de
procréation artificielle, mais également de ce qui pourrait advenir.
Des couples en Grande-Bretagne utilisent
le DPI pour que leurs enfants soient indemnes de strabisme. Des
personnes ayant une surdité héréditaire ont obtenu aux Etats-Unis de
faire naître un enfant délibérément sourd. Avec la technique, tous les
possibles deviennent imaginables. Des chercheurs étudient la
reprogrammation des cellules somatiques ou embryonnaires pour en faire
des gamètes « artificiels ». Aujourd’hui, des enfants génétiquement
modifiés sont déjà nés au Mexique ou en Ukraine avec la technique de la
FIV 3 parents. Des recherches sont en cours pour modifier des gènes
défectueux au stade embryonnaires avec le risque de transmettre les
modifications aux générations futures. Certains, issus du mouvement
transhumaniste, imaginent pouvoir augmenter les capacités génétiques des
embryons.
Ce livre est important pour saisir la portée des débats de la prochaine révision de la loi de bioéthique.
Quelle a été, à votre avis, la première rupture qui a entraîné les dérives que vous constatez ?
En provoquant de multiples ruptures dans
le continuum de la procréation, de l’union des corps jusqu’à la
naissance, l’assistance médicale à la procréation pose des questions
éthiques à chaque stade de dissociation. C’est ce que souligne
d’ailleurs le CCNE dans l’avis sur la PMA, rendu en juin dernier et
mentionné plus haut. Le fait que la fécondation puisse avoir lieu hors
du corps de la femme a rendu l’embryon disponible, sélectionnable et
chosifiable. De même dissocier les gamètes du corps, ces cellules très
particulières et personnelles, porteuses de l’hérédité génétique de
chaque parent, aboutit à priver les enfants d’une partie de leur
patrimoine génétique. Aujourd’hui des enfants nés avec donneurs devenus
majeurs demandent d’avoir accès à leurs origines.
En 1994, la France a pris ces risques
éthiques pour répondre au désir et à la souffrance des couples
confrontés à une infertilité. Pour éviter trop de dérives, le
législateur avait prévu quelques gardes fous : que l’infertilité soit
médicalement constatée et que les couples soient composés d’un homme et
d’une femme, vivants et en âge de procréer. L’urgence actuelle serait
d’évaluer ces pratiques quand on constate la surproduction
exponentielles d’embryons et la difficulté de certains enfants nés avec
donneurs en quête de leurs origines.
Le problème en amont ne serait-il pas un problème plus philosophique et anthropologique qu’un problème législatif et technique ?
Les médecins de la procréation se sont
progressivement sentis redevables de donner un enfant aux couples,
souvent en grande souffrance de ne pouvoir engendrer, quels que soient
les moyens. Cependant, plus de la moitié des couples demeurent sans
enfant à l’issue des parcours de procréation.
Le problème en effet est d’avoir
absolutisé la technique en oubliant que la sexualité et la procréation
humaines sont des domaines délicats, personnels et intimes. Ce sont les
personnes elles-mêmes qui témoignent de ces parcours du combattant,
éprouvants physiquement et psychologiquement pour les
couples. Aujourd’hui il s’agit de revenir aux fondamentaux : qui est
l’Homme ? Quel est le sens du corps et de nos limites ?
Des approches plus naturelles à partir de
l’observation du corps et de ses rythmes commencent à émerger, comme les
naprotechnologies, qui offrent une aide médicale pour favoriser une
conception naturelle.
Quelle société voulons-nous ? C’est la question posée par les Etats généraux de la bioéthique.
Plus d'informations sur le site d'Alliance Vita