Eric Delcroix
Tel est le sous titre du Dictionnaire de l’épuration des gens de lettres 1939-1949*
que vient de publier Jacques Boncompain, ancien directeur de la Société
des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). M. Boncompain a
prolongé son étude aux autres sociétés d’auteurs et d’éditeurs
d’envergure nationale, savoir la Société des Auteurs, Compositeurs et
Editeurs de Musique (SACEM) et à la Société des Gens de Lettres.
Certes,
l’ouvrage comporte des dictionnaires des personnes épurées ou
inquiétées, mais aussi des développements historiques extrêmement
riches, ce qui fait que l’honnête homme de nos milieux ne peut
aujourd’hui en faire l’économie. Brasillach, par exemple, y est
mentionné sur quelques vingt-trois pages.
La fièvre des épurations
La
période recouverte par l’ouvrage, 1939-1949, fait que l’on y trouve
bien sûr ceux qui furent les premiers épurés, avant la lettre, dans
l’ordre chronologique du Dictionnaire et donc les auteurs juifs
visés par les lois de Vichy, contre la surreprésentation juive dans les
professions intellectuelles et artistiques. « Dans le cadre de la
mission d’étude sur la spoliation des biens des auteurs juifs, présidée
par M. Mattéoli, M. Yannick Simon, au terme des travaux au sein de la
SACEM, conclut que l’on a pas trouvé trace de détournements. »
(page 91). D’ailleurs l’histoire devrait retenir que les procédures
contre les ministres et fonctionnaires de Vichy n’ont pas non plus
révélé de cas de concussion ou de corruption. Autres temps, autres
moeurs...
Le grande épuration sera celle de la réputée Libération, puisque De Gaulle, lit-on, « Au
risque d’attiser les haines et les persécutions … recourut à une
législation de circonstance, inspirée par « la loi des Suspects »
adoptée sous la Terreur. Le Maréchal avait « fait don de sa personne à
la France ». Il fit « don de la France à sa personne » (page 694) selon le mot de Paul Morand.
L’étude
de Jacques Boncompain permet de voir que si la Société des Gens de
Lettres s’est complue dans l’Epuration entreprise en 1944, tel ne fut
guère le cas de la SACD et de la SACEM, ces deux sociétés n’agissant « que sous la pression du gouvernement provisoire et répugnent … à se transformer en tribunal ». Elles « accueilleront avec une forme de soulagement la création d’une Commission Nationale d’Epuration », alors que la Société des Gens de Lettres « y verra une atteinte à son autorité » (page
696). Ces Gens de Lettres chafouins seront appuyés par le Comité
National des Ecrivains avec Sartre, Eluard, Mauriac, Georges Duhamel ou
Paul Valéry ; avec Vercors ou Raymond Queneau « qui s’attacheront à définir les critères de la trahison » (page 148). Accessit pour Claude Roy, « passé de Je suis Partout au communisme ». D’une Terreur à l’autre, Paul Léautaud écrira alors : « Ce que nous voyons n’est pas loin de 93. »
De Gaulle et les communistes contre la France
Le
travail de l’auteur le conduit à rechercher les ressorts de l’Epuration
et donc à analyser la situation de la France d’après juin 1940, le
pourquoi du comment. En effet c’est une première, car même « A l’issue de la Commune de Paris [les organisations professionnelles d’auteurs] avaient été laissées à l’écart de la répression. » (page 25).
A
cet égard, le rappel des propos du vice-amiral Muselier, premier
officier général ayant rejoint De Gaulle à Londres, permet de remonter
aux causes. Emile Muselier dira de De Gaulle que son « but personnel
était de se faire connaître comme l’incarnation de la France,
exactement comme le maréchal Pétain, et de ce fait Pétain apparut
bientôt comme son principal ennemi. » Au surplus, toujours selon Muselier, plus généralement De Gaulle « semblait oublier que nos ennemis n’était pas les Français. »
Pour
parvenir à ses ambitions, le général De Gaulle fera sans vergogne
l’alliance que l’on sait avec les communistes, alliance dont le souvenir
est évanescent. Aussi fallait-il que les structures politiques et
administratives de Vichy fussent démantelées et, à cette fin, faire de
la France de nouveau un théâtre de guerre (observable à souhait de
Londres ou d’Alger). Et pourtant, tout cela pouvait par hypothèse être
évité ; le Dictionnaire rappelle opportunément la stratégie
élaborée par le futur maréchal Juin et dont De Gaulle dissuada
Churchill. Cette stratégie eût été de porter tout l’effort des alliés
occidentaux sur une attaque par le sud, vers Vienne, afin d’amener les
Allemands à quitter la France d’eux-mêmes, pour défendre le territoire
du Reich… Inimaginable pour la cause des gaullo-communistes, qui eussent
vu une transition apaisée de Vichy à la France libérée et réconciliée.
D’où le propos rappelé de René Benjamin : « Je ne pense plus sans horreur à l’orgueil
de De Gaulle, responsable de tout puisque c’est lui – ne l’oublions
jamais – qui a offert aux Anglo-Saxons son pays comme champ de
bataille. »
Même
sans cette occasion, De Gaulle, pour ses ambitions, espérait tout de la
politique du pire. Comme l’a écrit Jacques Laurent, encore cité par
l’auteur « [De Gaulle ] voulut l’épuration avec passion, il la prépara avec méthode, il l’attendit avec impatience ».
Grâce
au travail sans concession de Jacques Boncompain, nous disposons d’un
outil historique très utile, réplacé à bon escient dans de la nouvelle
Terreur dont nous avons hérité sans le soulagement que nous aurait valu
un nouveau Thermidor. La République, à l’enseigne du bonnet phrygien**
des terroristes, cultive malheureusement toujours l’esprit de la guerre
civile.
Pour
la commémoration de l’anniversaire de la mort du Général, ce 9 novembre
2017, les bons esprits politiciens « patriotiques », tels Philipot ou
Dupont-Aigan, se sont précipités à Colombey-les-deux-Eglises. Qu’ils
n’oublient pas la date du 11 juillet, anniversaire du compère Maurice
Thorez, à Paris, au Père-Lachaise...
* Editions Honoré Champion, Paris, 2016, préface d’Henri-Christian Giraud.
** Bonnet de la canaille terroriste qui fut l’emblème du RPR.
Article paru dans le n°48 de la revue Synthèse nationale cliquez ici

