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vendredi 30 août 2013

Columbo et les autres...

Philippe Delbauvre.
Columbo et les autres... 
On sait le grand nombre de séries télévisées policières. On sait aussi leur succès. Leur arrivée sur les écrans n’est pas récente. Le fait « policier » n’est d’ailleurs pas limité au petit écran et s’est donc vu aussi exploité au cinéma ou dans la littérature.


L’opposition systématique, pavlovienne, au qualificatif « américain », comme la plupart des formulations de type « anti », ne peut être que caricature : « Quand j’entends les talons claquer, je pressens que les cerveaux se ferment. » Maréchal Lyautey. Après tout, par exemple, on ne voit pas pourquoi le problème de la centralisation politique, très mesuré aux Etats-Unis, devrait être éludé. La série policière intitulée « Columbo » est américaine. Encore une fois, elle est loin d’être la seule, américaine ou pas. Créée en 1968, elle dispose de ses spécificités, à commencer par un personnage principal que l’on peut qualifier d’atypique. Anti-héros, le personnage principal a un visage et un physique disgracieux. Il n’a pas de certitude. A l’image des penseurs authentiques, ceux des Lumières ou Heidegger par exemple, sa démarche est hésitante, inquiète, méandrée. Son chien est d’une race qui prête peut être le plus à déclencher le sourire. Sa voiture n’est qu’une caisse. Même ses vêtements sont grossiers. On sait aussi ses difficultés avec le monde matériel, malhabile qu’il est. En cela, il est radicalement différents des policiers auxquels télespectateurs et spectateurs ont coutume de s’identifier : qui voudrait ressembler à Columbo ? Pourtant, le personnage est psychologiquement anormalement fin. Se voit donc posé le problème du choix entre le contenant et le contenu, ce dernier étant de plus en plus délaissé depuis l’avènement de la postmodernité.


Un épisode de cette série nous semble aujourd’hui anormalement long (90 minutes), soit près du double auquel on est désormais habitué. Les épisodes courts s’expliquent par la difficulté qu’éprouvent nos contemporains à se concentrer longuement. Plus grave, nous en sommes maintenant parvenus au stade ou dans un seul épisode, deux intrigues sont proposées, une seule passant désormais pour lassante. C’est ainsi qu’une intrigue ne fait plus que 22.5 minutes alors que c’était quatre fois plus dans le cadre de la série Columbo.


Pas de suspens non plus dans cette série puisque l’on sait dès le départ qui est le meurtrier. Pas non plus d’actions avec coups de feu ou bagarres. Contrairement aux autres séries ou films contemporains, l’action donc le corps, est absente. Columbo, contrairement aux films à succès plus récents dans lesquels le rôle principal est tenu par Mel Gibson (l’arme fatale) ou Bruce Willis (Die Hard), est cérébral parce que uniquement psychologique. D’où le choix plébiscitaire des seconds aujourd’hui aux dépens du premier.


Depuis quelques années, on a vu apparaître, avec beaucoup de succès au demeurant, des séries policières à base scientifique. Ce sont alors les expertises scientifiques – « calculantes » aurait écrit Heidegger – qui font la différence et élucident l’affaire, démasquant le meurtrier. Voilà qui nous rappelle une des critiques majeures effectuées par l’Ecole de Francfort, notamment Adorno, à l’encontre du cercle de Vienne. Si le monde est réduit à une seule base de données empiriques, s’il n’est qu’équationnel, fatalement la pensée dans ce qu’elle a de méditatif, n’a plus de raison d’être. La dictature du fait objectif (la science, le calcul, l’utile, l’intérêt, l’efficace) ne peut que mettre en berne toute forme de pensée spéculative. En cela, je suis intimement convaincu, d’une part du triomphe actuel du positivisme comtien, d’autre part que le fait de l’existence contemporaine de ses séries scientifiques en est l’un des marqueurs.