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dimanche 3 juillet 2005

Une papauté médiatique

Dimanche, 3 Juillet 2005
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Une papauté médiatique

Philippe Delbauvre

Tribune libre
L'élection d'un pape n'a jamais été un succès médiatique dans l'histoire humaine. On peut trouver à cela plusieurs explications. La première est que le pape était le pape et reconnu comme tel. Ainsi les catholiques se réjouissaient de l'heureuse nouvelle alors qu'au contraire les anticléricaux voyaient en l'homme à peine élu le tenant du féodalisme théocratique. La seconde raison qui me vient à l'esprit est l'existence des moyens de communication qui se développent sur l'ensemble de la planète et qui permettent de suivre l'information en direct, phénomène qui n'est pas nouveau mais qui prend une ampleur exceptionnelle. Enfin, le monde a longtemps fait preuve d'inertie, la planète se réduisant au continent européen.

Le premier pape véritablement médiatique fût Jean Paul II. Cela commença par la nouvelle de sa nationalité qui avait de quoi surprendre. Puis ce fût les longueurs de piscine, le regard doux (le saint père était un bon père) ... Jean Paul II fût un grand communicateur ayant parfaitement compris le fonctionnement du monde dans lequel il vivait et décidé à exploiter les moyens d'expression contemporains afin de faire passer son message. Cela, jusque sa lente agonie que tous les hommes purent suivre pratiquement en direct. Il va de soi qu'une mort instantannée n'eût pas permis toutes les supputations quant à son éventuel succcesseur. Si les pronostics allaient bon train chez les laïcs où chacun y allait de son analyse (« il sera issu du tiers monde »), les analyses devaient être toutes autres au Vatican où on doit se baser sur d'autres critères, où l'on a d'autres objectifs et où on bénéficie d'autres renseignements.

Le verdict est tombé très rapidement. Le cardinal Ratzinger a donc été élu. Il n'est pas du tiers monde mais allemand, n'est pas noir mais ancien des jeunesses hitlériennes. Evidemment, certains avaient d'autres espérances et on peut les comprendre. Si cependant, si le conclave en a décidé autrement c'est qu'il devait avoir ses raisons.

Revenons sur les jeunesses hitlériennes: on pouvait s'attendre à un tollé général et cela l'Eglise le savait. Or pratiquement rien, et le peu fût clos par Jean Marie Lustiger, juif converti au catholicisme, volant au secours de Benoit XVI. Certains verront peu être là un détail, mais je pense que cela a de son importance et nous y reviendront plus loin.

Joseph Ratzinger a 78 ans c'est à dire qu'il est du même âge approximativement que Jean Paul II. On sait qu'il fût préfet pour la congrégation pour la doctrine de la foi dont il est difficile de donner un équivalent laïc mais dont on pourrait considérer que c'est l'équivalent d'un responsable aux questions idéologiques dans un parti politique.

C'est donc un personnage outre le fait qu'il soit lettré, qui est aussi un spécialiste des questions religieuses dans le cadre dogmatique. C'est un homme qui a dit oui sans retenue au concile vatican II avant de s'infliger une « auto-critique » suite aux dérives libérales occasionnées. En ce sens il ne faut attendre ni le charisme de Jean Paul II, ni une profonde rupture. Certains parlent de continuité. Rien n'est moins sur. D'autres de transition, ce qui supposerait connaître la date de son décès. Il semblerait plutôt si on prend en compte sa formation, son parcours, sa présence auprès de Jean Paul II où il devait jouer davantage le rôle de faucon que celui de colombe, que l'on s'oriente vers davantage de rigidité dogmatique. Si le discours à l'égard des catholiques a de fortes chances de rester le même sur le fond, la forme risque d'être plus austère. Si un catholicisme aseptisé a de quoi séduire les hommes qui vivent la post modernité, il n'en est pas de même ailleurs. Ce serait d'ailleurs le risque majeur que de se metttre en compétition avec le protestantisme, pratique religieuse bien plus adaptée à notre époque. Le catholicisme risquant de passer pour un protestantisme de « tristes ». On peut donc songer non à une réaction au sens politique du terme mais à la remise au goût du jour de certaines pratiques aujourd'hui abandonnées. De même, on peut s'attendre à un refus total de mise en phase avec l'évolution de la société. L'église maintiendra ses dogmes, quitte à perdre une partie de ses paroissiens. En cela Benoit XVI sera le gardien du dogme, attentif à faire passer son message et à le défendre. Il est très bien placé pour savoir que si les indifférents dans le domaine religieux progressent. Il existe toute une population, qui pour l'instant partique le bricolage religieux en juxtaposant différents emprunts, mais qui aussi pour une partie est en quête de vraie spiritualité quitte à en accepter les contraintes (mêmes sévères au vu du monde contemporain). Ainsi, l'affadissement des religions, la mise en valeur de la subjectivité, le relativisme risque à long terme de pénaliser les pratiques qui se seront mises au goût du jour.

De même, il ne faut pas oublier que le cardinal Ratzinger fut celui qui n'hésita pas à dire que le catholicisme était devenu cette barque qui prenait l'eau de partout. Est ce là un constat enchanteur, une glorification de l'oeuvre de Jean Paul II présent à la tête de l'église depuis plus d'un quart de siècle ? En fait les chiffres attestent, d'une part le nombre de prêtres est en diminution avec d'importants départs en retraite dans les prochaines années, d'autre part au niveau mondial le catholicisme était passé de 18 à 17 % de la population mondiale ce qui montre bien le décalage entre le succès médiatique de Jean Paul II et son impact réel sur l'engagement religieux.

Or c'est justement c'est art de la communication qui délibéremment risque de disparaître. Un Jean Paul II qui aimait les signes phares, ce qui est bien dans l'air du temps. Ainsi un voyage au Maroc où devant une foule musulmane rassemblée, il s'écrie: «nous adorons le même Dieu.» Ce même Jean Paul II recevant le Dalaï Lama, faisant l'apologie de la bonne entente avec l'Islam, se rendant à la synagogue de Rome, demandant pardon aux murs des lamentations. Cela fait beaucoup, pour probablement peu de résultats (une sympathie certaine) et des prises de position
qui ne sont pas faites pour plaire à tout le monde chez les catholiques. On risque donc de constater un retour à une attitud plus conforme à la tradition, le pape passant par les élites pour communiquer plutôt que de s'adresser directement aux peuples.

Parce que ce quart de siècle de Jean Paul II fût particulièrement riche historiquement: le monde a subi une métamorphose dont on peut constater les conséquences dans de nombreux domaines. Ainsi, l'avortement s'est généralisé en Europe ou presque, la contraception n'est plus taboue, hommes et femmes ne sont plus séparés dans l'église, l'érotisme et la pornographie sont présents sur les chaines de télévision, l'homosexualité n'est plus un délit, le concubinage est généralisé. Ainsi dans ses aspects les plus susceptibles de troubler l'église, il y a eu nouvelle donne. Ce quart de siècle fût aussi celui de la fin de l'affrontement entre le monde communisme et le monde libéral. Jusque 1989 tout raisonnement passait par une lecture est/ouest y compris dans les milieux religieux. On sait la part qu'à joué Jean Paul II dans ce conflit en égratignant à chaque fois qu'il le pouvait le régime soviétique ou l'un de ses satellites. Par voie de conséquence, c'est aussi l'idée de gauche qui disparaît des esprits en Europe. On accepte certes de se dire de gauche mais plus question de

socialisme, privatisation importante, règne de l'individu roi et d'une certaine façon, fin de la communauté qui laisse place à la société. Il va de soi que les conséquences en terme religieux se font dès lors sentir. L'individu roi de la société profane qui se proclame le centre de tout ne peut plus guère accepter une pensée dogmatique (au sens propre du terme) qu'il faudrait accepter dans son ensemble sans rien pouvoir rejeter. On ne s'étonnera pas dès lors du concept de «bricolage religieux » inventé par les sociologues des religions qui caractérise des emprunts effectués par les individus à plusieurs religions. A titre d'exemple 25 % des catholiques croient à la réincarnation, idée fort peu catholique... mais qui représente tout de même donc une personne sur quatre dans la catégorie considérée, ce qui n'est pas rien puisqu'il y a évidemment incompatibilité entre les deux croyances. Ce bricolage religieux est la conséquence bien sur de l'individualisme, mais aussi de l'augmentation du nombre de moyens de communication aussi bien en nombre qu'en type. Il en résulte un « menu » particulièrement varié où chacun en choisissant ses propres plats trouve sa spécificité.

Ainsi, l'Eglise qui est caractérisée par une pensée dogmatique subit à elle aussi le recul qu'ont pu vivre toutes les idéologies durant ces trente dernières années. Si le libéralisme fait exception, ce n'est pas parce qu'il n'est pas une idéologie mais justement parce qu'il se présente comme n'en étant pas une. Il va de soi que le phénomène touche également les autres religions et que tout pays entré dans la modernité est touché de manière similaire. Ainsi, si Benoit XVI se trouve confronté à des problèmes internes à l'église catholique (le rapport entre l'institution et les hommes), il a également à gérer le dialogue entre les religions. Comme dit plus haut, rien n'empêche un européen d'embrasser une religion non européenne avec quelques ajouts personnels, d'autre part l'immigration à amener avec elle ses propres pratiques.

On imagine la difficulté à gérer ces nouveaux rapports au sein des pays. Ainsi un religieux catholique va discuter avec un français de souche devenu bouddhiste pour ensuite s'adresser à un français d'origine algérienne converti au catholicisme. Les pays sont donc devenus à l'image des individus et donc beaucoup plus difficiles à gérer en terme d'identité religieuse. Cela d'autant plus qu'un autre phénomène est tout aussi menaçant pour l'institution qui est l'indifférence religieuse. Ni Athéisme, ni agnosticisme, c'est un phénomène relativement nouveau qui consiste « naturellement » à ignorer les problèmes religieux, peut être parce que ceux ci échappent à l'utilitarisme ambiant, peut être aussi et là encore c'est lié parce que la notion de sacré n'est plus perçue aujourd'hui suite et au matérialisme et à la volonté de ridiculiser tout ce qui pouvait y faire référence.

Chacune des religions étant plus ou moins confrontée aux mêmes problèmes, se posent donc leurs rapports que cela soit dans le cadre de l'oecuménisme ou du dialogue interreligieux. Toutes font plus ou moins du prosélytisme, y compris le bouddhisme qui par ses conférences en Europe parvient à recueillir de nouveaux adeptes. Si Jean Paul II avait rencontré le Dalaï Lama, on sentait bien que la nature des relations n'est pas la même: en effet il y a d'un côté les gens du livre et le ... reste.

On se souvient du réchauffement très net entre catholicisme et judaisme surtout à l'occasion de la demande de pardon pour les erreurs de l'église. On ne voit guère de raison pour que Benoit XVI ne s'inscrive pas dans une telle continuité.

Remarquable aussi ce rapprochement (volonté de dialogue) entre Rome et le protestantisme. C'est notamment le cas avec l'évangélisme où le refus de la contraception de l'homosexualité et de l'avortement constituent un axe spécifiquement chrétien. Cette convergence de vue n'empêche pas évidemment les différences et les frictions mais il n'empêche que l'axe principal passe par là.

Tout autre est la relation entre catholique et Islam où à nouveau Jean Pau II avait fait des voyages particulièrement remarqués tant au Maroc que dans l'afrique subsaharienne accompagné quelquefois de déclarations choquantes pours certains « nous aimons le même Dieu ». Déjà à cette époque le cardinal Ratzinger avait mis en garde contre les menaces de syncrétisme. L'élection de Benoit XVI a plutôt inquié les musulmans qui se contentent d'espérer que son pontificat sera dans le prolongement de celui de Jean Paul II. En fait le cardinal Ratzinger ne s'est guère exprimé au sujet de l'Islam, mais le peu qu'il ait fait ne laisse pas présager de bonne relations: ainsi avait t-il dit que « l'Islam ne pouvait renoncer à sa volonté intrinsèque d'être un élément décisif de l'ordre public ». Remarque un tant soit peu amusante dans la mesure où c'est paratiquement le cas de toutes les religions. Mais il a aussi fait pire
en signant, en septembre 2000, la fameuse déclaration Dominus Jesus, dont les positions sont beaucoup plus radicales que celles affichées par Jean Paul II. Ainsi, on y apprend que les religions non chrétiennes (donc l'Islam) ne sont pas une foi mais « une expérience religieuse encore à la recherche de la vérité absolue, et encore privée de l'assentiment à Dieu qui se révèle ». L'islam étant ainsi de facto devenue une religion inférieure, on comprend mieux l'opposition de Benoit XVI à la Turquie dans l'Europe.

Nous avions fait remarquer (voir supra) que le terrain de prédilection des missionnaires n'étaient autes que les pays pauvres, ou à tout le moins moins avancés.

Et derrière les embrassades publiques, que de rivalité pour conquérir de nouveau espace. Ainsi en Afrique, plus on descend vers le sud et plus le christianisme prend de l'ampleur. Ne doutons pas que son but soit de prendre le cap plein nord pour faire reculer et les religions traditionnelles et l'Islam. Même si l'indonésie est à majorité musulmane, c'est toute la mosaïque des religions qui est représentée. A une moindre ampleur, on trouve le même phénomène en Chine, en Inde, et si l'on regarde bien une carte du monde on peut généraliser. Dès lors où l'on connait les positions de Benoit XVI au sujet de l'Islam, il faut s'attendre malgré le ferme maintien des spécificités catholiques à un rapprochement avec le protestantisme ne serait ce que pour freiner la propagation de l'Islam. Les choix religieux ont bien entendu des incidences politiques, tout comme les politiques ont compris depuis longtemps le parti qu'ils pouvaient tirer de l'instrumentalisation des religions.