Vendredi, 30 Mars 2007 |
Le don et le vol
Philippe Delbauvre | Politique |
Puisqu'il existe un célébrissime essai sur le don, on pourrait songer à écrire un essai sur le vol considéré dans ses rapports avec les différents modèles sociétaux qui se sont succédés.
Le vol est actuellement posé juridiquement comme un mal et passible de poursuites. Rien de bien surprenant et pourtant comme nous allons le voir, après étude le phénomène apparaît plus compliqué que de prime abord. Les sanctions se traduisent aussi bien par l'amende que par l'emprisonnement. Il s'agit à la fois d'une pénalité visant à la réparation du préjudice subi par la victime mais aussi d'une punition infligée pour non respect des règles juridiques actuellement établies.
Puisqu'il existe dans la constitution un droit au travail qui ne peut être assimilé à un « Etre » mais qui est bien à un « Avoir », celui qui en perd le bénéfice se voit floué par la contrainte - on m'accordera qu'il n'est que très rarement d'accord sur le fait de son licenciement - de ce qu'il a : en clair le voici volé avec paradoxalement peu de compensations et chose encore plus surprenante, indifférence de la part de la justice quant à celui qu'il faut bien appeler voleur. Simplement, là où le voleur dans sa version classique utilise une force physique supérieure, ici il utilise dans sa version postmoderne une force financière qui fait défaut à sa proie.Il va de soi que dans de telles conditions, on ne peut que comprendre l'intérêt accru aujourd'hui pour l'argent, sachant que l'un des avantages de la criminalité en col blanc est de bénéficer d'une certaine complaisance qui ne peut qu'inciter au vol.
Il n'existe donc pas de justice avec une majuscule qui serait fidèle à un quelconque idéalisme platonicien la situant au dessus des péripéties temporelles mais bien une justice aux mains du pouvoir - elle n'a de cesse de réclamer son indépendance d'ailleurs - avec tout ce qu'elle peut comporter de relativisme. Ce que l'on désigne du terme de justice n'est autre que l'arsenal juridique caractérisant la structure politique en place dans sa stabilité comme dans son impermanence. Soucieux d'éviter la prise de position qui rendrait l'article partisan, je me garderais bien de me prononcer sur l'homosexualité comme sur la peine de mort. Dans chacun des deux cas pourtant, c'est bien sur décision parlementaire que furent légalisés et l'ancien délit d'homosexualité et l'abrogation de la peine de mort. Ici encore, triomphe d'une justice, qui n'est autre qu'un marquage temporel d'une situation sociétale donnée : en quoi fondamentalement l'un et l'autre étaient bons ou mauvais ?
Il n'est pas certain pour en revenir au vol que celui ci soit aussi négatif qu'on pourrait le croire et qu'on l'affirme pour l'ensemble de la communauté socio-économique. Le vol peut même à bien des égards, et quoique le phénomène soit au Français dissimulé, apparaître comme franchement positif.
Le processus met en scène le voleur, le volé et l'objet. On peut globalement affirmer que financièrement le voleur appartient à un milieu socio-économique inférieur à celui du volé. D'où le fort pourcentage de détenus bénéficiant avant leur entrée en prison des minima sociaux ; d'où leur taux important d'analphabétisme.
Le plus souvent, ce qui est soustrait au volé peut, par son ancien propriétaire, être racheté. Que la perte d'un lecteur mp3, d'un blouson ou d'un téléphone portable est rageante n'est pas niable : il n'empêche qu'ils peuvent tous facilement être de nouveau acquis.
Avec de nombreuses conséquences.
Pour le plus grand bénéfice du vendeur, un objet qui, dans le cadre de la stricte honnêteté, n'eût été acheté qu'une seule fois, l'est désormais deux fois. Il va de soi qu'il est indifférent au vendeur que c'est la même personne qui débourse deux fois.
Les classes miséreuses par l'intermédiaire du vol ont accès à des produits - signe d'appartenance de classe, mais plus simplement sociale - qui leur permet d'échapper au sous statut qui est le leur. Comme on sait que la dépendance aux objets est inversement proportionnelle au statut culturel des individus, on comprendra l'importance du phénomène. Il apparaît évident que si ces classes miséreuses venaient à être cantonnées dans leur misère, elles deviendraient dangereuses. Incapables d'obtenir par le vol ce que tout le monde a, incapable de devenir ce que tout le monde ou presque aspire à être - l'appartenance bourgeoise n'est-elle pas la concrétisation du rêve du vulgum pecus ? - , il est alors probable que c'est tout naturellement vers le champ politique que ces classes actuellement dépolitisées seraient contraintes de se tourner et cela, certainement pas vers des formations modérées. Signe des temps, il n'y a pas eu de propagande officielle incitant les Français à aller voter.Choquant n'est ce pas que ce déni d'incitation à l'engagement citoyen à l'époque où très électoralement on parle de drapeau et de nation ?
Ainsi donc, j'ai l'intime conviction que, quand bien même les gouvernements disposeraient d'une baguette magique permettant la fin des vols, celle ci ne serait pas utilisée de manière à ce que d'une part les ventes soient favorisées et à ce que d'autre part l'équilibre social dans son ensemble soit préservé.
Le vol est actuellement posé juridiquement comme un mal et passible de poursuites. Rien de bien surprenant et pourtant comme nous allons le voir, après étude le phénomène apparaît plus compliqué que de prime abord. Les sanctions se traduisent aussi bien par l'amende que par l'emprisonnement. Il s'agit à la fois d'une pénalité visant à la réparation du préjudice subi par la victime mais aussi d'une punition infligée pour non respect des règles juridiques actuellement établies.
Puisqu'il existe dans la constitution un droit au travail qui ne peut être assimilé à un « Etre » mais qui est bien à un « Avoir », celui qui en perd le bénéfice se voit floué par la contrainte - on m'accordera qu'il n'est que très rarement d'accord sur le fait de son licenciement - de ce qu'il a : en clair le voici volé avec paradoxalement peu de compensations et chose encore plus surprenante, indifférence de la part de la justice quant à celui qu'il faut bien appeler voleur. Simplement, là où le voleur dans sa version classique utilise une force physique supérieure, ici il utilise dans sa version postmoderne une force financière qui fait défaut à sa proie.Il va de soi que dans de telles conditions, on ne peut que comprendre l'intérêt accru aujourd'hui pour l'argent, sachant que l'un des avantages de la criminalité en col blanc est de bénéficer d'une certaine complaisance qui ne peut qu'inciter au vol.
Il n'existe donc pas de justice avec une majuscule qui serait fidèle à un quelconque idéalisme platonicien la situant au dessus des péripéties temporelles mais bien une justice aux mains du pouvoir - elle n'a de cesse de réclamer son indépendance d'ailleurs - avec tout ce qu'elle peut comporter de relativisme. Ce que l'on désigne du terme de justice n'est autre que l'arsenal juridique caractérisant la structure politique en place dans sa stabilité comme dans son impermanence. Soucieux d'éviter la prise de position qui rendrait l'article partisan, je me garderais bien de me prononcer sur l'homosexualité comme sur la peine de mort. Dans chacun des deux cas pourtant, c'est bien sur décision parlementaire que furent légalisés et l'ancien délit d'homosexualité et l'abrogation de la peine de mort. Ici encore, triomphe d'une justice, qui n'est autre qu'un marquage temporel d'une situation sociétale donnée : en quoi fondamentalement l'un et l'autre étaient bons ou mauvais ?
Il n'est pas certain pour en revenir au vol que celui ci soit aussi négatif qu'on pourrait le croire et qu'on l'affirme pour l'ensemble de la communauté socio-économique. Le vol peut même à bien des égards, et quoique le phénomène soit au Français dissimulé, apparaître comme franchement positif.
Le processus met en scène le voleur, le volé et l'objet. On peut globalement affirmer que financièrement le voleur appartient à un milieu socio-économique inférieur à celui du volé. D'où le fort pourcentage de détenus bénéficiant avant leur entrée en prison des minima sociaux ; d'où leur taux important d'analphabétisme.
Le plus souvent, ce qui est soustrait au volé peut, par son ancien propriétaire, être racheté. Que la perte d'un lecteur mp3, d'un blouson ou d'un téléphone portable est rageante n'est pas niable : il n'empêche qu'ils peuvent tous facilement être de nouveau acquis.
Avec de nombreuses conséquences.
Pour le plus grand bénéfice du vendeur, un objet qui, dans le cadre de la stricte honnêteté, n'eût été acheté qu'une seule fois, l'est désormais deux fois. Il va de soi qu'il est indifférent au vendeur que c'est la même personne qui débourse deux fois.
Les classes miséreuses par l'intermédiaire du vol ont accès à des produits - signe d'appartenance de classe, mais plus simplement sociale - qui leur permet d'échapper au sous statut qui est le leur. Comme on sait que la dépendance aux objets est inversement proportionnelle au statut culturel des individus, on comprendra l'importance du phénomène. Il apparaît évident que si ces classes miséreuses venaient à être cantonnées dans leur misère, elles deviendraient dangereuses. Incapables d'obtenir par le vol ce que tout le monde a, incapable de devenir ce que tout le monde ou presque aspire à être - l'appartenance bourgeoise n'est-elle pas la concrétisation du rêve du vulgum pecus ? - , il est alors probable que c'est tout naturellement vers le champ politique que ces classes actuellement dépolitisées seraient contraintes de se tourner et cela, certainement pas vers des formations modérées. Signe des temps, il n'y a pas eu de propagande officielle incitant les Français à aller voter.Choquant n'est ce pas que ce déni d'incitation à l'engagement citoyen à l'époque où très électoralement on parle de drapeau et de nation ?
Ainsi donc, j'ai l'intime conviction que, quand bien même les gouvernements disposeraient d'une baguette magique permettant la fin des vols, celle ci ne serait pas utilisée de manière à ce que d'une part les ventes soient favorisées et à ce que d'autre part l'équilibre social dans son ensemble soit préservé.