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mardi 29 mai 2007

Une référence baroque

Mardi, 29 Mai 2007


Une référence baroque

Alain Rebours

Politique
Une référence baroque
Baroque que cette référence aux événements de mai 1968 durant une élection présidentielle se déroulant près de quatre décennies plus tard à laquelle nous avons pourtant eu droit. En effet, ces barricades sans morts, malgré toutes les peurs mais aussi tous les espoirs qu’elles suscitèrent, ne durèrent pas plus de quelques semaines et n’eurent pour seules conséquences politiques que les accords de Grenelle ainsi que, non sans paradoxe, un raz de marée gaulliste lors des élections législatives qui suivirent. Si le général De Gaulle avait été contraint au départ ou si l’assemblée était devenue communiste et restée depuis, on aurait pu comprendre la volonté de certains d’en finir avec cette période par l’intermédiaire d’une rupture déclarée après inventaire. On peut déjà se piquer de curiosité quant au traitement médiatique qui se fera l’année prochaine à l’occasion du quarantième anniversaire. Il s’agit donc incontestablement, compte tenu de la disproportion entre des échauffourées dont l’histoire est riche et l’importance accordée par le nouveau pouvoir, d’un effet d’annonce qui ne fait pas sens.

L’explication ne peut venir que d’une double analyse concernant d’une part les événements de mai tels qu’ils furent mais aussi d’autre part de la manière dont ils furent perçus, distinction historiquement habituelle.

Il existe incontestablement dans ces troubles, qualifiés bien vite d’exclusivement politiques et étudiés à tort uniquement en tant que tels, un facteur de révolte qui est celui d’une partie de la jeunesse contre le monde des anciens appelé société établie. Rien d’extraordinaire à ce fait sachant qu’après tout, ni la beat generation, ni les mods, rockers, hippies, punks et autres gothiques ne se sont focalisés contre le régime du général de Gaulle. Et pour cause. Pas plus que ces différents mouvements ne furent globalement communistes. Les mouvement de jeunesse sont assez exhibitionnistes et soucieux d’exister dans un monde qui n’est pas le leur, cela parce que l’on n’accède pas à des responsabilités à l’échelon national avant un certain âge. A défaut de construire, on suit ou on raille. Reste donc l’ostentation. Si le mouvement de mai 68 fut pluriel (on n’insistera jamais assez sur ce fait), il n’en a pas moins été un mouvement de jeunes avec des préoccupations qui furent celles de la jeunesse d’alors. C’est tant vrai que la sexualité – questionnement par définition lié à la jeunesse, celle de l’âge comme celle du corps, et surtout à une époque où le sujet était tabou – constitue un des leitmotiv majeurs de l’époque. Soulèvement communiste écriront ceux qui voient partout la doctrine du bourgeois allemand exilé en Angleterre: en oubliant ou en ne sachant pas que la sexualité était condamnée dans tous les pays communistes (une forme de la déchéance bourgeoise dixit le Parti), que les manifestants était vêtus de jeans, qu’ils portaient des cheveux longs et qu’ils écoutaient du Pink Floyd, groupe dont l’objectif n’a jamais été de ressembler aux chœurs de l’armée rouge. Alors ? Anarchisme peut être ou plus exactement libertarisme seraient des termes plus appropriés, le second marquant une opposition plus prononcée à l’encontre des pouvoirs mais aussi plus individualiste que le premier. Proudhon et Stirner pourrait-on résumer avec une prédilection pour le premier qui semble donc plus adapté. Ce n’est en conséquence certainement pas par adhésion au communisme officiel que l’Internationale fut chantée mais bien par provocation et à l’encontre du bourgeois terrorisé de peur qui, comme à l’accoutumé, n’avait rien compris à ce qui n’était qu’une farce dont on peut imaginer que nombre des organisateurs furent eux mêmes farcés. Dans cette optique qui rappelle la démarche utopiste des socialistes du début du 19 ème siècle à commencer par Fourier, on faisait l’apologie de mouvements enracinés (Ah, le Larzac !) au sein desquels on pouvait faire l’amour libre dans une réconciliation avec la nature et vivre en revendant les produits de la ferme : le nouveau monde amoureux. Nous voici très loin du plan et du politburo.

Ce premier aspect des événements, assez utopique, se caractérise davantage par une fuite, par un exil intérieur que par une prise position politique qui eut contraint ses adeptes à rester en ville et à faire face plutôt que de se réfugier à la campagne. C’est là un phénomène dont l’évidence n’est pas contestable et qui n’est pourtant jamais souligné.

On pourrait douter de l’intérêt pour cet aspect de mai 68 tant il apparaît inoffensif pour l’actuel gouvernement. A tort. C’est justement parce qu’il s’agit d’une vie vivante et non calculante que ce modèle alternatif, quand bien même non agressif et replié sur lui même, devient inacceptable à l’époque du grand formatage. Une vie sortant des normes établies ne peut être acceptée par l’actuel gouvernement en place que si elle ne l’est qu’à titre individuel ou par une petite minorité. Il n’est qu’à considérer les oppositions des différents gouvernements à l’encontre aussi bien du foulard que de l’enseignement des langues régionales pour s’apercevoir que le Système suit de près toute évolution dissidente même lorsque celle ci ne présente aucun danger. Il existe ici une opposition flagrante entre un modèle sociétal qui, tout en vous remplissant la tête de vérités à apprendre et à réciter vous oblige à porter le casque, et une autre où chacun dispose naturellement de la liberté de chevaucher les cheveux au vent.

Cocteau écrivait que la jeunesse sait ce qu'elle ne veut pas avant de savoir ce qu'elle veut. Il s’agit là d’une citation à nuancer mais qui explique assez bien le flou qui émane de Mai 1968. Passé l’âge de l’idéal, il faut bien se confronter à la réalité, non suite à une prise de responsabilités, mais plus simplement parce que les faits s’imposent d’eux mêmes et qu’il faut ou les accepter ou s’y opposer. Il n’est donc resté pour les tenants de ce Mai 68 là, c’est à dire de cet anarchisme individualiste, ni le lsd trois fois plus dosé que celui d’aujourd’hui ni le cannabis ni les vêtements à fleurs mais simplement l’hédonisme caché sous l’eudémonisme. C’est ainsi que le jouir sans entrave est devenu un consommer sans partage, la quête d’un au delà ou d’un supra, un ici bas. Parce que contrairement aux communautés anarchistes politisés qui furent raillées de la carte suite aux agressions de type communiste ou libérale, les groupements emprunts de l’esprit de Mai 68 disparurent d’eux mêmes parce que chacun de ses membres s’en alla vers la société de consommation. Le combat cessa parce qu’il n’y eut jamais de combattants. C’est l’air du temps associé à un caprice de jeunesse qui les a plongés dans un mai 68 auquel, quoique acteurs, ils n’ont rien compris. En ce sens, leur adaptation à la société libérale n’est nullement une trahison mais bien une continuité de pensée qui prône avant toute chose l’individualisme sans entrave.

Cette explosion davantage libérale que libertaire est un fait historiquement marquant. Elle marque la fin d’un modèle de société dont les figures de proue emblématiques furent aussi bien le général de Gaulle que le maréchal qui le précéda. Dans les deux cas, c’est à dire pour chacun des deux hommes, un même terroir catholique et pratiquant, une suspicion à l’encontre du monde de l’argent, un provincialisme enraciné mais avant tout national, la même école de formation et le choix du métier des armes, une américanophobie sans concession suite au soucis de s’inscrire dans la continuité nationale et de préserver la culture en se gardant d’un « ami » par trop envahissant. L’un transposera à l’industrie les espoirs que l’autre avait mis dans la Terre. Le premier fut bouclier, le second épée.

C’est cette société là qui est mise à mal en 1968. Non pas que le coup donné ait été fatal puisqu’il n’est resté que fort peu de choses de ces événements. Ces barricades sans morts (il est bon de le rappeler) ne furent que la signature que de ce que l’on a coutume d’appeler à tort la libération qui s’est paradoxalement traduite dans les faits par une autre présence militaire étrangère mais cette fois ci de surcroît non européenne sur le sol hexagonal.

Que le premier président symbolique de ce changement de société ne parvienne au pouvoir qu’en 1974 ne change rien à l’analyse. Les causes profondes de l’élection sont bien antérieures et à son élection mais aussi aux événements qui nous préoccupent et qui se sont déroulés six ans plus tôt. Ces deux phénomènes n’expliquent d’ailleurs ni les grands rassemblements des Beatles ainsi que des manifestations qui les accompagnaient, ni l’apologie des robots ménagers censés libérer la femme qui put ainsi aller grâce au temps gagné s’épanouir à la chaîne, ni la création de havres de paix que l’on appelle aujourd’hui cités, ainsi que tout ce qui va avec … Parce que ces bouleversements eurent lieu plus tôt.

Si ce n’est donc pas avec mai 68 que disparut la Nation on peut écrire que ces événements constituèrent un marqueur historique. Les événements de 68 ne créèrent pas une nouvelle société (l’ancienne poursuivit d’ailleurs son chemin comme si rien ne s’était passé) et ne furent que de simples conséquences au même titre que d’autres événements que l’on eut le tort de trop regarder à la loupe plutôt que de prendre le recul nécessaire afin de les replacer dans un contexte global.

Pourtant, en ce mois de mai, il y eut aussi et bien avant – ce qui est malheureusement occulté – un engagement politique incontestable qui s’est traduit dans les faits par des rapports suivis entre les étudiants et le monde ouvrier. Pour citer deux exemples, dans la ville de Caen, le 26 janvier 1968 des étudiants se joignent aux grévistes. De même à Besançon en février 1967 ce sont les grévistes qui, sur leur lieu de travail, organisèrent des animations de type festif où la population fut invitée en nombre et où les étudiants ne furent pas absents. Il faut également rappeler que Mai 68 a eu lieu aux Etats Unis en … 1964 à Berkeley, même s’il s’agit dans ce cas de la mouvance libertaire précédemment étudiée. On ne peut donc pas nier qu’il s’agit ici d’un mouvement qui n’est pas propre au printemps d’une année particulière ni qu’il ne fut pas limité à un seul pays, le cas allemand pouvant lui aussi être évoqué. Pareillement, l’engagement ouvriériste des étudiants communistes ou apparentés n’est pas chose nouvelle. Louise Weil, si elle est célèbre, ne doit pas cacher tous les milliers d’anonymes qui, mettant de côté leurs diplômes, s’en allèrent œuvrer sur le terrain dans le monde du travail y compris comme simple manutentionnaire afin de partager les conditions de vie de ceux qu’ils défendaient. Si la sincérité de ces engagements ne peut être remise en cause, il ne faut pas oublier que parallèlement 1968 correspond approximativement au début du déclin du parti communiste (avéré en 1970), phénomène qui n’était nullement le but déclaré de ces événements. Que certains gauchistes parce que disciples de Mao ou de Trotski détestaient le Pcf ne fait pas l’ombre d’un doute. Il serait pour autant plus qu’abusif de nier leur appartenance commune au marxisme et au communisme. Pour autant et même en tenant compte de la confrontation Est/Ouest ainsi que du début de la concurrence qui commençait déjà à poindre, l’idée que le secteur secondaire de l’économie allait être l’avenir grâce auquel on allait pouvoir créer des luttes était tout simplement ridicule: ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’Anpe est créée à la fin des années soixante, symbolisant un malaise économique qu’à l’évidence les manifestants ne perçurent pas. Ainsi, le désordre gauchiste n’avait pas pour objectif le communisme comme forme politique achevée mais bien la contestation de l’ordre sous toutes ses formes. On comprendra dès lors la haine conjointe dont furent l’objet et le Pcf et le gaullisme. On comprendra également et ce n’est pas un hasard l’opposition de la même façon au mariage comme à l’armée. Il est peut être bon de rappeler au lecteur, s’il l’ignore, que le mariage d’amour est un mariage bourgeois: la postérité a retenu l’image contraire.

En conséquence, cette forme d’engagement que l’on peut qualifier d’ouvriériste ne fut qu’une avant garde sociologique qui s’est traduite ultérieurement par un ralliement au Système via une adhésion au parti socialiste. C’est vrai pour les élites puisque nombre des cadres socialistes viennent du trotskisme mais c’est vrai également des masses communistes qui se sont déplacées dans un premier temps chez les socialistes avant de s’éparpiller sur l’ensemble du champ politique. Dans un cas comme dans l’autre, il n’est pas question de nationalisations et encore moins de révolution. En ce sens, ce courant est lui aussi mort et on n’apprendra à personne qu’aujourd’hui le métier d’ouvrier n’attire plus les jeunes. Le secteur secondaire est d’ailleurs mort ici comme partout ou presque en Europe. De cette génération politisée de la sorte, étudiants ou non, ils ne reste aujourd’hui pratiquement plus rien si ce n’est des alliances qui prêtent à sourire comme celle qui lie financièrement le journal Libération à Rotschild. Socialiste, cette autre façon d'être sarkozyste. On peut également noter que de Sartre a émané la notion d’intellectuel médiatique qui depuis à fait des émules bien peu progressistes.

A intellectuels du Spectacle, société du spectacle ou société de consommation. Puisque les deux ouvrages sont financièrement à la portée de tous, il n’est pas nécessaire de choisir entre Guy Debord et Jean Baudrillard. Des situs, comme on les appelait, l’homme de la rue ne sait que peu de choses. Rien d’étonnant puisqu’il constituent la forme subversive de mai 1968. Rien d’étonnant non plus à apprendre que déjà dix ans avant les événements les situationnistes travaillaient dans l’ombre. Eloignés des pavés qui face aux boucliers n’ont souvent pour seul fonction que de satisfaire l’ego du lanceur, les situs pensent et écrivent. La plupart des œuvres vieillissent, certaines – celles des moralistes – se maintiennent. D’autres, exceptionnelles prennent de la valeur au cours du temps parce qu’elles avaient pré-vu juste. Si « La société du spectacle » était vraie à sa parution, les évolutions de la société n’ont fait que valider les différentes prédictions contenues dans cet ouvrage. Il en est de même des ouvrages de Jean Baudrillard qui eux aussi frappent souvent juste. La société contemporaine est ainsi déshabillée sans pudeur par les auteurs situationnistes qui semblent s’amuser toujours de ce qu’ils dé-couvrent. On retrouve au passage la subversion telle qu’elle existe dans « Le recours aux forêts » d’Ernst Jünger, la moquerie d’Ernst Von Salomon remplissant son questionnaire, le mépris de Thomas Mann pour les politiciens qui seraient ici peut être justement les ânonneurs marxistes léninistes de 68. On songe aussi à Orwell ou Huxley. Encore que ces derniers recourent à un monde imaginaire pour dépeindre une éventuelle réalité alors que chez Debord c’est la réalité dans ce quelle a de plus triviale qui fait, en passant par l’imaginaire, retour à elle même.

Si les travaux des situationnistes sont méconnus à la base, ils sont étudiés depuis l’origine au sommet. Un bon stratège politique et à fortiori politicien connaît les analyses de Debord. Il s’agit en fait d’un chassé croisé entre la vitrine mise devant le penseur dont l’analyse de l’écran une fois effectuée sert le communicateur. Celui qui a perdu n’est autre que celui qui n’a pas suivi le fil et qui s’en tient soit à l’analyse à un moment donné soit à l’image présentée. Que les hommes politiques aiment courir sur la plage ou ailleurs est connu de chacun mais ce qu’ils préfèrent c’est d’être photographiés courant. Que les hommes politiques serrent des mains, chacun le sait : cela ne signifie pas pour autant que cela soit désintéressé. Le motif est le même.

Le situationnisme a donc lui aussi été récupéré par le pouvoir en place parce que ses analyses portaient directement sur la nature du Système. Cependant à la différences des variantes libertaires ou ouvriéristes, il reste d’actualité – découvrir : c’est à dire ôter le voile qui cache ce que l’on ne veut montrer – et reste donc utilisable aussi par les résistants au nouvel ordre mondial.

C’est l’essentiel.